LA TRAGEDIE DES ATHEES ...................
Posté : 16 mai06, 02:23
LA TRAGEDIE DES ATHEES DE L'ISLAM
LES MARTYRS D'AUJOURD'HUI, LES INCROYANTS et les PROGRESSISTES
Du Maghreb au Proche-Orient, ils sont des millions à surfer sur Internet pour tromper la censure. Pourchassés dans leurs pays, ignorés en Europe, ils forment l'armée des ombres qui se bat pour les Lumières.
Si on nous donnait la parole, en une nuit, nous serions 30 millions!» L'homme qui parle est un athée palestinien. En Jordanie, où il vit, personne ne doit soupçonner sa volonté farouche d'en finir avec l'obscurantisme. Il anime un de ces réseaux - chabaka en arabe - qui jettent sur la vaste mer d'Internet les SOS de la libre-pensée. Son nom, il doit le taire. Il ne trouverait grâce ni devant le palais royal à Amman, théoriquement ennemi de l'intégrisme, ni devant les organisations palestiniennes, même celles opposées au Hamas. Les athées de l'islam vivent dans la plus haute des solitudes et la plus opaque des peurs. Pourtant, ils surfent avec ivresse, du Maghreb au Proche-Orient, à la rencontre de ceux qui leur ressemblent, armée des ombres bataillant pour les Lumières.
Ils n'ont pas oublié, eux, que l'histoire de leur civilisation regorgeait d'étincelants incroyants. «Sourd à la religion, tel est mon credo», scandait au XIIe siècle le Persan Omar Khayyam, l'un des plus grands poètes de la culture islamique. Les tartufes iraniens le traitent aujourd'hui de «nihiliste égaré»! «Il n'est d'imam que la raison», écrivait fiévreusement, au XIe siècle, le Syrien Al-Maari, poète lui aussi. Est-ce la mémoire de ce lointain compatriote qui a poussé un Syrien d'aujourd'hui à monter le plus important réseau athée du monde musulman? Cet avocat de 34 ans, Chihab el-Dimeshki, décide, lui, de livrer son identité. Il y a six ans, il lance le site ladeeni.net. Traduction: «les non-religieux». Il fallait oser, dans une Syrie travaillée dans ses tréfonds par l'islamisme. L'homme a publié des contes, travaille à un ouvrage sur Mahomet, à une recherche sur les mouvements intégristes de son pays. Sur son site se succèdent les forums les plus incroyables de ces terres d'obscures croyances. Seule religion affichée ici: l'esprit critique.
Etouffement de la parole laïque
«1 113 010 visiteurs se sont branchés sur le site depuis son ouverture, il a reçu 132 589 messages et le forum compte 4693 membres», recense à Paris Samia Labidi, qui travaille en connexion avec tous les sites athées du monde islamique.
Cette jeune femme a du cran: avec une dizaine de bénévoles, elle a lancé l'association Aime («d'Ailleurs et d'Ici Mais Ensemble»), un site et un magazine (Electrochoc) sur Internet. Elle veut porter la parole laïque et athée partout où on veut l'étouffer. D'origine tunisienne, Samia Labidi a vu l'obscurantisme de près. Sa famille a été infiltrée par l'islamisme, son frère Karim recruté par les réseaux intégristes. «Nous avons réussi à nous en sortir et nous avons décidé de le combattre.» Karim Labidi, qui a pu s'arracher à l'emprise des fous de Dieu, anime aujourd'hui de Tunis le site islamla, strictement censuré depuis l'affaire des caricatures. Car plus aucun site critique ne rentre en Tunisie. Comme tous les internautes athées, de Damas à Casablanca, de Karachi à Djedda, islamla et ladeeni changent constamment d'hébergeur. Course folle sur le Web, en arabe, en français, pour contourner la censure. Preuves par millions que l'incroyance n'est pas une affaire occidentale, mais la manifestation universelle du droit à être soi-même.
Qui les soutient? Ni l'Amérique bigote ni l'Europe craintive. Car Javier Solana, le représentant de l'Union européenne, est tout près d'accéder aux demandes du cheikh d'Al-Azhar, la célèbre université islamique du Caire, et du ministre égyptien des Affaires étrangères: «soutenir à l'ONU une résolution du Conseil de sécurité contre les atteintes aux prophètes». Tous les prophètes, bien sûr... Dans leur vaste offensive contre l'humanisme, les religions et les religieux ultras s'accordent pour vouer les athées à l'enfer.
CEUX QU'ON PERSECUTE
Ces hommes risquent ou donnent leur vie pour la liberté de pensée. L'Occident ferme les yeux sur leur combat comme sur leur sacrifice. Raison de plus pour que «Marianne» leur rende hommage.
Nabil el-Fayadh
Chercheur et écrivain syrien. Il a rédigé des centaines d'articles, et il est auteur de plusieurs ouvrages interdits en Syrie et dans la plupart des pays arabes. Il a été arrêté par les services de renseignements le 30 octobre 2004 à Damas. Comme lors des précédentes interpellations, l'incarcération fait suite aux plaintes déposées par l'un des «savants» en religion les plus intégristes, Mohammed Saïd Ramadan el-Bouti, de l'université de la Charia de Damas. Il a par ailleurs été menacé de mort à plusieurs reprises par le cheikh wahhabite Khatib Khodra.
Mohamed el-Harbi
Enseignant saoudien. Vient d'être condamné à 750 coups de fouet, trois ans et quatre mois de prison pour «atteinte à l'intégrité de l'islam».
Mohamed el-Souheimi
Enseignant saoudien. Condamné à 300 coups de fouet, trois ans de prison et interdiction d'exercer pour apostasie.
Ahmed el-Baghdadi
Enseignant koweïtien. Accusé de «dévalorisation de la religion», il a été arrêté à plusieurs reprises.
Nasr Abou Zeid
Ce brillant essayiste égyptien, auteur d'une célèbre Critique du discours religieux (traduit en France chez Actes Sud) a dû s'exiler, accusé d'apostasie par les islamistes qui exigeaient de sa femme qu'elle divorce.
Sadik Jellal el-Adham
Ecrivain libanais, violemment attaqué pour son livre intitulé Critique de l'esprit religieux.
Farag Foda
Journaliste et écrivain égyptien. Assassiné en juin 1992 après avoir publié la Vérité absente qui critiquait l'islam et l'islamisme. Le cheikh de la mosquée d'AI-Azhar, au Caire, l'avait dénoncé quelques jours auparavant comme «apostat».
Abdallah el-Kouseimi
Ce Saoudien a d'abord été un ouléma classique avant d'entamer sa révolution personnelle. Devenu athée, il a vécu toute sa vie dans la clandestinité, mais a réussi à financer un réseau athée. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, il est mort en 2002. Son fils a repris le flambeau de la libre croyance, au Liban cette fois.
Turan Dursun
Ancien mufti turc devenu athée. Assassiné par des islamistes.
Et tous ceux qui sont cités dans le livre d'Ibn Warraq, Leaving Islam. Apostates Speak Out («Quitter l'islam. Les apostats parlent»). Malheureusement non traduit en français. Consulter le site www.prometheusbooks.com? -
La traque ou l'exil
C'est cet enfer que décrit Ibn Warraq, pseudo d'un intellectuel pakistanais qui a quitté l'islam, dans son dernier livre, Les apostats parlent, où témoigne aussi Samia Labidi. De l'Iranien Ali Sina au Pakistanais Yunes Sheikh, en passant par l'Irakienne Houzan Mahmoud, tous racontent la persécution acharnée, la solitude, et finalement l'exil pour les plus chanceux. Jusqu'en France, cette parole fait peur. Samia Labidi ou Tewfik Allal, qui a fondé le Manifeste des libertés au moment où les voilées défilaient en rangs serrés pour le droit de porter le hidjab à l'école, ne bénéficient d'aucun soutien. Alors que les débats théologiques embouteillent les antennes, les athées de l'islam sont considérés comme une mince poignée d'hurluberlus. Seules Caroline Fourest et Fiammetta Venner, analystes de la tentation obscurantiste, osent titrer dans leur revue Prochoix: «On peut naître musulman et choisir d'être athée». Mais le magazine le Monde des religions, dans sa dernière livraison consacrée aux athées, ne dit pas un mot de leur histoire, de leur combat et de leur martyre en terre d'islam!
Il faut donc redonner, inlassablement, des noms à cette saga réduite au mutisme et à l'anonymat. La liste que nous dressons ci-contre est, hélas, loin d'être exhaustive. A l'instant même où nous écrivons, les arrestations pour blasphème au Pakistan et les décapitations pour apostasie en Arabie Saoudite se poursuivent. Le nouvel Irak qui, en ce domaine comme dans les autres, ne se distingue guère de l'ancien fait la chasse aux esprits libres. L'Egypte, d'où fusent sur les sites tant d'appels à la libre-pensée (lire les extraits des blogs, ci-contre), baisse le rideau de fer sur ses élans réformateurs d'antan.
En 1992, au Caire, des milliers d'hommes et de femmes se pressaient à l'enterrement de Farag Foda, intellectuel laïc assassiné par les intégristes. Pourraient-ils aujourd'hui sortir à visage découvert?
Prôner la liberté d'expression
Diffuser les idées et les analyses des militants de «la foi en l'humain», comme se définissent les athées de l'islam, n'est pas seulement un acte de solidarité. Leur lecture politique de la crise du monde islamique se révèle passionnante. Ainsi, qu'écrit le Syrien Chihab el-Dimeshki de la fameuse séparation de la religion et de l'Etat? «En Occident, l'urgence était de séparer l'Eglise de l'Etat puisque le pouvoir de l'Eglise empiétait sur les décisions politiques. Chez nous, la situation est tout autre: il faut séparer la Mosquée du peuple, le pouvoir des savants religieux sur les simples d'esprit!» L'animateur du réseau athée se méfie de cette feinte brise de démocratie qui, en réalité, ravive les ambitions intégristes. «Il faut aider le peuple à penser par lui-même en prônant la liberté d'expression, seule voie qui lui permette d'apprendre ce qu'est la démocratie, avant de la lui proposer sans transition pour ouvrir les portes du pouvoir aux islamistes», poursuit El-Dimeshki.
A l'heure où la Syrie prend le voile, où le parti Baas au pouvoir depuis si longtemps et à l'agonie instrumentalise les attaques contre les ambassades occidentales, c'est de ce site d'incroyants que jaillit l'appel le plus lucide lancé à notre monde: «L'Occident est piégé entre les dictatures en place et l'arrivée des islamistes. Il devrait tendre la main aux esprits libres, seul choix face à cette impasse.»
Qui osera entendre et soutenir l'athée de Damas? -
Vivre cachés à Montréal comme à... Alger!
De notre correspondant au Canada Karim Aït Oumeziane
La pression de la tradition musulmane trouve le moyen de s'exercer sur vous, même à l'autre bout de la planète!» ironise Youcef, pour justifier le mutisme qu'il observe encore sur son athéisme, dix ans après avoir immigré au Québec. Pour cet ancien monteur de la télé algérienne reconverti en chauffeur de taxi à Montréal, «se déclarer athée, c'est s'exclure soi-même de sa communauté». Rares, en effet, sont les musulmans du Canada en délicatesse avec l'islam à oser s'exprimer librement.
Sofia, 38 ans, journaliste originaire du Maghreb, est, elle aussi, en rupture de ban avec la religion de Mahomet:
«Même si je n'hésite pas à manger et à fumer publiquement pendant le ramadan, je me sens encore souvent très mal à l'aise. L'éducatrice - musulmane - de la crèche que fréquente ma fille m'a prise à l'écart pour me rapporter, d'un air indigné, que mon enfant lui avait affirmé que Dieu n'existait pas. J'ai rougi et bafouillé. Ça peut sembler lâche, mais on ne se libère pas du jour au lendemain des réflexes hérités de l'éducation religieuse imposée dans nos pays.» D'autres avancent le risque d'une contagion islamiste, sur la toile de fond du laxisme multiculturaliste.
«N'oublions pas que l'Ontario a failli autoriser la création de tribunaux islamiques!» rappelle Mina, une ex-communiste algérienne arrivée au Québec au plus fort de la guerre civile qui a déchiré son pays. Pourtant, le Canada vient de permettre le mariage homo. Les gays plus chanceux que les athées?
LES MARTYRS D'AUJOURD'HUI, LES INCROYANTS et les PROGRESSISTES
Du Maghreb au Proche-Orient, ils sont des millions à surfer sur Internet pour tromper la censure. Pourchassés dans leurs pays, ignorés en Europe, ils forment l'armée des ombres qui se bat pour les Lumières.
Si on nous donnait la parole, en une nuit, nous serions 30 millions!» L'homme qui parle est un athée palestinien. En Jordanie, où il vit, personne ne doit soupçonner sa volonté farouche d'en finir avec l'obscurantisme. Il anime un de ces réseaux - chabaka en arabe - qui jettent sur la vaste mer d'Internet les SOS de la libre-pensée. Son nom, il doit le taire. Il ne trouverait grâce ni devant le palais royal à Amman, théoriquement ennemi de l'intégrisme, ni devant les organisations palestiniennes, même celles opposées au Hamas. Les athées de l'islam vivent dans la plus haute des solitudes et la plus opaque des peurs. Pourtant, ils surfent avec ivresse, du Maghreb au Proche-Orient, à la rencontre de ceux qui leur ressemblent, armée des ombres bataillant pour les Lumières.
Ils n'ont pas oublié, eux, que l'histoire de leur civilisation regorgeait d'étincelants incroyants. «Sourd à la religion, tel est mon credo», scandait au XIIe siècle le Persan Omar Khayyam, l'un des plus grands poètes de la culture islamique. Les tartufes iraniens le traitent aujourd'hui de «nihiliste égaré»! «Il n'est d'imam que la raison», écrivait fiévreusement, au XIe siècle, le Syrien Al-Maari, poète lui aussi. Est-ce la mémoire de ce lointain compatriote qui a poussé un Syrien d'aujourd'hui à monter le plus important réseau athée du monde musulman? Cet avocat de 34 ans, Chihab el-Dimeshki, décide, lui, de livrer son identité. Il y a six ans, il lance le site ladeeni.net. Traduction: «les non-religieux». Il fallait oser, dans une Syrie travaillée dans ses tréfonds par l'islamisme. L'homme a publié des contes, travaille à un ouvrage sur Mahomet, à une recherche sur les mouvements intégristes de son pays. Sur son site se succèdent les forums les plus incroyables de ces terres d'obscures croyances. Seule religion affichée ici: l'esprit critique.
Etouffement de la parole laïque
«1 113 010 visiteurs se sont branchés sur le site depuis son ouverture, il a reçu 132 589 messages et le forum compte 4693 membres», recense à Paris Samia Labidi, qui travaille en connexion avec tous les sites athées du monde islamique.
Cette jeune femme a du cran: avec une dizaine de bénévoles, elle a lancé l'association Aime («d'Ailleurs et d'Ici Mais Ensemble»), un site et un magazine (Electrochoc) sur Internet. Elle veut porter la parole laïque et athée partout où on veut l'étouffer. D'origine tunisienne, Samia Labidi a vu l'obscurantisme de près. Sa famille a été infiltrée par l'islamisme, son frère Karim recruté par les réseaux intégristes. «Nous avons réussi à nous en sortir et nous avons décidé de le combattre.» Karim Labidi, qui a pu s'arracher à l'emprise des fous de Dieu, anime aujourd'hui de Tunis le site islamla, strictement censuré depuis l'affaire des caricatures. Car plus aucun site critique ne rentre en Tunisie. Comme tous les internautes athées, de Damas à Casablanca, de Karachi à Djedda, islamla et ladeeni changent constamment d'hébergeur. Course folle sur le Web, en arabe, en français, pour contourner la censure. Preuves par millions que l'incroyance n'est pas une affaire occidentale, mais la manifestation universelle du droit à être soi-même.
Qui les soutient? Ni l'Amérique bigote ni l'Europe craintive. Car Javier Solana, le représentant de l'Union européenne, est tout près d'accéder aux demandes du cheikh d'Al-Azhar, la célèbre université islamique du Caire, et du ministre égyptien des Affaires étrangères: «soutenir à l'ONU une résolution du Conseil de sécurité contre les atteintes aux prophètes». Tous les prophètes, bien sûr... Dans leur vaste offensive contre l'humanisme, les religions et les religieux ultras s'accordent pour vouer les athées à l'enfer.
CEUX QU'ON PERSECUTE
Ces hommes risquent ou donnent leur vie pour la liberté de pensée. L'Occident ferme les yeux sur leur combat comme sur leur sacrifice. Raison de plus pour que «Marianne» leur rende hommage.
Nabil el-Fayadh
Chercheur et écrivain syrien. Il a rédigé des centaines d'articles, et il est auteur de plusieurs ouvrages interdits en Syrie et dans la plupart des pays arabes. Il a été arrêté par les services de renseignements le 30 octobre 2004 à Damas. Comme lors des précédentes interpellations, l'incarcération fait suite aux plaintes déposées par l'un des «savants» en religion les plus intégristes, Mohammed Saïd Ramadan el-Bouti, de l'université de la Charia de Damas. Il a par ailleurs été menacé de mort à plusieurs reprises par le cheikh wahhabite Khatib Khodra.
Mohamed el-Harbi
Enseignant saoudien. Vient d'être condamné à 750 coups de fouet, trois ans et quatre mois de prison pour «atteinte à l'intégrité de l'islam».
Mohamed el-Souheimi
Enseignant saoudien. Condamné à 300 coups de fouet, trois ans de prison et interdiction d'exercer pour apostasie.
Ahmed el-Baghdadi
Enseignant koweïtien. Accusé de «dévalorisation de la religion», il a été arrêté à plusieurs reprises.
Nasr Abou Zeid
Ce brillant essayiste égyptien, auteur d'une célèbre Critique du discours religieux (traduit en France chez Actes Sud) a dû s'exiler, accusé d'apostasie par les islamistes qui exigeaient de sa femme qu'elle divorce.
Sadik Jellal el-Adham
Ecrivain libanais, violemment attaqué pour son livre intitulé Critique de l'esprit religieux.
Farag Foda
Journaliste et écrivain égyptien. Assassiné en juin 1992 après avoir publié la Vérité absente qui critiquait l'islam et l'islamisme. Le cheikh de la mosquée d'AI-Azhar, au Caire, l'avait dénoncé quelques jours auparavant comme «apostat».
Abdallah el-Kouseimi
Ce Saoudien a d'abord été un ouléma classique avant d'entamer sa révolution personnelle. Devenu athée, il a vécu toute sa vie dans la clandestinité, mais a réussi à financer un réseau athée. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, il est mort en 2002. Son fils a repris le flambeau de la libre croyance, au Liban cette fois.
Turan Dursun
Ancien mufti turc devenu athée. Assassiné par des islamistes.
Et tous ceux qui sont cités dans le livre d'Ibn Warraq, Leaving Islam. Apostates Speak Out («Quitter l'islam. Les apostats parlent»). Malheureusement non traduit en français. Consulter le site www.prometheusbooks.com? -
La traque ou l'exil
C'est cet enfer que décrit Ibn Warraq, pseudo d'un intellectuel pakistanais qui a quitté l'islam, dans son dernier livre, Les apostats parlent, où témoigne aussi Samia Labidi. De l'Iranien Ali Sina au Pakistanais Yunes Sheikh, en passant par l'Irakienne Houzan Mahmoud, tous racontent la persécution acharnée, la solitude, et finalement l'exil pour les plus chanceux. Jusqu'en France, cette parole fait peur. Samia Labidi ou Tewfik Allal, qui a fondé le Manifeste des libertés au moment où les voilées défilaient en rangs serrés pour le droit de porter le hidjab à l'école, ne bénéficient d'aucun soutien. Alors que les débats théologiques embouteillent les antennes, les athées de l'islam sont considérés comme une mince poignée d'hurluberlus. Seules Caroline Fourest et Fiammetta Venner, analystes de la tentation obscurantiste, osent titrer dans leur revue Prochoix: «On peut naître musulman et choisir d'être athée». Mais le magazine le Monde des religions, dans sa dernière livraison consacrée aux athées, ne dit pas un mot de leur histoire, de leur combat et de leur martyre en terre d'islam!
Il faut donc redonner, inlassablement, des noms à cette saga réduite au mutisme et à l'anonymat. La liste que nous dressons ci-contre est, hélas, loin d'être exhaustive. A l'instant même où nous écrivons, les arrestations pour blasphème au Pakistan et les décapitations pour apostasie en Arabie Saoudite se poursuivent. Le nouvel Irak qui, en ce domaine comme dans les autres, ne se distingue guère de l'ancien fait la chasse aux esprits libres. L'Egypte, d'où fusent sur les sites tant d'appels à la libre-pensée (lire les extraits des blogs, ci-contre), baisse le rideau de fer sur ses élans réformateurs d'antan.
En 1992, au Caire, des milliers d'hommes et de femmes se pressaient à l'enterrement de Farag Foda, intellectuel laïc assassiné par les intégristes. Pourraient-ils aujourd'hui sortir à visage découvert?
Prôner la liberté d'expression
Diffuser les idées et les analyses des militants de «la foi en l'humain», comme se définissent les athées de l'islam, n'est pas seulement un acte de solidarité. Leur lecture politique de la crise du monde islamique se révèle passionnante. Ainsi, qu'écrit le Syrien Chihab el-Dimeshki de la fameuse séparation de la religion et de l'Etat? «En Occident, l'urgence était de séparer l'Eglise de l'Etat puisque le pouvoir de l'Eglise empiétait sur les décisions politiques. Chez nous, la situation est tout autre: il faut séparer la Mosquée du peuple, le pouvoir des savants religieux sur les simples d'esprit!» L'animateur du réseau athée se méfie de cette feinte brise de démocratie qui, en réalité, ravive les ambitions intégristes. «Il faut aider le peuple à penser par lui-même en prônant la liberté d'expression, seule voie qui lui permette d'apprendre ce qu'est la démocratie, avant de la lui proposer sans transition pour ouvrir les portes du pouvoir aux islamistes», poursuit El-Dimeshki.
A l'heure où la Syrie prend le voile, où le parti Baas au pouvoir depuis si longtemps et à l'agonie instrumentalise les attaques contre les ambassades occidentales, c'est de ce site d'incroyants que jaillit l'appel le plus lucide lancé à notre monde: «L'Occident est piégé entre les dictatures en place et l'arrivée des islamistes. Il devrait tendre la main aux esprits libres, seul choix face à cette impasse.»
Qui osera entendre et soutenir l'athée de Damas? -
Vivre cachés à Montréal comme à... Alger!
De notre correspondant au Canada Karim Aït Oumeziane
La pression de la tradition musulmane trouve le moyen de s'exercer sur vous, même à l'autre bout de la planète!» ironise Youcef, pour justifier le mutisme qu'il observe encore sur son athéisme, dix ans après avoir immigré au Québec. Pour cet ancien monteur de la télé algérienne reconverti en chauffeur de taxi à Montréal, «se déclarer athée, c'est s'exclure soi-même de sa communauté». Rares, en effet, sont les musulmans du Canada en délicatesse avec l'islam à oser s'exprimer librement.
Sofia, 38 ans, journaliste originaire du Maghreb, est, elle aussi, en rupture de ban avec la religion de Mahomet:
«Même si je n'hésite pas à manger et à fumer publiquement pendant le ramadan, je me sens encore souvent très mal à l'aise. L'éducatrice - musulmane - de la crèche que fréquente ma fille m'a prise à l'écart pour me rapporter, d'un air indigné, que mon enfant lui avait affirmé que Dieu n'existait pas. J'ai rougi et bafouillé. Ça peut sembler lâche, mais on ne se libère pas du jour au lendemain des réflexes hérités de l'éducation religieuse imposée dans nos pays.» D'autres avancent le risque d'une contagion islamiste, sur la toile de fond du laxisme multiculturaliste.
«N'oublions pas que l'Ontario a failli autoriser la création de tribunaux islamiques!» rappelle Mina, une ex-communiste algérienne arrivée au Québec au plus fort de la guerre civile qui a déchiré son pays. Pourtant, le Canada vient de permettre le mariage homo. Les gays plus chanceux que les athées?