Juifs et chrétiens sous l’islam Dhimmitude et marcionisme
Posté : 12 août06, 06:56
BAT YE’OR
En décembre 1997, le cheikh Yousef al-Qaradawi, chef spirituel des Frères Musulmans, déclarait dans une interview que la loi islamique classait le Peuple du Livre – Juifs et Chrétiens – dans trois catégories : les non-Musulmans protégés, vivant dans les pays islamiques (dar al-islam), c’est-à-dire les dhimmis ; les non-Musulmans des pays de la trêve provisoire ; et les non-Musulmans des pays de la guerre (harbis).
Pour chacune de ces catégories, a précisé le cheikh, la loi islamique a institué des règlements différents (1). Le cheikh a ainsi résumé en quelques mots la théorie du jihad qui réglemente les relations des Musulmans avec les non-Musulmans.
Le jihad
Selon cette théorie, les habitants des pays de guerre (dar al-harb) sont tous les infidèles qu’on combat parce qu’ils s’opposent à l’instauration de la loi islamique dans leur pays. Ennemis d’Allah, ils n’ont aucun droit, leur personne et leurs biens deviennent licites (mubah) pour n’importe quel Musulman. Au gré des occasions, ils peuvent être pris en esclavage, rançonnés, pillés ou assassinés. On leur fait la guerre pour islamiser leur territoire qui doit, selon la volonté d’Allah, appartenir à la communauté islamique. S’ils résistent, la loi islamique prévoit la déportation des hommes ou leur massacre et l’esclavage des femmes et des enfants.
Les infidèles des pays de la trêve sont dans une situation de répit entre deux guerres. Cette trêve ne peut, en principe, dépasser dix ans. Ce temps écoulé, le jihad reprend. Deux raisons motivent la trêve concédée aux infidèles par l’autorité islamique :
1) les Musulmans sont trop faibles pour remporter la victoire et la trêve leur permet de se renforcer ;
2) les États infidèles payent un tribut aux Musulmans ou contribuent par toutes sortes de services à la progression de l’islam. Autrement dit, la trêve n’est autorisée que si elle contribue à l’amélioration de la situation des Musulmans et à l’affaiblissement des infidèles. La trêve s’achète par le tribut, elle n’est pas un état naturel ; si les infidèles ne peuvent procurer les avantages économiques de la trêve, les hostilités reprennent. En outre, seuls sont valables les traités conformes aux prescriptions islamiques ; si ces conditions ne sont pas remplies, le traité n’a aucune valeur.
Quant aux infidèles protégés (dhimmis) des pays musulmans, ce sont d’anciens harbis, qui ont cédé leur territoire sans résister, et obtenu en échange la paix sous la protection islamique (dhimma). Cette protection doit s’interpréter dans le sens d’une protection contre les lois permanentes du jihad, qui les menaceraient à nouveau s’ils venaient à se rebeller. C’est cette condition de soumission-protection des infidèles, obtenue par la cession de leur territoire à l’autorité islamique, que j’ai appelée « la dhimmitude ». Soumission parce que ces infidèles se soumettent dans leur propre pays à la loi islamique qui les exproprie, et protection parce que cette même loi les protège du jihad et garantit leurs droits. La dhimmitude est la conséquence directe du jihad.
Le jihad, guerre islamique de conquêtes, est un domaine quasiment inconnu des Occidentaux. Dans certains milieux « progressistes », il représente un terme exotique à connotation même sympathique. Les intellectuels confondent généralement jihad et croisade et les considèrent à tort comme identiques en raison des similitudes apparentes de ces guerres. Pourtant la première croisade débuta en 1096 et le jihad dès 624. On peut y distinguer deux phases : celle au viie siècle, du proto-jihad pour ainsi dire, et celle de sa conceptualisation théologique, théorique et juridique dès le viiie siècle. La première phase comprend les activités militaires de Mahomet après son émigration à Médine et leur intégration dans le Coran, sous forme de commentaires et de commandements. La seconde phase débute après la mort de Mahomet en 632, quand les armées arabes se lancèrent à la conquête de l’empire chrétien méditerranéen et de l’Asie. C’est durant cette seconde phase (VIIIe-IXe siècles) que les jurisconsultes musulmans élaborèrent la conception théologique du jihad et ses institutions en se basant sur l’exemple de Mahomet, ses biographies (rédigées entre le viiie et le Xe siècle), ses paroles et ses actes consignés par des témoins présumés (hadiths). La distinction entre ces deux phases permet de préciser que le jihad tel qu’il se développa ne peut être imputé à Mahomet puisque ses institutions furent élaborées après sa mort.
Les différences entre jihad et croisade sont nombreuses car ces deux conceptions émanent de religions et de civilisations très différentes. Ici on n’en citera que quelques-unes.
Dès le VIIIe siècle, les théologiens musulmans professent que le jihad a son origine dans la doctrine islamique dont il est inséparable, car il s’exprime dans les combats menés par Mahomet. Le jihad, qui est une notion complexe, manifeste la lutte du Musulman pour vivre selon les préceptes d’Allah révélés à Mahomet. Mahomet incarne le médiateur suprême entre l’humanité et la divinité dont il énonce dans le Coran et par ses paroles et ses actes (hadiths) les commandements obligatoires et normatifs. Le Prophète arabe illustre ainsi le modèle normatif du Bien, qui doit être imposé à toute l’humanité nolens volens (Cor. II, 189), et le jihad représente l’ensemble des tactiques militaires, politiques et économiques pour parvenir à ce but.
Dès ses origines et jusqu’à nos jours, le jihad occupa une place considérable dans la pensée et les écrits des théologiens et des juristes musulmans. Ses règlements, définis dès le viiie siècle, sont encore aujourd’hui considérés comme immuables par une majorité de Musulmans. Si le jihad s’inscrit dans l’immanence sacrée de la révélation coranique, la croisade, par contre, représente un événement épisodique de l’histoire et sujet à la critique.
Notons tout d’abord que la croisade n’a aucun fondement dans les textes constitutifs du christianisme, c’est-à-dire dans la Bible, premier et second Testaments. La conquête de Canaan par les Israélites concerne seulement un territoire délimité et non l’ensemble de la terre dans une guerre éternelle pour soumettre toute l’humanité à une même loi. De même les pratiques de la guerre sont inscrites dans la périodicité, c’est-à-dire dans le contexte de l’époque ; en outre, la relation avec le paganisme dans la Bible et le Coran est différente. La Bible n’a jamais ordonné une guerre éternelle contre le paganisme, mais elle a condamné les pratiques inhumaines et sanguinaires des cultes païens. Historiquement, la croisade fut une réaction circonstancielle à un ensemble d’événements, tous intégrés dans la conception du jihad. Les armées musulmanes encerclaient la Chrétienté par un mouvement de pince. À l’est, après la défaite byzantine à Manzikert (1071), les tribus turques seldjoukides mettaient l’Arménie à feu et à sang et ravageaient le territoire byzantin. À l’ouest, les tribus berbères almoravides pénétrant en Espagne remontaient vers le nord et massacraient les Chrétiens. En Terre sainte, les conversions forcées, les rançonnements, les assassinats des pèlerins chrétiens et l’insécurité générale pour les non-Musulmans interrompaient les pèlerinages. Aussi les croisades sont-elles inséparables du jihad antichrétien qui les provoqua.
L’ ignorance de la doctrine du jihad est si profonde en Occident que le terme croisade est souvent abusivement utilisé dans un contexte de jihad, ce qui induit des contresens absurdes impliquant que les Musulmans se battent pour la croix, alors qu’elle fut interdite dans leur empire, le dar al-islam, par le calife Abd al-Malik dès la fin du viie siècle. L’effacement du jihad de l’histoire induit automatiquement celui de la dhimmitude, qui en est le terme et la finalité. Le domaine historique que j’ai appelé la dhimmitude représente pourtant une section de l’histoire humaine qui s’étend sur plus d’un millénaire et recouvre tous les pays qui furent conquis par les armées musulmanes sur trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Europe. D’ailleurs elle existe encore aujourd’hui dans les mœurs et les lois de tous les pays qui appliquent la chari’a. Seule l’ignorance empêche de la discerner comme l’analphabétisme dérobe le sens de l’écriture sans pourtant supprimer sa réalité. De même que le jihad est éternel parce qu’il exprimerait la volonté divine, de même la dhimmitude qui en est la conséquence est rehaussée des mêmes caractères éternels et sacrés. C’est le jihad qui règle l’extension et les caractéristiques de la dhimmitude.
En décembre 1997, le cheikh Yousef al-Qaradawi, chef spirituel des Frères Musulmans, déclarait dans une interview que la loi islamique classait le Peuple du Livre – Juifs et Chrétiens – dans trois catégories : les non-Musulmans protégés, vivant dans les pays islamiques (dar al-islam), c’est-à-dire les dhimmis ; les non-Musulmans des pays de la trêve provisoire ; et les non-Musulmans des pays de la guerre (harbis).
Pour chacune de ces catégories, a précisé le cheikh, la loi islamique a institué des règlements différents (1). Le cheikh a ainsi résumé en quelques mots la théorie du jihad qui réglemente les relations des Musulmans avec les non-Musulmans.
Le jihad
Selon cette théorie, les habitants des pays de guerre (dar al-harb) sont tous les infidèles qu’on combat parce qu’ils s’opposent à l’instauration de la loi islamique dans leur pays. Ennemis d’Allah, ils n’ont aucun droit, leur personne et leurs biens deviennent licites (mubah) pour n’importe quel Musulman. Au gré des occasions, ils peuvent être pris en esclavage, rançonnés, pillés ou assassinés. On leur fait la guerre pour islamiser leur territoire qui doit, selon la volonté d’Allah, appartenir à la communauté islamique. S’ils résistent, la loi islamique prévoit la déportation des hommes ou leur massacre et l’esclavage des femmes et des enfants.
Les infidèles des pays de la trêve sont dans une situation de répit entre deux guerres. Cette trêve ne peut, en principe, dépasser dix ans. Ce temps écoulé, le jihad reprend. Deux raisons motivent la trêve concédée aux infidèles par l’autorité islamique :
1) les Musulmans sont trop faibles pour remporter la victoire et la trêve leur permet de se renforcer ;
2) les États infidèles payent un tribut aux Musulmans ou contribuent par toutes sortes de services à la progression de l’islam. Autrement dit, la trêve n’est autorisée que si elle contribue à l’amélioration de la situation des Musulmans et à l’affaiblissement des infidèles. La trêve s’achète par le tribut, elle n’est pas un état naturel ; si les infidèles ne peuvent procurer les avantages économiques de la trêve, les hostilités reprennent. En outre, seuls sont valables les traités conformes aux prescriptions islamiques ; si ces conditions ne sont pas remplies, le traité n’a aucune valeur.
Quant aux infidèles protégés (dhimmis) des pays musulmans, ce sont d’anciens harbis, qui ont cédé leur territoire sans résister, et obtenu en échange la paix sous la protection islamique (dhimma). Cette protection doit s’interpréter dans le sens d’une protection contre les lois permanentes du jihad, qui les menaceraient à nouveau s’ils venaient à se rebeller. C’est cette condition de soumission-protection des infidèles, obtenue par la cession de leur territoire à l’autorité islamique, que j’ai appelée « la dhimmitude ». Soumission parce que ces infidèles se soumettent dans leur propre pays à la loi islamique qui les exproprie, et protection parce que cette même loi les protège du jihad et garantit leurs droits. La dhimmitude est la conséquence directe du jihad.
Le jihad, guerre islamique de conquêtes, est un domaine quasiment inconnu des Occidentaux. Dans certains milieux « progressistes », il représente un terme exotique à connotation même sympathique. Les intellectuels confondent généralement jihad et croisade et les considèrent à tort comme identiques en raison des similitudes apparentes de ces guerres. Pourtant la première croisade débuta en 1096 et le jihad dès 624. On peut y distinguer deux phases : celle au viie siècle, du proto-jihad pour ainsi dire, et celle de sa conceptualisation théologique, théorique et juridique dès le viiie siècle. La première phase comprend les activités militaires de Mahomet après son émigration à Médine et leur intégration dans le Coran, sous forme de commentaires et de commandements. La seconde phase débute après la mort de Mahomet en 632, quand les armées arabes se lancèrent à la conquête de l’empire chrétien méditerranéen et de l’Asie. C’est durant cette seconde phase (VIIIe-IXe siècles) que les jurisconsultes musulmans élaborèrent la conception théologique du jihad et ses institutions en se basant sur l’exemple de Mahomet, ses biographies (rédigées entre le viiie et le Xe siècle), ses paroles et ses actes consignés par des témoins présumés (hadiths). La distinction entre ces deux phases permet de préciser que le jihad tel qu’il se développa ne peut être imputé à Mahomet puisque ses institutions furent élaborées après sa mort.
Les différences entre jihad et croisade sont nombreuses car ces deux conceptions émanent de religions et de civilisations très différentes. Ici on n’en citera que quelques-unes.
Dès le VIIIe siècle, les théologiens musulmans professent que le jihad a son origine dans la doctrine islamique dont il est inséparable, car il s’exprime dans les combats menés par Mahomet. Le jihad, qui est une notion complexe, manifeste la lutte du Musulman pour vivre selon les préceptes d’Allah révélés à Mahomet. Mahomet incarne le médiateur suprême entre l’humanité et la divinité dont il énonce dans le Coran et par ses paroles et ses actes (hadiths) les commandements obligatoires et normatifs. Le Prophète arabe illustre ainsi le modèle normatif du Bien, qui doit être imposé à toute l’humanité nolens volens (Cor. II, 189), et le jihad représente l’ensemble des tactiques militaires, politiques et économiques pour parvenir à ce but.
Dès ses origines et jusqu’à nos jours, le jihad occupa une place considérable dans la pensée et les écrits des théologiens et des juristes musulmans. Ses règlements, définis dès le viiie siècle, sont encore aujourd’hui considérés comme immuables par une majorité de Musulmans. Si le jihad s’inscrit dans l’immanence sacrée de la révélation coranique, la croisade, par contre, représente un événement épisodique de l’histoire et sujet à la critique.
Notons tout d’abord que la croisade n’a aucun fondement dans les textes constitutifs du christianisme, c’est-à-dire dans la Bible, premier et second Testaments. La conquête de Canaan par les Israélites concerne seulement un territoire délimité et non l’ensemble de la terre dans une guerre éternelle pour soumettre toute l’humanité à une même loi. De même les pratiques de la guerre sont inscrites dans la périodicité, c’est-à-dire dans le contexte de l’époque ; en outre, la relation avec le paganisme dans la Bible et le Coran est différente. La Bible n’a jamais ordonné une guerre éternelle contre le paganisme, mais elle a condamné les pratiques inhumaines et sanguinaires des cultes païens. Historiquement, la croisade fut une réaction circonstancielle à un ensemble d’événements, tous intégrés dans la conception du jihad. Les armées musulmanes encerclaient la Chrétienté par un mouvement de pince. À l’est, après la défaite byzantine à Manzikert (1071), les tribus turques seldjoukides mettaient l’Arménie à feu et à sang et ravageaient le territoire byzantin. À l’ouest, les tribus berbères almoravides pénétrant en Espagne remontaient vers le nord et massacraient les Chrétiens. En Terre sainte, les conversions forcées, les rançonnements, les assassinats des pèlerins chrétiens et l’insécurité générale pour les non-Musulmans interrompaient les pèlerinages. Aussi les croisades sont-elles inséparables du jihad antichrétien qui les provoqua.
L’ ignorance de la doctrine du jihad est si profonde en Occident que le terme croisade est souvent abusivement utilisé dans un contexte de jihad, ce qui induit des contresens absurdes impliquant que les Musulmans se battent pour la croix, alors qu’elle fut interdite dans leur empire, le dar al-islam, par le calife Abd al-Malik dès la fin du viie siècle. L’effacement du jihad de l’histoire induit automatiquement celui de la dhimmitude, qui en est le terme et la finalité. Le domaine historique que j’ai appelé la dhimmitude représente pourtant une section de l’histoire humaine qui s’étend sur plus d’un millénaire et recouvre tous les pays qui furent conquis par les armées musulmanes sur trois continents : l’Afrique, l’Asie et l’Europe. D’ailleurs elle existe encore aujourd’hui dans les mœurs et les lois de tous les pays qui appliquent la chari’a. Seule l’ignorance empêche de la discerner comme l’analphabétisme dérobe le sens de l’écriture sans pourtant supprimer sa réalité. De même que le jihad est éternel parce qu’il exprimerait la volonté divine, de même la dhimmitude qui en est la conséquence est rehaussée des mêmes caractères éternels et sacrés. C’est le jihad qui règle l’extension et les caractéristiques de la dhimmitude.