Mode "je raconte ma vie"=on
J'espère que c'est intéressant bien que ce soit un peu long.
Je suis né dans une famille musulmane sunnite, en France, dont la langue maternelle n'était pas l'arabe.
J'ai fait connaissance de l'islam dès l'âge de 4 ans, via l'interdit du porc.
Je n'ai jamais été très pratiquant, notamment la prière.
Je ne comprenais rien à la signification de ces formules à réciter, à l'exception de la Fatiha :
Pourquoi fallait-il prononcer ça ?
Pourquoi en arabe et pas en français ?
Pourquoi fallait-il faire toute cette gymnastique en même temps ?
Pas de réponse, mais je n'ai jamais posé la question à qui que ce soit.
Heureusement, mes parents ne m'ont jamais forcé à faire la prière.
J'avais un livre pour apprendre à faire la prière, mais le dessin de la gestuelle me perturbait : il y avait un gamin en short (une horreur pour moi à cette époque), et il ne faisait pas exactement les mêmes gestes que mes parents.
Pourquoi ? Aucune idée.
Vers l'âge de 10 ans, j'ai eu une cassette à écouter sur un magnétophone (les jeunes générations ne savent peut-être pas ce que c'est
).
C'était en arabe, j'ai cru que c'était une cassette pour apprendre à faire la prière.
Au départ, ça commençait bien avec la Fatiha (en arabe), puis après ça ne ressemblait pas du tout au bouquin que j'avais pour apprendre à faire la prière.
Je n'ai rien compris à ce bazar, à cet âge je n'avais à peu près jamais entendu parler du Coran.
Vers l'âge de 16 ans, je suis tombé sur un exemplaire de l'évangile de Luc, que les propagandistes évangélistes laissaient dans les boîtes aux lettres.
Sa lecture m'a profondément perturbé.
Je ne suis pas devenu chrétien, ça n'aurait pas été accepté dans ma famille.
De toute façon, je n'avais pas envie de le devenir. Après tout, Jésus est aussi prophète en Islam.
Je suis devenu beaucoup plus croyant en Dieu, mais pas plus pratiquant pour autant.
Il y avait des choses que je ne comprenais pas : que signifiait l'expression "Fils de l'Homme" ? Pourquoi il n'y avait pas ça en Islam ?
Jésus avait fini crucifié selon les évangiles, mais pourquoi le Coran disait le contraire ?
Pas de réponse.
Mon père étant adepte du soufisme de 'Attar et Rumi, je me suis aussi tourné vers le soufisme vers la vingtaine.
Mais toujours pas plus pratiquant.
C'est aussi vers cet âge que j'ai lu pour la première fois le Coran en entier, en traduction française.
Avec une impression bizarre : était-je visé ou non par les diatribes contre les "mécréants", puisque je n'étais pas très pratiquant ?
Rumi parle aussi du djihad (au sens guerrier). Mais Attar et Rumi écrivaient à l'époque des conquêtes mongoles, extrêmement sanglantes (des millions de tués en quelques décennies).
Attar a été décapité par un soldat mongol, le protecteur de Rumi, l'émir d'Alep, est tué au combat contre les Mongols en tentant de défendre son territoire, donc les écrits de Rumi sur le sujet ne me choquaient pas particulièrement, d'autant qu'ils me semblaient assez mesurés.
D'un autre côté, il y avait les enseignements du soufisme à propos du Coran, avec les différents niveaux de sens exotériques et ésotériques du Coran.
En particulier, un des enseignements était que le sens exotérique est le "vêtement" du Coran, que chercher à le comprendre trop directement est comme lui arracher ses vêtements, et qu'alors le Coran se montre désagréable (c'est-à-dire, on est rebuté par ce qu'il dit).
Un autre enseignement, qu'on trouve chez 'Attar dans le Livre de l'Epreuve ou encore la Conférence des Oiseaux, ou encore dans des poèmes de Mansour al-Hallaj, est que Dieu a créé les mondes (pas le monde) pour se connaître Lui-même, et que tout ce qui arrive est destiné à contribuer à cette connaissance.
Chercher à connaître Dieu est un voyage initiatique qui amène à se connaître soi-même, et en se connaissant soi-même, on parvient à la connaissance de Dieu, parce qu'en réalité c'est la même chose.
Le degré de salut dans l'autre monde dépend du niveau de connaissance sur soi qu'on a provisionné pendant sa vie d'ici-bas.
Or pour atteindre la connaissance de soi-même, il faut arriver à identifier puis se débarrasser de ce qui n'est pas soi-même, depuis les biens matériels, jusqu'à son propre ego, appelé "nafs".
J'en suis donc venu à vivre une vie ascétique faite d'autant de renoncements que possible au monde.
D'autre part, ayant une formation scientifique, cet enseignement du soufisme m'a fait penser à certaines théories à l'intersection entre la physique et la théorie de l'information dans lesquelles l'Univers est comme un gigantesque ordinateur qui calcule sa propre évolution.
Je me suis lancé dans une quête d'une théorie physique du tout qui soit en ligne avec l'enseignement soufi.
J'avais même identifié des structures mathématiques candidates pour ça.
Mais l'ampleur et la complexité de la tâche m'a profondément déprimé, j'avais l'impression que ce que je faisais ne menait à rien, un écueil lui aussi identifié dans les écrits de Attar et Rumi.
J'ai alors commis la plus grosse erreur de mon existence jusqu'ici : me marier.
Les gars, et aussi les nanas, un conseil : quand vous êtes déprimés voire dépressifs, c'est surtout le plus mauvais moment pour vous marier car vous n'êtes psychologiquement pas en mesure d'identifier correctement les red flags de votre futur(e) partenaire, et après vous serez coincés et marqués pour longtemps.
En plus, j'ai choisi la difficulté en me mariant avec une femme au Maghreb alors que je vivais en France.
Pour en revenir à l'Islam, plusieurs choses à cette époque ont commencé à me mettre des doutes :
1. En étant immergé dans une société musulmane, j'ai pu remarquer à quel point les gens étaient capables de se nuire les uns aux autres (vol, corruption, détournement d'héritage, surtout au détriment des femmes, ...) tout en faisant scrupuleusement la prière, le ramadan, voire le pèlerinage, et en disant aux autres de le faire.
A quoi ça sert d'écouter en boucle le Coran si c'est pour voler son prochain dans le même temps ?
2. Il m'a fallu me reconvertir à l'Islam, faute de document officiel attestant que j'étais musulman (on appelle ça "confirmation" et non conversion, mais dans le déroulé, c'est identique).
C'est une affaire strictement d'ego, mais ça m'a excessivement énervé.
3. Mon épouse qui répétait en permanence que les Juifs sont maudits dans le Coran. Alors que mon père ou moi n'avions aucun problème pour acheter de la viande cachère si besoin.
4. Il y avait les débuts de Daech, et je me suis rendu compte que les mêmes anecdotes sur le Prophète ou ses compagnons utilisés dans les livres soufis que je lisais pouvaient être utilisés à l'autre extrémité du spectre, et parfois avec la même compréhension.
Autrement dit : pourquoi les mêmes textes, souvent compris de la même façon, peuvent-ils être utilisés de façons aussi opposées ?
Pas de réponse.
A ce stade, j'ai décidé de quitter l'Islam (de ne plus me considérer comme musulman) mais de garder une foi monothéiste, en considérant que l'Islam n'était qu'une révélation imparfaite sur Dieu.
Comme dans une histoire racontée par Rumi d'un éléphant que visitent dans le noir des personnes qui ne savent pas ce qu'est un éléphant.
En 2015, après les attentats du 13 Novembre au cours desquels une collègue a été tuée, j'ai souhaité étudier l'histoire de l'Islam et surtout du Coran pour comprendre comment on en était arrivé à ce genre de catastrophe.
En particulier, j'ai voulu savoir si les versets sur lesquels les terroristes s'appuyaient étaient d'origine ou si le Coran avait pu être altéré au cours des siècles pour lui rajouter ces versets.
Je savais déjà qu'il existait des théories quant à de possibles interpolations ou modifications tardives du Coran, certaines avancées à partir de la Tradition islamique, d'autres à partir d'hypothèses sur une origine syriaque du Coran, etc. Je voulais connaître l'état des connaissances dans ce domaine.
Je suis tombé en effet sur le coranisme et le problème des hadiths et des narrations qui influencent énormément la signification qu'on donne du Coran.
Il y a un certain nombre de raisons qui font que les hadiths ne sont pas pertinents pour comprendre le Coran, quand bien même il y a des parties dans le Coran qui semblent difficilement explicables.
C'est-à-dire, ce n'est pas parce qu'on n'arrive pas à expliquer ces passages à partir du Coran lui-même que les hadiths et autres narrations en donnent pour autant une bonne explication.
Le coranisme m'a semblé suffisamment intéressant pour me compter parmi ses adeptes pendant une certaine période.
Cependant pour bien comprendre le Coran, vu que les hadiths sont inopérants par leur mode d'élaboration, j'ai compris qu'il fallait que je cherche ailleurs:
* du côté de la pensée grecque antique, et en particulier Platon et le Timée, que le Coran cite quasi textuellement,
* du côté de la pensée judaïque antique (en majeure partie)
* des légendes indiennes (la légende des Sept Dormants vient du Mahabharata)
* éventuellement du côté du zoroastrisme, ainsi que de la pensée religieuse depuis plusieurs millénaires en Mésopotamie.
Un papier de recherche a été décisif : La pureté rituelle au Proche-Orient ancien,
voir
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423 ... 206_4_2524
Ce papier montre comment les dieux évoluaient au fur et à mesure que les hommes comprenaient mieux la nature, qu'ils devenaient de plus en plus abstraits.
Je suis devenu athée en comprenant ceci : nous nous accrochons à une idée, celle de Dieu, qui nous est induite (plus large que transmise) exclusivement sur la base de textes anciens, élaborés à des époques où nos connaissances scientifiques étaient rudimentaires, et pourtant déjà à ces époques, on réalisait qu'il fallait adapter les concepts de dieux face à une compréhension sans cesse meilleure de la nature.
Avec nos connaissances actuelles, seule une idée tellement abstraite de Dieu peut subsister qu'elle n'a plus aucun rapport avec ce que les hommes des époques précédentes pouvaient seulement concevoir dans leurs textes.
Les dieux des époques précédentes ne pouvaient donc pas exister au vu de nos connaissances actuelles, et donc par induction, pas plus un dieu compatible avec nos connaissances actuelles, puisque cette idée de dieu est perpétuée en suivant des textes anciens ou en réaction (par exemple le déisme) à des textes anciens.
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