Mahomet et Israël
par le Rabbin André Chalom ZAOUI
Jérusalem, 1976
Extrait de la revue "SENS"
Juifs et chrétiens dans le monde aujourd'hui
Revue publiée par L'AMITIÉ JUDÉO-CHRÉTIENNE DE FRANCE
Le rabbin André C. ZAOUI
Toutes les religions, révélées et non révélées, comptent chacune plusieurs siècles et même plusieurs millénaires. Elles sont nées les unes et les autres, selon des circonstances historiques précises et toujours en réaction au mode de vie, aux us et coutumes et à la morale de l'époque.
C'est pourquoi, l'enseignement de chaque religion comporte une partie historique, une partie rituelle et une partie morale et spirituelle. La partie historique ou semi-historique, mythique ou semi-légendaire, raconte les circonstances miraculeuses de la naissance du fondateur de la religion, visionnaire ou prophète, de ses disciples ou du peuple qui en a suivi les enseignements.
Les circonstances font généralement que le prophète, le visionnaire ou ses disciples ne sont pas immédiatement suivis par la grande majorité de leurs contemporains. La tension qui en résulte peut parfois dégénérer en confit ou en opposition violente.
Dès lors, la nouvelle religion qui comporte toujours un caractère universaliste en plus de son particularisme propre. Ce phénomène entraîne et a souvent entraîné des guerres religieuses. Leurs motivations étaient activées par les principes de l'idéologie nouvelle qui dénonçaient les abus, les injustices, l'hypocrisie, l'idolâtrie, le fétichisme et le polythéisme des autres.
Il fallait dès lors, lutter pour sauvegarder la pureté et l'authenticité de la nouvelle doctrine. Des légions étaient levées parmi les croyants qui allaient combattre pour détruire les idées et les hommes et aussi leurs hommes - et aussi leurs temples - de ceux qui s'obstinaient dans leurs croyances ou refusaient la nouvelle religion proposée.
La domination des empires
Ainsi, les empires égyptien assyro-babylonien, grec et romain avaient entrepris des guerres de conquête pour s'étendre soit à l'Est et à l'Ouest, soit au Nord et au Sud, et pour imposer leur domination politique et religieuse. Tour à tour, les uns et les autres s'étaient abattus sur le petit pays d'Israël qui était à la croisée des chemins entre les trois continents où s'est développée la civilisation.
De fait, le monothéisme d'Israël n'était pas une idéologie conquérante qui devait se répandre, par la guerre, dans toutes les régions du Moyen-orient et encore moins, à tous les continents de la planète. La Bible dit bien que depuis Abraham, c'est dans les frontières du pays d'Israël que s'est répandu l'esprit prophétique : l'amour du Dieu Un, l'éthique de fraternité, de justice et d'amour. Cet esprit prophétique s'étendra à tous les peuples qui seront disposés à croire au Créateur du Ciel et de la Terre et à aimer le Père de tous les hommes.
Avec l’Évangile, l'idéologie religieuse connaît une tension très différente, puisqu'elle s'implanta surtout dans la Gentilité vivant à l'extérieur d'Israël.
Il appartint à Saint Paul d'aller convertir le monde gréco-romain, à la foi en Jésus, sauveur, homme-dieu et dieu fait homme. Lui et les apôtres, en pacifistes, entendaient convertir à Dieu, par le verbe et la persuasion.
Certains évêques et certains empereurs de la Gentilité entreprirent cependant la conversion de peuples nombreux, par la force et la guerre, au point qu'après avoir connu le martyre dans ses débuts, l'Eglise, devenue forte et puissante et alliée au pouvoir séculier, n'hésita pas à laisser martyriser ceux qui refusaient le baptême, même et surtout s'ils étaient juifs, de la souche dont étaient issus Jésus et ses disciples.
Les guerres "saintes"
L'Islam, dernière née des trois religions révélées, a connu très rapidement de grands succès puisque déjà, durant la vie du Prophète et bientôt des califes, des centaines et des milliers de nouveaux adeptes anciennement païens furent convaincus de la religion du Coran, soit par la prédication, soit par les razzias, soit par la guerre.
A l'inverse du Judaïsme, le Christianisme et l'Islam ont bénéficié de circonstances historiques précises qui devaient les mener à la conquête de vastes territoires et à la conversion de nations multiples. Si bien qu'entre le VIIe siècle et le XVIe siècle, la lutte fut âpre entre ces deux religions issues du Judaïsme. Il s'en fallut de peu, en effet, qu'après 732, n'était la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins, toute l'Europe fût islamisée comme l'avaient été une grande partie de l'Espagne, la presque totalité de l'Afrique du Nord et de l'Orient. De même, il s'en fallut de peu qu'après la bataille de Vienne (1683), n'était la disparition du péril ottoman, l'Europe fût aussi islamisée. Depuis le XVIIe siècle néanmoins, Christianisme et Islam se sont résignés à la coexistence, puisque ni l'un ni l'autre n'avait obtenu de victoire décisive et définitive. Mais alors que plusieurs pays européens, africains et asiatiques, abritèrent les peuples chrétiens et musulmans, le peuple juif connut une diaspora multiple et des persécutions sans nombre. Ses fils regardaient à travers les yeux de leurs coeurs, vers Sion. Ils ne cessaient de souhaiter la restauration de Jérusalem et de prier pour le rassemblement des exilés, dans la Ville même qu'avait chantée David.
Cette Diaspora juive, commencée il y a deux mille cinq cents ans, se regroupe en effet progressivement en Israël, depuis le début du siècle et, notamment, depuis la renaissance de l'Etat, en 1948.
La Terre et les continents
Il faut noter que ni le Coran ni le Nouveau Testament ne s'arrêtent à un pays donné, comme devant être le Centre spirituel des fidèles musulmans ou chrétiens, tandis que la Bible décrit dans presque toutes ses pages, le but de la sortie d'Egypte, qui est l'installation d'Israël dans la Terre des Ancêtres avec les ultimes accomplissements qui s'y dérouleront. Certes, le Christianisme considère Jérusalem avec nostalgie, comme ayant été la "terre de salut" à partir de laquelle le ministère humain de Jésus s'est développé. Mais l'Eglise tient jalousement son siège apostolique à Rome où fut martyrisé l'apôtre Pierre. De surcroît, l'Europe et l'Amérique comptent essentiellement des nations chrétiennes et le Christianisme n'a jamais prétendu à une quelconque patrie nationale. De même, pour l'Islam, La Mecque demeure la première Cité sainte d'où est parti le message du Prophète. Médine, où est enterré le Prophète, passe en second. En troisième position seulement, vient Jérusalem (1) comme ville sainte dans la tradition musulmane post-coranique et, en quatrième, Damas.
Par ailleurs, un des cinq commandements religieux du musulman est le pèlerinage "hadj" à La Mecque et non pas à Jérusalem. Somme toute, l'Islam ne compte pas non plus de patrie nationale.
Il faut rappeler qu'au début de son ministère, Mahomet, ami des juifs mecquois, avait préconisé, selon la tradition coranique, à ses disciples, de se tourner pour la prière vers Jérusalem, mais il rectifia bientôt et de diriger la "Qibla" des mosquées vers La Mecque où est né l'Islam. Par ailleurs, ce n'est pas un effet du hasard si le Judaïsme - la religion biblique mère - ne compte en cette fin de siècle qu'à peine quatorze millions d'âmes qui peuvent, au moins pour moitié, habiter l'Etat d'Israël, tandis que le Christianisme compte, protestants et catholiques compris, plus d'un milliard de fidèles qui peuplent de vastes territoires de plusieurs continents et l'Islam, plus de cinq cents millions d'âmes répandues aussi sur plusieurs continents de la planète. Il n'est vraiment point besoin, ni aux Chrétiens ni aux Musulmans, d'ajouter à leurs territoires, un pays aussi étroit que la Terre d'Israël qui a été et qui est le seul territoire national du peuple juif.
Le Coran et la Bible
En outre, comme la religion chrétienne, la religion musulmane ne peut oublier qu'elle est la fille de la religion juive et, comme le Nouveau Testament chrétien, le Coran s'est indiscutablement édité sur la base de la Bible juive. A ce seul titre, pour reprendre un mot de Jules Isaac, "le Judaïsme doit inspirer le respect". C'est au même Jules Isaac que nous emprunterons - en les adaptant à l'Islam - plusieurs propositions de son livre JÉSUS ET ISRAEL (2), par lesquelles (3) il avait défini les rapports judéo-chrétiens. Cette base peut définir aussi, à partir du Coran et de la prédication du Prophète, les rapports judéo-musulmans et, par extension, des rapports israélo-arabes.
La religion musulmane est fille de la religion juive. Le Coran s'est édifié sur la base de la Bible juive.
Le Prophète Mahomet, envoyé d'Allah, pour les Musulman, fut très lié dans sa vie, avec les juifs. C'est là un fait que nul musulman n'a le droit d'ignorer.
...Quels que soient les péchés d'Israël, il est innocent, pleinement innocent des crimes dont l'accusent les peuples arabes. Il n'a pas rejeté Mahomet ni l'Islam. Bien au contraire, les théologiens juifs affirment que l'Islam est un pas en avant vers l'ère messianique universelle. Par ailleurs, Mahomet non plus n'a pas rejeté Israël et ne l'a jamais maudit dans sa totalité. Bien au contraire, il reconnaît sans cesse l'authenticité du message des ancêtres du peuple juif, d'Abraham, de Moïse et des Prophètes. Cela implique évidemment la reconnaissance de l'ensemble du message biblique qui est entièrement dirigé vers le pays d'Israël, lieu central et théologico-politique de la résurrection de ce peuple, où viendront aussi toutes les nations de la terre, adorer le même Dieu d'Abraham.
A quand un "Jean XXIII" musulman ?
Par ailleurs, s'il se levait aujourd'hui en Islam, un Imâm courageux, un grand spirituel, comme Jean XXIII, il y a seize ans, en Chrétienté, il enseignerait, non plus le mépris des juifs et d'Israël, mais l'amour du peuple d'Abraham, d'Isaac et de Jacob revenu dans sa terre. Il rappellerait que ce peuple a été le premier porteur de la Parole du Dieu Unique, Parole qui, seulement vingt-cinq siècles après Abraham et Moïse, a été enseignée par Mahomet, aux peuples arabes païens devenus musulmans.
Il inviterait les chefs religieux de toutes les sections de l'Islam à insister d'une manière pressante, sur deux au moins des cinq devoirs essentiels du musulman : la charité et la prière. Il rappellerait en outre, aux fidèles, les deux attributs essentiels d'Allah, le Clément et le Miséricordieux, tels qu'ils sont enseignés dans le Coran, dans la Tora et l'Evangile.
Il répèterait la leçon coranique du Prophète Mahomet, au sujet du mépris des biens matériels de ce monde, comparativement à la richesse incommensurable de l'Autre monde.
Ce grand spirituel musulman reprendrait les différentes Sourates du Coran où il est question des Enfants d'Israël et de la Loi donnée à eux par Dieu, et dans laquelle sont racontées, dans le menu détail, l'histoire de Joseph (Sourate 12) ; celle d'Abraham (Sourate 14) ; celle de Jonas (Sourate 10) ; celle des Prophètes Noé, Moïse, Aaron, David, Salomon, Elie, Job (Sourates 20 et 21) etc...
Enfin, il ferait reconnaître la dette de l'Islam envers le Judaïsme, et de tous les musulmans envers les juifs.
Il soulignerait les faits importants tels que :
1. Jamais le Verbe d'Allah transmis au Prophète n'a promis au Peuple musulman le pays d'Israël ni sa capitale, Jérusalem. Au contraire, le Coran insiste sur l'origine divine de la Loi de Moïse qui est dite : "une lumière et un guide pour les hommes". Or, il n'est pas de page dans cette Loi qui ne dise et redise que la Terre Sainte demeure la terre d'élection bénie par Dieu (Sourate 21, 71) et promise aux Enfants d'Israël libérés de l'esclavage d'Egypte (Sourates 5, 24 ; 7, 132 et 17, 106).
2. Le retour, après dix-neuf siècles d'exil, du peuple juif dans sa Terre qu'il n'avait d'ailleurs jamais quittée tout à fait, est une confirmation des prophéties bibliques, depuis la promesse faite à Abraham, et par là-même, une confirmation de la vérité de la Parole de Dieu transmise successivement dans la Tora, le Nouveau Testament et le Coran.
3. Le problème des réfugiés arabes palestiniens doit trouver sa solution dans des négociations pacifiques faites sous le signe d'Abraham et du Dieu Unique qui s'est révélé à lui, et dans le cadre d'une politique fraternelle qui tienne compte des réalités suivantes :
a) les richesses du sous-sol dont disposent les arabes sont fabuleuses et incalculables par rapport à l'aridité du sol pierreux de la Terre d'Israël ;
b) les juifs ne comptent dans le monde que quatorze millions d'âmes et les musulmans, plus de cinq cents millions, soit trente-six fois plus ;
c) de la totalité des terres nationales des Etats arabes et de l'Etat d'Israël, ce dernier ne compte qu'à peine 1 %, tandis que les Etats arabes totalisent 99 % ;
d) le peuple israélien (environ trois millions) est composé essentiellement de rescapés des chambres à gaz, de réfugiés d'Europe centrale et des pays arabes. Ils sont de la lignée d'Abraham, d'lsaac et de Jacob, de Moïse et des Prophètes dont reparle cent fois le Coran ;
e) aucun peuple, comme le peuple juif, n'a souffert à travers l'Histoire, pour son existence et pour sa foi religieuse ; aucun peuple n'a compté ni ne compte autant de martyrs ;
f) Israël revient en paix dans la Terre de ses Pères, dans laquelle il a entrepris déjà depuis près d'un siècles de faire refleurir le désert, selon la prophétie biblique, et de préparer la voie spirituelle du salut universel dans la Jérusalem qui sera "la maison de prières pour toutes les nations"
Le Dieu d'Abraham
Puissent les arabes qui représentent le cinquième de l'ensemble des musulmans dans le monde, reconnaître cette réalité. Qu'ils reviennent davantage à leur foi islamique et qu'ils examinent, au nom même d'Abraham, les possibilités d'accords avec l'Etat d'lsraël, pour le bien de cette région du monde - berceau de la civilisation judéo-islamo-chrétienne - et pour la paix fraternelle entre tous les hommes. "N'avons-nous pas tous un seul Père, n'est-ce pas qu'un seul Dieu nous a créés ?" (Malachie 2, 10).
Nous reprendrons ici l'exhortation de Jules Isaac : "A l'heure présente où la faim d'une part, et d'autre part, la terreur nucléaire semblent peser sur l'humanité tout entière, le devoir de purification et de réconciliation est pressant, que dicte à chacun d'entre nous tous, la méditation d'Auschwitz", du Biafra et du Vietnam, ajouterons-nous.
Ce même Jules Isaac qu'avait si bien compris le Pape Jean XXIII, avait écrit avec raison que "l'enseignement seul est apte à défaire ce que l'enseignement a fait".
AJCF
Notes
(1)
Il est important de noter que le nom de Jérusalem ne figure pas du tout dans le Coran, ni sous la forme hébraïque, ni sous sa forme arabe : al-kuds (la sainte) alors que la Bible hébraïque le cite 670 fois (et Sion, 150 fois).
(2)
Albin Michel, Paris 1948.
(3)
Le texte de Jules Isaac est en italique