Désordre hypothétique
Par Laurent Joffrin — 16 août 2016 à 20:41
Il faudrait avoir l’esprit particulièrement tordu pour soutenir que le port d’un vêtement qui couvre soigneusement toutes les parties du corps de la femme, y compris pour les bains de mer, serait une mode anodine ou, a fortiori, un vecteur d’émancipation féminine. Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un signe religieux ostentatoire qui renvoie à une interprétation rigoriste des textes sacrés et qui assigne à la femme un rôle second. Si tel n’était pas le cas, d’ailleurs, pourquoi ces prescriptions seraient-elles réservées aux femmes et non étendues aux hommes ? Longtemps, dans les sociétés de culture chrétienne, la même austérité malcommode était exigée des baigneuses qui s’aventuraient sur les plages, jusqu’à la libération des corps qui a marqué le XXe siècle.
Ces constatations d’évidence suffisent-elles à justifier l’interdiction du
burkini ou des vêtements longs sur les plages ? Dans un régime de libertés publiques, certainement pas. La diversité vestimentaire, quelles qu’en soient les raisons, est un droit élémentaire dans l’espace public, à quelques exceptions près (la nudité totale, réservée aux plages naturistes, ou bien la dissimulation du visage, contraire à la sécurité).
Certains maires invoquent l’ordre public. Mais les cas d’incidents violents sont rares et les arrêtés pris dans cette circonstance ne sauraient dépasser un délai très court. Aller au-delà, c’est créer une législation spéciale dirigée de manière discriminatoire contre une catégorie de citoyennes qu’on accuse en fait de délit d’opinion et qu’on punit à l’avance pour des troubles qu’elles n’ont pas causés et qui sont plutôt imputables à ceux qui s’en prennent à elles. C’est confondre victime et coupable. Ou encore, selon la formule classique, préférer une injustice immédiate à un désordre hypothétique.
Ces incidents sporadiques traduisent malheureusement un courant plus général et inquiétant. Dans les programmes et les propos de l’opposition, les mesures dirigées contre une partie des musulmans tendent à se multiplier. En invoquant l’atmosphère née des attentats islamistes, on parle d’interdire le voile à l’université, ou encore de refuser les menus de substitution dans les écoles. Comme si les terroristes allaient s’en trouver freinés… C’est au contraire favoriser leur propagande. En s’attaquant aux musulmans en général, on tend à les rejeter de la République. Alors que c’est en démontrant la réalité de leur intégration qu’on peut un jour assécher le vivier islamiste.
Laurent Joffrin