Le jusqu'au-boutisme d'Ahmadinejad fait plus d'adeptes hors
Posté : 09 janv.07, 09:39
Le jusqu'au-boutisme d'Ahmadinejad fait plus d'adeptes hors d'Iran que dans le pays
Isabelle Lasserre est rédacteur en chef adjoint au service étranger du Figaro, 09 janvier 2007
Etre l'avant-garde de la contestation islamique dans le monde arabo-musulman : ce vieux rêve de la république islamique d'Iran depuis sa naissance, en 1979, mis en échec en 1988 par la défaite de la puissance chiite face au régime sunnite de Bagdad, commence à se réaliser. Mahmoud Ahmadinejad, le président ultraconservateur de l'Iran, dont les discours panislamistes et le programme nucléaire visent à faire de son pays la grande puissance de la région, s'est imposé comme le principal dirigeant, non seulement d'un nouveau front de refus contre Israël, mais d'un mouvement antiaméricain, anti-impérialiste et anti-occidental au niveau mondial.
Organisée à Téhéran le mois dernier, la conférence révisionniste sur l'Holocauste a attiré de nombreux participants occidentaux et [dont le Bruxellois Benjamin Heine (voir http://www.upjf.org/actualiees-upjf/art ... ation.html)]. Mahmoud Ahmadinejad fut à l'automne l'invité vedette du sommet des non-alignés à La Havane. Il envoie des lettres au pape Benoît XVI, à George W. Bush et à Angela Merkel. Il diffuse son influence jusqu'en Afghanistan, où il distribue des aides financières et construit des mosquées.
Le monde chiite sourit de la manière dont les puissances occidentales se font rouler dans la farine par les responsables du programme nucléaire iranien. Bref, en peu de temps, l'Iran, non arabe, est devenu le principal moteur du radicalisme islamique et de la lutte « anti-impérialiste ».
L'intervention américaine en Irak en 2003 et la destitution de Saddam Hussein ont changé la donne régionale à son profit. Principaux bénéficiaires de la chute du régime baasiste, les chiites, majoritaires en Irak, ont pris leur revanche à Bagdad. L'influence et le pouvoir de l'Iran s'en sont trouvés consolidés.
« La politique de George Bush a cassé le front sunnite : en Afghanistan avec les talibans, en Irak avec Saddam et même en Arabie saoudite, où le pouvoir a été déstabilisé », explique le spécialiste de l'islam Olivier Roy. Profitant de la faiblesse occidentale et du pouvoir que lui donne le pétrole, le président iranien a multiplié les manoeuvres pour contourner le front arabo-sunnite et faire entendre la voix des chiites. Il a soutenu politiquement, militairement et financièrement le Hezbollah, augmentant ainsi la popularité et l'influence de l'Iran parmi les chiites libanais. Téhéran a aussi favorisé un réveil des communautés chiites dans le Golfe, notamment au Koweït et à Bahreïn, rappelant aux États sunnites arabes de la région qu'il a les moyens de les déstabiliser. Pour se faire reconnaître comme le pays leader de tous les musulmans, l'Iran d'Ahmadinejad aide aussi le Hamas sunnite, élu à la tête de l'Autorité palestinienne.
Le président iranien cherche à recréer le « front du refus » anti-israélien, apparu à la fin des années 1970, au moment où l'Égypte se rapprochait d'Israël. À défaut de convaincre les Iraniens, son discours antisémite se répand comme une traînée de poudre dans les milieux arabes radicaux du Proche et du Moyen-Orient. Mais son ambition dépasse ce cadre arabo-musulman.
Ahmadinejad ambitionne de prendre la tête d'une contestation quasiment planétaire, de devenir le leader de tous les populismes qui s'opposent à Washington. C'est le sens des clins d'oeil faits, lors du dernier sommet des pays non alignés, à Hugo Chavez, à Fidel Castro et à Evo Morales, les présidents vénézuélien, cubain et bolivien, qui symbolisent la lutte contre les États-Unis et qui sont, en Iran, plus populaires que Ben Laden ou les talibans. Ahmadinejad considère que l'Iran et le Venezuela ont « des positions et des points de vue communs ». Comme Chavez, il a comparé la politique et les actions d'Israël à celles de l'Allemagne nazie. La conférence révisionniste sur l'Holocauste de Téhéran a illustré à merveille cette volonté du président iranien de planétariser la contestation.
« Ahmadinejad a, en quelque sorte, désislamisé la conférence. Contrairement à ce qui se passe d'habitude, aucune référence n'a été faite aux versets du Coran. Les seuls arguments qui ont été utilisés pendant le colloque sont ceux des révisionnistes occidentaux et européens, qui ont été au demeurant fort nombreux à avoir été invités », explique Olivier Roy.
L'Arabie saoudite et le Golfe, qui considèrent l'Iran prénucléaire comme une menace, s'agacent. L'Occident s'inquiète. Quant aux Iraniens, ils ont désavoué leur président aux élections municipales et à l'Assemblée des experts de décembre 2006. « L'appareil politique et l'homme de la rue ne suivent plus. Ahmadinejad est allé trop loin. Il veut le beurre et l'argent du beurre : une revanche contre Israël, une autre contre les sunnites, la bombe, être le chef de file du monde arabo-musulman et le leader de la contestation populiste mondiale. Les conservateurs modérés estiment, eux, que l'Iran a aujourd'hui une opportunité en or pour mener à son terme son programme nucléaire et qu'il n'est pas nécessaire d'agiter le chiffon rouge comme le fait Ahmadinejad. Plutôt que de provoquer les États-Unis et Israël et de risquer ainsi une frappe militaire contre les installations nucléaires, ils estiment qu'il faut faire le dos rond, au moins jusqu'à ce que le programme nucléaire iranien soit si avancé qu'il soit irréversible », explique Olivier Roy.
Mais, dans la rue arabe, ça marche. Surtout en Égypte et en Jordanie, les pays voisins d'Israël, où le président iranien est considéré comme le champion de la défense des Arabes et des musulmans contre « l'impérialisme » américain, israélien et occidental.
Comme le disait avec beaucoup d'inquiétude le philosophe André Glucksman à un récent colloque de la Fondation pour la recherche stratégique consacré au nucléaire : « Avec Ahmadinejad, nous risquons un jour de regretter les crimes du XXe siècle.»
http://www.lefigaro.fr/debats/20070109. ... _pays.html
Isabelle Lasserre est rédacteur en chef adjoint au service étranger du Figaro, 09 janvier 2007
Etre l'avant-garde de la contestation islamique dans le monde arabo-musulman : ce vieux rêve de la république islamique d'Iran depuis sa naissance, en 1979, mis en échec en 1988 par la défaite de la puissance chiite face au régime sunnite de Bagdad, commence à se réaliser. Mahmoud Ahmadinejad, le président ultraconservateur de l'Iran, dont les discours panislamistes et le programme nucléaire visent à faire de son pays la grande puissance de la région, s'est imposé comme le principal dirigeant, non seulement d'un nouveau front de refus contre Israël, mais d'un mouvement antiaméricain, anti-impérialiste et anti-occidental au niveau mondial.
Organisée à Téhéran le mois dernier, la conférence révisionniste sur l'Holocauste a attiré de nombreux participants occidentaux et [dont le Bruxellois Benjamin Heine (voir http://www.upjf.org/actualiees-upjf/art ... ation.html)]. Mahmoud Ahmadinejad fut à l'automne l'invité vedette du sommet des non-alignés à La Havane. Il envoie des lettres au pape Benoît XVI, à George W. Bush et à Angela Merkel. Il diffuse son influence jusqu'en Afghanistan, où il distribue des aides financières et construit des mosquées.
Le monde chiite sourit de la manière dont les puissances occidentales se font rouler dans la farine par les responsables du programme nucléaire iranien. Bref, en peu de temps, l'Iran, non arabe, est devenu le principal moteur du radicalisme islamique et de la lutte « anti-impérialiste ».
L'intervention américaine en Irak en 2003 et la destitution de Saddam Hussein ont changé la donne régionale à son profit. Principaux bénéficiaires de la chute du régime baasiste, les chiites, majoritaires en Irak, ont pris leur revanche à Bagdad. L'influence et le pouvoir de l'Iran s'en sont trouvés consolidés.
« La politique de George Bush a cassé le front sunnite : en Afghanistan avec les talibans, en Irak avec Saddam et même en Arabie saoudite, où le pouvoir a été déstabilisé », explique le spécialiste de l'islam Olivier Roy. Profitant de la faiblesse occidentale et du pouvoir que lui donne le pétrole, le président iranien a multiplié les manoeuvres pour contourner le front arabo-sunnite et faire entendre la voix des chiites. Il a soutenu politiquement, militairement et financièrement le Hezbollah, augmentant ainsi la popularité et l'influence de l'Iran parmi les chiites libanais. Téhéran a aussi favorisé un réveil des communautés chiites dans le Golfe, notamment au Koweït et à Bahreïn, rappelant aux États sunnites arabes de la région qu'il a les moyens de les déstabiliser. Pour se faire reconnaître comme le pays leader de tous les musulmans, l'Iran d'Ahmadinejad aide aussi le Hamas sunnite, élu à la tête de l'Autorité palestinienne.
Le président iranien cherche à recréer le « front du refus » anti-israélien, apparu à la fin des années 1970, au moment où l'Égypte se rapprochait d'Israël. À défaut de convaincre les Iraniens, son discours antisémite se répand comme une traînée de poudre dans les milieux arabes radicaux du Proche et du Moyen-Orient. Mais son ambition dépasse ce cadre arabo-musulman.
Ahmadinejad ambitionne de prendre la tête d'une contestation quasiment planétaire, de devenir le leader de tous les populismes qui s'opposent à Washington. C'est le sens des clins d'oeil faits, lors du dernier sommet des pays non alignés, à Hugo Chavez, à Fidel Castro et à Evo Morales, les présidents vénézuélien, cubain et bolivien, qui symbolisent la lutte contre les États-Unis et qui sont, en Iran, plus populaires que Ben Laden ou les talibans. Ahmadinejad considère que l'Iran et le Venezuela ont « des positions et des points de vue communs ». Comme Chavez, il a comparé la politique et les actions d'Israël à celles de l'Allemagne nazie. La conférence révisionniste sur l'Holocauste de Téhéran a illustré à merveille cette volonté du président iranien de planétariser la contestation.
« Ahmadinejad a, en quelque sorte, désislamisé la conférence. Contrairement à ce qui se passe d'habitude, aucune référence n'a été faite aux versets du Coran. Les seuls arguments qui ont été utilisés pendant le colloque sont ceux des révisionnistes occidentaux et européens, qui ont été au demeurant fort nombreux à avoir été invités », explique Olivier Roy.
L'Arabie saoudite et le Golfe, qui considèrent l'Iran prénucléaire comme une menace, s'agacent. L'Occident s'inquiète. Quant aux Iraniens, ils ont désavoué leur président aux élections municipales et à l'Assemblée des experts de décembre 2006. « L'appareil politique et l'homme de la rue ne suivent plus. Ahmadinejad est allé trop loin. Il veut le beurre et l'argent du beurre : une revanche contre Israël, une autre contre les sunnites, la bombe, être le chef de file du monde arabo-musulman et le leader de la contestation populiste mondiale. Les conservateurs modérés estiment, eux, que l'Iran a aujourd'hui une opportunité en or pour mener à son terme son programme nucléaire et qu'il n'est pas nécessaire d'agiter le chiffon rouge comme le fait Ahmadinejad. Plutôt que de provoquer les États-Unis et Israël et de risquer ainsi une frappe militaire contre les installations nucléaires, ils estiment qu'il faut faire le dos rond, au moins jusqu'à ce que le programme nucléaire iranien soit si avancé qu'il soit irréversible », explique Olivier Roy.
Mais, dans la rue arabe, ça marche. Surtout en Égypte et en Jordanie, les pays voisins d'Israël, où le président iranien est considéré comme le champion de la défense des Arabes et des musulmans contre « l'impérialisme » américain, israélien et occidental.
Comme le disait avec beaucoup d'inquiétude le philosophe André Glucksman à un récent colloque de la Fondation pour la recherche stratégique consacré au nucléaire : « Avec Ahmadinejad, nous risquons un jour de regretter les crimes du XXe siècle.»
http://www.lefigaro.fr/debats/20070109. ... _pays.html