Comment lutter contre la circoncision masculine et féminine?
I. Étude globale et rupture du mur du silence
Les circoncisions féminine et masculine sont des pratiques complexes qui nécessitent une étude multidisciplinaire, globale. Une telle étude est une condition pour pouvoir les combattre efficacement, rompant le mur du silence qui les entoure et parvenant à toutes les sensibilités: religieuses, sociales, médicales et juridiques.
Si aujourd'hui on peut estimer que la circoncision féminine a acquis une certaine audience internationale, ceci n'est pas encore le cas de la circoncision masculine. Cette dernière reste un tabou. Chaque fois que je signalais mon intérêt à ce sujet, mes interlocuteurs exprimaient leur étonnement. Après avoir annoncé sur Internet la parution de mon ouvrage en arabe, un lecteur m'a écrit pour me dire que ce sujet est religieusement très sensible et que je devrais l'éviter. Un autre m'a menacé de l'enfer, avant d'avoir lu mon ouvrage. Un troisième m'a écrit: "Pourquoi t'intéresses-tu à ce sujet alors qu'il existe tant d'autres problèmes? Est-ce que ce sujet mérite tant d'attention?" Je lui ai demandé: "Est-ce que la mutilation de 15 millions d'enfants annuellement n'est pas un sujet qui mérite l'attention?" Il n'a pas répondu.
II. Activisme religieux
La religion est un facteur important pour la poursuite ou l'abolition de la circoncision. Les autorités religieuses, quel que soit leur pouvoir, sont responsables de cette pratique, soit en faisant l'opération comme c'est le cas chez les juifs, soit en essayant de la justifier, soit en se taisant. Que faire avec ces autorités religieuses?
1) Soigner, écarter et censurer
Pour empêcher les automutilations, les psychiatres proposent de soigner les malades en leur prescrivant des médicaments, voire en les opérant. Mais il est inimaginable de donner des médicaments à toutes les autorités religieuses juives et musulmanes et à leurs coreligionnaires pour qu'ils cessent de circoncire.
Volkov avait proposé des mesures drastiques pour lutter contre les méfaits de la secte des castrats en Russie:
- L'organisation d'un réseau d'institutions politiques, éducatives et culturelles et l'envoi d'animateurs culturels antireligieux et de médecins dans les régions infectées.
- L'établissement d'une liste des castrats connus et leur mise sous stricte surveillance.
- Des mesures administratives pour isoler du reste de la population les castrats fanatiques, les diffuseurs du culte et les castrateurs.
Mais ces mesures, comme les précédentes, soulèveraient une tempête de protestations.
Certains proposent d'interdire aux automutilateurs la lecture des textes religieux qui peuvent les exciter sexuellement et les inciter à se mutiler. Mais il est difficile d'interdire aux juifs, par exemple, de lire Genèse 17 qui est à la base de la circoncision masculine.
2) Associer les autorités religieuses
À défaut de pouvoir soigner les autorités religieuses, les écarter ou censurer leurs livres sacrés, certains estiment qu'il faudrait les associer à la lutte contre la circoncision.
Mais pour pouvoir utiliser ces autorités il faut commencer par les éduquer. Encore faudrait-il qu'elles acceptent de se faire éduquer et, ensuite, de s'engager dans un domaine si périlleux. Un rabbin, pourtant acquis à la cause des enfants, m'a écrit qu'après avoir perdu son prépuce, il craignait de perdre son travail. Le Cardinal Jean-Marie Lustiger et le grand rabbin Samuel Sirat de Paris ont refusé de se prononcer concernant la circoncision féminine, probablement parce qu'ils craignaient l'ouverture du débat sur la circoncision masculine. Et n'attendez pas du pape de Rome ou des évêques occidentaux de prendre position contre cette dernière dans une époque où on parle de dialogue interreligieux et de conciliation entre les chrétiens et les juifs. Ce serait considéré comme de l'antisémitisme ou, tout au moins, de la provocation.
3) Vacciner le peuple
Le Dr Gérard Zwang propose de supprimer les religions monothéistes pour parvenir à l'abolition de la circoncision masculine et féminine. Nous n'irons pas aussi loin que lui. Au lieu de traiter avec des religions comme on lutterait avec des moulins à vent, nous préférons traiter avec des individus qui se disent juifs, chrétiens ou musulmans. Chacun d'eux a un bagage intellectuel propre et suffisant pour être en mesure d'adapter ses convictions religieuses en conformité avec son intelligence. Il suffit à cet égard d'éveiller sa conscience, de susciter en lui l'intérêt et de le convaincre que les mutilations sexuelles sont des pratiques néfastes indignes des êtres humains. Un tel procédé implique nécessairement la mise en question de dogmes hérités du passé, inscrits dans les livres sacrés.
III. Élever le niveau éducatif, culturel et social
Cette tâche peut être confiée aux différents organismes d'information. Ceci implique l'existence d'une liberté d'expression et la mise à disposition de ces organismes de l'information à communiquer au public. On ne peut en effet demander à un journaliste d'être un expert dans tous les domaines. Il faut aussi charger les experts dans chaque domaine de contribuer à la diffusion de l'information pour la catégorie sociale dont ils font partie.
En plus de l'information, il faut veiller à élever le niveau de l'éducation dans la société. Ceci pourrait ne pas aboutir à l'abolition de la circoncision féminine, mais au moins contribuerait à transformer la circoncision pharaonique en circoncision Sunnah avant de l'éliminer. On fait ici remarquer que la nature de l'éducation joue un rôle. Une éducation fondée sur la religion, comme l'éducation azharite, aurait un effet néfaste.
Enfin, il faudrait changer la situation sociale de la femme afin qu'elle obtienne son indépendance économique et puisse prendre la décision en toute liberté en ce qui concerne la circoncision de ses filles et de ses fils.
IV. Méthodes pour transmettre l'information
Il y a avant tout le style sérieux, qui passe par des discussions scientifiques en impliquant le public ou l'interlocuteur. Certains recourent au système du dialogue de Socrate sous forme de question-réponse pour faire dire à l'interlocuteur ce qu'on veut lui faire comprendre, et parvenir ensemble à une unité de langage. Il faut surtout éviter de provoquer l'interlocuteur, le blesser, ou le transformer en un ennemi, et essayer de se mettre dans ses souliers.
Il existe aussi un style sarcastique qui recourt à l'anecdote et à la caricature. La circoncision est une pratique qui est fondée sur des légendes et qui demande peu d'effort pour convaincre une personne de son absurdité. Or, la religion souvent fait écran au cerveau humain, jusqu'à empêcher de voir et de raisonner. Le salut consiste parfois dans une expression bien tournée pour débloquer le cerveau.
Il y a enfin le style littéraire. Même si nous nous efforçons d'être logiques dans notre comportement, nous ne fermons pas nos oreilles aux sentiments humains. Certains sont particulièrement sensibles à des proverbes qui en une phrase résument la sagesse de tout un peuple. Un vers de poésie bien construit et évocateur est parfois bien plus efficace que les longues discussions cartésiennes épuisantes. C'est la raison pour laquelle les opposants à la circoncision masculine accordent un espace pour la poésie et les textes sentimentaux dans le cadre des colloques qu'ils organisent. La bataille de la circoncision a besoin de l'orateur, du poète, du comédien, du cinéaste et des acteurs au même titre qu'elle a besoin des spécialistes en matière de religion, de droit, de médecine ou d'autres disciplines.
Un dernier mot concernant les actions. J'ai assisté en 1994 à une manifestation à Washington devant la Physicians committee for responsible medicine. Des participants ont brûlé à cette occasion leurs certificats de naissance sur lesquels figurait le nom du médecin circonciseur, ainsi que la Déclaration universelle qui ne contient pas d'article sur le droit à l'intégrité physique et par conséquent ne les protège pas. Des manifestations ont lieu devant des hôpitaux aux États-Unis pour protester contre le renvoi d'infirmières qui refusent de participer à l'opération de la circoncision masculine.
V. Soin des effets psychiques de la circoncision
La circoncision laisse des effets psychiques néfastes, tant du point de vue individuel que du point de vue social. Les opposants estiment qu'il faut les soigner pour aider les victimes, de même que la société et empêcher la répétition de la circoncision sur d'autres victimes.
Le psychologue Ronald Goldman dit que le circoncis qui se rend compte de son état de victime, peut se renfermer sur soi, chercher quelqu'un qui l'écoute, ou se révolter. La meilleure attitude sera la deuxième qui permet à la fois de se soulager et de restaurer la confiance en soi. Mais ceci n'est pas toujours facile car on a souvent de la peine à extérioriser ses sentiments, et rares sont les personnes à qui on peut faire confiance dans ce domaine. Il faut en tout cas éviter de prendre une position neutre face à la circoncision. Le silence de la victime face à la circoncision signifie qu'elle va perpétuer cette pratique sur d'autres. Le courage de s'exprimer a des effets contagieux positifs sur les autres et les pousse à faire de même. Ainsi, on crée un effet boule de neige afin de changer la culture de la société.
Alice Miller affirme que "personne ne commet un meurtre lorsqu'elle peut sentir ce qui a été fait à son égard dans son enfance". Il faudrait reconnaître la vraie nature de ce que la victime a subi, à savoir que la circoncision est un crime, ou selon ses termes "le plus grand crime de l'humanité" que la religion requiert et que le législateur ne sanctionne pas. Sans cela, on continuera à tolérer cet acte et à le répéter sur autrui. Elle ajoute:
Chaque criminel a été une fois une victime, mais toute victime ne devient pas nécessairement criminelle. Cela dépend de la présence d'un témoin informé qui peut aider la victime à être consciente de la cruauté qu'elle a vécue, c'est-à-dire à sentir et à voir la cruauté infligée à cette victime. Chaque criminel adulte a manqué d'un tel témoin dans son enfance; autrement il ne serait pas devenu criminel... Une fois capable de sentir leur misère, ils vont avoir de la compassion pour la condition des autres.
Extrait de mon livre: Circoncision: le complot du silence:
http://www.amazon.fr/Circoncision-compl ... 797&sr=8-3