Stop ! a écrit : ↑20 août22, 02:16
Il est certain qu'en faisant appel au comportementalisme on entre dans une approche scientifique qui peut nous garantir contre d'archaïques spéculations superstitieuses. Ce faisant, posons au moins les bases justes :
Pilate ne se réfère aucunement à Tibère, il prend seul la décision d'envoyer Jésus à la croix et il aurait tout aussi bien pu décider seul d'exploiter ses divins dons. Personne ne l'en aurait empêché sauf, mais ultérieurement, une éventuelle et fort possible jalousie impériale.
Ce ne sont pas les Romains qui ont voulu traduire Jésus devant la justice mais des Juifs. Ces derniers sont d'ailleurs en ce sens les premiers intervenants dignes d'avoir intéressé Goscinny. Pilate n'avait aucune idée préconçue sur lui, il semblait même ne pas le connaître et son sort lui indifférait au plus haut point. Ce sont des paroles d'évangiles qui nous l'apprennent.
Nous lisons dans le livre de d'Anne Bernet :
Les ennemis du genre humain
La foule, hurlante, déferlait a travers les ruelles étroites de la vieille
ville, masse compacte et pressée. L'on ne savait trop si elle criait de
haine, de colère ou de joie. Peu importait d'ailleurs. Seule comptait
l'aubaine, trop rare pour etre négligée, qui s'offrait ce jour-là et
rassemblait jeunes et vieux, lettres et artisans, hommes de Judée et de
la diaspora : une mise a mort.
Illégale de surcroit, ce qui lui conférait un sel supplémentaire,
Rome avait retiré aux Juifs, comme a tous les autres peuples soumis
au pouvoir de la Louve, le jus gladii , le droit de prononcer une
sentence capitale et de l'exécuter. En toutes occasions, il fallait en
référer au prefet, qui soulevait par principe mille difficultés et ergotait
a l'infini sur le bien-fondé des sentences du Sanhedrin.
Ce magistrat se nommait
Pilatus, et occupait la place depuis
bientot dix ans. II n'avait jamais fait preuve, dans l'exercice de ses
fonctions, d'une grande souplesse envers ses administres. Ses décisions
autoritaires, qui heurtaient les traditions locales, avaient plusieurs fois
entrainé des violences, des émeutes même. Une ou deux centuries de la
Tertia Gallica, la legion cantonnee en Syrie et en Judée, avaient
toujours suffi a ramener l'ordre. Des courriers furibonds adresses a
Rome n'avaient pas obtenu le rappel du gouvemeur, preuve que celui-
ci avait la confiance de Tibere Cesar . Rumeur que confirmait le
changement d'attitude de Pilate depuis la chute, survenue quatre ans
plus tot, du veritable maitre de l'empire, le redoutable et ambitieux
prefet du pretoire, Lucius /Elius Sejanus, disgracie en un instant et
assassine sur les marches de la Curie. Tant que Sejan avait ete aux
affaires, Pontius Pilatus avait fait preuve d'une reserve et d'une
prudence extremes, conscient que sa survie et celle des siens
dependaient exclusivement du relatif oubli et du silence entourant sa
personne dans les bureaux de l'administration imperiale, au Palatin.
Sejan mort, et dissipees les angoisses d'une aristocratie romaine
qu'il avait decimee, Pontius Pilatus avait retrouve toute la morgue et
I'arrogance que lui conferait sa fonction. La brutalite aussi.
Cela n'avait fait qu'accroltre l'inimitie des Juifs envers lui. II n'en
avait cure.
Dans cette ambiance tendue ou la violence semblait toujours prete a
eclater, la possibilite, denice au Sanhedrin, d'executer les sentences de
mort qu'il avait juge bon de prononcer, etait un sujet des plus sensible.
En principe, s'agissant des questions religieuses, et pourvu que le
prevenu ne beneficiat point des droits que lui garantissait une
eventuelle citoyennete romaine, la procedure etait relativement
simple : incompetent sur le fond, qu'il n'avait pas a connaitre, le prefet
se bornait a ratifier la decision et a accorder son exequatur,
I'autorisation de proceder a l'execution. Encore devait-il, pour ce faire,
mettre a la disposition des autorites locales la force publique romaine.
Ce systeme, garanti par le grand Pompee lorsqu'il avait annexe la Judee
a l'empire, fonctionnait cahin-caha, l'occupant n'entendant rien a ces
affaires juives. Longtemps, le desagrement s'etait borne a l'humiliation
repetce de devoir en referer aux Gentils.
Cependant, avec Pilate, ce dispositif tendait, ces derniers temps, a
se compliquer. N'avait-il pas pretendu, cing ans plus tot, infirmer la
sentence que le Grand Pretre venait de porter, pour blaspheme, contre
un agitateur, I'un de ces rabbis illumines comme il en surgissait parfois
dans les campagnes et les cites ? Celui-la etait galileen, charpentier du
bourg de Nazareth. II s'appelait Jesus, fils de Joseph. II affirmait, il
n'etait pas le premier, etre le Messie qu'avaient annonce les prophetes.
Sa predication et une serie de miracles lui avaient valu la faveur du
peuple. Le Sanhedrin n'aimait pas ce genre d'activites, propres a
ebranler une situation tres fragile, qu'il gerait au mieux de ses interets,
tentant de tenir la balance egale entre l'autorite romaine et les
nouvements insurrectionnels qui s'imaginaient capables de retablir la
royaute d'Israel.
L'Homme de Nazareth devait fatalement, un jour ou l'autre, faire les
frais de cette politique, car il derangeait trop de gens. Au demeurant, il
fournissait a ses ennemis tous les arguments necessaires a sa perte. Ne
s'affirmait-il pas, non seulement le Messie, le Christ, l'Oint du Seigneur
annonce, mais le propre fils de Dieu ?
Blaspheme insensé qui avait souleve d'horreur les pretres et les
princes du peuple.
* Il merite la mort ! *
En convaincre le prefet Pontius Pilatus avait ete une autre affaire...
Une matinee entiere, de l'aube a midi, ce Gentil ignorant avait, pied
a pied, tente de sauver la vie du Galileen. < II n'a rien fait. Je ne trouve
en lui aucun motif de condamnation >>, n'avait-il cesse de repeter.
Romain stupide, incapable de reconnaitre le crime des crimes, le
blaspheme contre Yahve ! De quoi se melait-il ?
A la fin, en desespoir de cause, il avait fallu parler un langage que
cet Occidental a la cervelle epaisse fut susceptible de comprendre. L'on
avait requalifies le delit. Puisque Pontius Pilatus n'imputait pas a crime
l'effroyable pretention consistant a se dire fils de Dieu, I'on avait accuse
le Nazareen de s'etre dit roi des Juifs. En verite, c'etait autrement moins
grave, d'autant que, descendant de David, il pouvait y pretendre aussi
bien qu'un autre.
* Nous n'avons d'autre roi que Cesar. Qui se fait roi s'oppose a
Cesar. Et toi, si tu le relaches, tu n'es pas l'ami de Cesar ! >
A cet instant, les sanhedrites avaient eu la satisfaction de voir le
prefet blemir. L'on n'invoquait pas a la legere la lex Julia majestatis,
censee garantir le Senat et le peuple romain de tout affront, de toute
subversion. Datant des dernieres annees de la Republique, la loi de
majeste defendait desormais toute atteinte a la grandeur du prince,
garant de celle de Rome. En se proclamant roi des Juifs, le Galileen
s'etait pose en rival de Tibere et des divins Cesars ; en s'obstinant a
prendre sa defense, Pilate devenait son complice. Pour l'un et pour
I'autre, le droit romain prevoyait une sentence de mort. Chatiment que
Sejan, informe, aurait, selon son habitude, etendu a toute la famille du
prefet. Heureux moyen de faire main basse sur les fortunes des
supplicies".
Pris entre son sens de la justice, son intime conviction concernant
I'innocence du prevenu, et les vies de ses proches, le malheureux prefet
avait renonce a defendre, au peril de sa tete, un parfait inconnu. 11
avait laisse crucifier le Galileen ; mais pas de gaiete de cour.