Changement de paradigme
Posté : 09 déc.09, 09:37
Le texte qui suit est une synthèse résumée de la quête fondamentale qui est le moteur de l’humanité depuis son apparition : la quête du bonheur et de la vérité.
Il est bien-sûr impossible d’être exhaustif : je me doute bien que la longueur de ce texte en repoussera beaucoup, et que d’autres le liront en diagonale. Une telle tentative de résumé peut s’aborder sous de nombreux angles différents, notamment sous les angles philosophique, scientifique et spirituel.
La perspective spirituelle est la seule réellement fondamentale et digne d’intérêt à mes yeux car elle est la plus globale, mais ceci-dit elle se prête moins au débat qu’à la communion.
J’ai donc préféré pour cette fois adopter une perspective scientifique afin de permettre de mieux faire connaître les bouleversements que la science connaît depuis un siècle. C’est d’ailleurs l’objet de la démarche de Jean Staune dont je me suis inspiré (lui et d’autres scientifiques dont Trinh Xuan Thuan et Bernard d’Espagnat) pour écrire ceci.
Une vision du monde cherche à répondre à deux questions essentielles : « Qui sommes-nous ? » et « Quelle est la nature de l’univers dans lequel nous vivons ? »
Nos réponses à ces questions définissent nos sociétés. Notre société technologique moderne repose sur une vision matérialiste du monde définie en grande partie pendant le siècle des Lumières. Ce paradigme dominant comporte au moins deux mythes tenus pour acquis, deux mythes aberrants que, nous allons le voir, la science remet à présent en question :
- Nous sommes totalement séparés les uns des autres, de la nature et du cosmos.
- Le monde matériel est tout ce qui existe.
Ce paradigme, alimenté par ces deux mythes, s’oppose au consensus philosophique retrouvé à toutes les époques, dans toutes les religions, traditions et cultures, et qui fait état de diverses mais permanentes dimensions de la réalité s’échelonnant des plus denses et moins conscientes (matière) aux moins denses et plus conscientes (spirituelles).
Nous allons donc voir dans un premier temps comment nous en sommes arrivés à ce paradigme matérialiste, et dans un deuxième temps pourquoi ce paradigme est aujourd’hui remis en question.
Pendant des millénaires, l’homme a vécu des tempêtes, des orages, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des maladies, la mort ; l’homme a vu le soleil se lever tous les matins et se coucher tous les soirs, mais sans connaître les causes de ces phénomènes.
Etant donné que l’une des caractéristiques fondamentales de l’être humain est de s’interroger sur le pourquoi des choses et sur sa destinée, il a logiquement attribué ces phénomènes à des causes invisibles qui, bien que ne faisant pas partie du monde, avaient une influence sur celui-ci. Ainsi sont nés les dieux et les croyances : des entités appartenant à un autre niveau de réalité influaient, voire décidaient du destin de chaque homme.
Il paraissait de plus assez logique de penser que, puisque nous sommes nous-mêmes de toute évidence apparus un jour (en constatant l’arrivée d’être qui n’étaient pas là auparavant), nous allions rejoindre cet autre niveau de réalité après notre mort, ce « monde des esprits ».
Quoi de plus normal alors qu’à l’apparition de la pensée rationelle il y a 2500 ans, les premiers philosophes s’attaquent à ces deux intuitions (existence d’un autre niveau de réalité et retour à cette dimension après la mort) ?
Comme l’a dit Bernard Pullman, « La crainte devant les mystères du Cosmos et les manifestations impressionnantes de la Nature et la peur, plus obsédante, de la mort, sont les compagnes inséparables des humains, et aucun bonheur véritable n’est possible aussi longtemps que leurs ombres se projettent sur notre existence. Il faut donc se délivrer de ces craintes. »
Le matérialisme venait de naître, avec un noble but à la clé : permettre à l’homme d’être heureux en le libérant de ses craintes irrationelles, en lui montrant qu’aucun dieu n’est maître du destin des humains.
Les pères de ce nouveau paradigme s’appelaient Démocrite, Leucippe et Epicure. Ils vont élaborer la première théorie atomique, spéculant ainsi que le monde trouvait ses causes dans le monde lui-même, et non dans le monde des esprits. Ce dernier n’avait plus de raison d’être.
Ce qui est extraordinaire, c’est de voir que tous les progrès de la science qui ont suivi (surtout à partir de la Renaissance) jusqu’au XXe siècle ont conforté cette vision selon lequel l’univers s’expliquait par lui-même, trouvait ses causes en lui-même.
Jean Fourastié décrit très bien à quel point cela a déterminé la vision actuelle du monde de notre société :
L’univers s’expliquait par lui-même et il était dénué de sens. Nous avions l’impression d’arriver à la « fin de l’histoire », ce qui fit dire à Jacques Monod (« Le hasard et la nécessité ») : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers dont il a émergé par hasard. »
Toute la vision du monde de notre civilisation est ainsi définie par ce principe absolu : tout le réel peut être expliqué par le réel. Aussi riche soit-elle, cette vision « clôture » le réel en le rendant indépassable. C’est la fin de la quête de la compréhension de la condition humaine.
Alors il devient très intéressant de se poser la question de savoir si l’on en est devenu plus heureux. N’oublions pas que c’était à la base l’idée première des penseurs Grecs : rendre l’homme heureux et lui permettre de mener une vie sage et responsable en le délivrant de ses craintes irrationnelles, en le délivrant de la croyance que ce sont des dieux invisibles et tout puissants qui décident de la destinée humaine.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas évident que ce résultat soit atteint. On peut mettre face à face l’idéal de départ imaginé par Epicure et ses congénères, et le résultat de cette démarche tel qu’il est énoncé 2 500 ans plus tard par l’un des plus influents scientifiques matérialistes actuels, le « pape de la sociobiologie », E.O. Wilson, professeur à Harvard, à la fin de son ouvrage majeur « Sociobiologie » :
On peut ajouter à cela une citation de l’un des leaders de l’intelligence artificielle :
Le dernier rêve que l’humain peut se permettre est donc… la vie éternelle, tout simplement. Et c’est très sérieux : les Américains sont très en pointe dans ce domaine ; ils recherchent depuis longtemps déjà à retarder l’action des cellules responsables du vieillissement. Puisque rien n’est sacré, le génôme humain ne l’est pas plus qu’autre chose. Rien ne s’oppose donc à ce qu’on cherche à l’ « améliorer ». Vous rendez-vous compte du monde qu’ils nous promettent ?
Hans Moravec, l’un des principaux spécialistes de la robotique spécule sur la façon dont on remplacera les différents organes du corps, y compris le cerveau, par des robots, soutenu en cela par le biologiste Richard Dawkins qui annonce, après l’ère des êtres vivants basés sur les gènes, l’ère des machines basées sur les « mèmes » (quantité d’information). Quant à Ruiz de Gopegui, élève de Minsky, il n’hésite pas à affirmer :
MAIS il ne faut pas oublier d’où vient ce résultat, cette vision désenchantée du monde : de la science. C’est la science qui a donné cette vision réductionniste de l’univers et de l’homme.
Hors, bonne nouvelle, l’exploration scientifique n’est pas achevée. Et il s’est passé quelques révolutions dans le domaine scientifique au cours du XXe siècle :
- La mécanique quantique a démontré que la matière a une nature double : corpusculaire ET ondulatoire, et cette nature dépend en partie de l’observateur. Ainsi, ces petits grains de matière qui représentaient la réalité ultime se sont dématérialisés, et le dogme de la neutralité de l’observateur a disparu : nous ne sommes pas séparés de l’univers. Le premier mythe est mort.
De plus, deux particules séparées par n’importe quelle distance peuvent être « non-séparables », c’est-à-dire qu’elles forment un seul et même objet qui s’étale sur tout l’univers. La déduction incontournable de ce phénomène (l’effet EPR) est qu’il existe un autre niveau de réalité hors de l’espace-temps ; qu’il existe une « causalité globale » dans l’univers qui, quelles que soient les explications envisagées, nécessite l’existence de cet autre niveau.
L’existence de cet autre niveau de réalité implique que l’univers n’est plus explicable uniquement à partir de lui-même. Le deuxième mythe vient lui aussi de mourir.
- En astrophysique, la relativité générale et la théorie du big bang ont donné la preuve de la relativité espace-temps et donc d’un commencement de l’univers puisque celui-ci n’est plus absolu, mettant ainsi fin à 2500 ans de croyance selon laquelle l’univers était éternel, immuable et absolu.
Mieux encore, l’informatique moderne permet de modéliser l’impact des différentes variables sur l’évolution de l’univers.
Hors, en modifiant d’un facteur de moins de un pour mille la vitesse d’expansion de l’univers, ou en modifiant d’un même facteur les constantes de couplage entre les quatre force, ou en modifiant la vitesse de la lumière, ou en modifiant les charges électriques des particules élémentaires (pourquoi le proton et l’électron ont exactement la même charge, à la 20ème décimale près (!), alors que ces deux particules sont si différentes ?), ou en modifiant encore d’autres données physiques, A CHAQUE FOIS l’univers modélisé n’est pas viable faute de formation d’étoiles (ou de leur vie bien trop courte).
Il existe donc des dizaines de coïncidences extraordinaires et toutes sont SIMULTANEMENT nécessaires pour que la vie apparaisse !
C’est là un coup de massue énorme pour la vision d’un univers dénué de sens (et si déprimant d’ailleurs) ; c’est pourquoi les amoureux du non-sens, les matérialistes, détestent et attaquent autant le principe anthropique.
Leur seule et unique porte de sortie est de postuler l’existence d’une infinité d’univers « parallèles » (et non observables, ce qui ne va pas dans le sens du rasoir d’Occam), et nous serions dans le seul qui aurait « fonctionné » par hasard. Mais s’il n’existe qu’un seul univers, alors la question du sens de notre existence revient en force, et cela du cœur même de la science.
- Dans les sciences de la vie, un décalage en arrière se perpétue depuis 300 ans par rapport aux sciences de la matière. C’est normal puisqu’elles sont en partie dépendantes des moyens techniques fournis par la physique.
Ainsi, les mécanismes darwiniens expliquent parfaitement un grand nombre de phénomènes. Mais il est bien plus intéressant d’observer ce qu’ils n’expliquent pas : pourquoi n’y a-t-il pas un dégradé continu entre les différentes espèces ? D’ailleurs, la notion d’espèce ne devrait même pas exister dans la théorie darwinienne puisque, selon les mécanismes qu’elle prône (hasard et sélection), l’évolution serait un continuum où la transformation d’une espèce en une autre est continue et insensible.
Alors pourquoi n’y a-t-il aucun homme plus proche des singes qu’un autre homme ? Comment expliquer l’existence de tous les « chaînons manquants » ? Pourquoi n’y a-t-il aucun reptile plus proche des poissons qu’un autre reptile ? Pourquoi n’y a-t-il aucun batracien plus proche des reptiles qu’un autre batracien ? Autrement dit, pourquoi y a-t-il parfaite équidistance moléculaire entre les différentes espèces ?
Ce phénomène dont personne ne peut contester l’existence suppose que les horloges moléculaires des différentes espèces soient restées « branchées » les unes sur les autres depuis des centaines de millions d’années, ce qui suppose une incroyable coordination générale.
Il semble donc exister en matière d’évolution des processus qui se déroulent sur le très long terme et qui semblent avoir une logique propre, qui se situe hors d’atteinte des modifications de l’environnement.
Il semble que l’évolution ne soit précisément pas continue, mais qu’il existe des « sauts » (des macromutations) d’une espèce à une autre, donc qu’il existe des « types » : le type papillon, le type cheval, le type humain, le type cactus etc.
Puisque tous les êtres vivants sont fabriqués à partir des mêmes matériaux de base (ADN, ARN, acides aminés…) depuis nos ancêtres bactéries et que nous sommes pourtant tous très différents, où peut résider la différence ?
Pour reprendre une analogie de Jean Staune, si l’on imagine une usine fabriquant des R5 et qui se mettrait tout d’un coup à fabriquer des R21 avec les mêmes matériaux et les mêmes ouvriers, qu’est-ce qui aurait changé ?
Les plans.
La question est donc : où sont les « plans » qui coordonnent les macromutations ?
Ainsi, là aussi les concepts de hasard, d’absurde et de non-sens qui dominent dans ce domaine sont battus en brèche par les fabuleuses perspectives que laisse entrevoir l’évolution des sciences de la vie (évolutions qui ont déjà eu lieu en physique et en astrophysique).
- La conscience est le fait de percevoir. Nous percevons le monde, de la même manière que nous percevons nos pensées, nos émotions, nos sensations etc. Nous nous percevons tel un « moi » unique. C’est la conscience, qui est fondamentalement ce que nous sommes.
L’immense majorité des neurobiologistes effectuent leurs recherches, en accord avec la vision réductionniste, dans un cadre conceptuel où le cerveau produit la conscience, où le cerveau serait l’émetteur de la conscience, ce qui paraît d’ailleurs logique à qui ne s’est jamais posé la question (ce qui montre bien à quel point le paradigme matérialiste est profondément et inconsciemment implanté).
La conscience serait le produit de l’activité neuronale. Il y aurait donc identité entre les états mentaux et les états neuronaux. On appelle cela l’hypothèse moniste, dont la conséquence logique est bien résumée par Jean-Pierre Changeux montrant du doigt un élève pendant l’introduction de son cours au Collège de France :
Sans détailler ses expériences, ce serait bien trop long, Benjamin Libet a mis au point un protocole expérimental prouvant que la conscience pouvait s’extraire du temps dans certaines situations (combien de personnes ont relaté, lors d’un accident de voiture par exemple, avoir eu l’impression que la scène qui se déroulait en une seconde leur avait paru durer beaucoup plus longtemps ?)
Jean François Lambert a lui mené des expériences sur des moines bouddhistes en méditation montrant que dans certains cas l’on ne pouvait pas déduire leur état mental de leur état neuronal.
Cela ajouté à beaucoup d’autres faits que je regrette de n’avoir pas la place d’exposer ici, a crédibilisé l’hypothèse opposée (hypothèse dualiste), dans laquelle le cerveau ne serait plus l’émetteur, mais le récepteur de la conscience, comme un poste radio. La conscience existerait « hors » du cerveau, ce que semblent confirmer les expériences de mort imminente (NDE).
Là encore, on retrouve ce concept d’une dimension du réel hors de l’espace et du temps nécessaire pour expliquer ce qui se passe dans l’espace-temps.
- De la même manière que la mécanique classique voulait enfermer l’univers et l’homme dans un déterminisme physique (tout l’univers est explicable uniquement à partir de l’univers), un mathématicien nommé David Hilbert voulut enfermer l’esprit humain dans un déterminisme logique. Au début du XXè siècle, il demanda à la communauté des mathématiciens de réfléchir à démontrer la complétude de la logique.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Toutes les sciences, toutes les activités humaines quantifiables et formalisables reposent sur les mathématiques, qui elles-mêmes reposent sur la logique. Et sur quoi repose la logique ?
Si l’on veut que l’ensemble des activités humaines forment un tout cohérent, alors la logique doit
reposer sur la logique elle-même.
Ainsi, Hilbert expliqua avec raison que le jour où l’on aurait démontré la complétude de la logique (c’est-à-dire le fait qu’elle repose bien sur elle-même), alors on pourrait avec certitude démontrer la véracité ou la fausseté de n’importe quelle affirmation.
Ce programme de recherche, qu’il appella la « Solution finale » (mais cela se passait avant la guerre), avait tout simplement pour ambition d’achever définitivement l’explication du monde par le monde, d’achever de clôturer le réel…
Pas de chance, en 1931 Kurt Gödel démontra le contraire : tout ensemble fini d’axiomes contient une proposition indécidable, autrement dit, dans tout système logique, il y a au moins une proposition qui n’est ni vraie ni fausse du type : [« Tous les Crétois sont des menteurs » dit un Crétois.] Donc aucun système logique fermé sur lui-même ne peut être cohérent ; il y a forcément une ouverture, un « au-delà » dans tout système.
Il alla même encore plus loin en démontrant que tout ensemble d’axiomes contient une proposition que nous savons être vraie, mais qui est pourtant indémontrable à partir des axiomes en question. Autrement dit, la notion de vérité en mathématiques est plus vaste que la notion de démonstrabilité, ce qui eu de quoi faire passer de nombreuses nuits blanches aux mathématiciens qui avaient toujours été persuadés que ces deux notions étaient absolument équivalentes.
Bref, Gödel, ce génie, à démontré que tout n’était pas démontrable.
Le théorème de Gödel (dit « théorème d’incomplétude ») est donc LE coup mortel pour tous ceux qui pensaient pouvoir démontrer un jour la complétude du réel. On sait maintenant que cela ne sera jamais possible. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas démontrable qu’il n’est pas vrai…
Comment ne pas être saisi de vertige devant l’immense remise en cause qui vient d’être décrite ?
La vision classique qui envisageait le monde comme indépendant de nous et objectif par rapport à lui-même, la même vision qui promettait que l’on pourrait (en théorie) prévoir tout le futur de l’univers à partir d’une parfaite connaissance des conditions initiales, que l’on pourrait savoir ce que pense quelqu’un à partir de la simple observation de son cerveau, que l’on pourrait démontrer la véracité absolue de toute proposition, ajouté à une évolution aveugle où domine la survie du plus apte, cette vision classique qui est encore celle de toute notre civilisation… est morte ! Elle s’effondre ou s’est déjà effondrée dans tous les domaines de la science.
Si encore cette remise en cause n’avait touchée qu’un seul domaine scientifique, cette révolution aurait beaucoup moins de force. Mais dans toutes les grandes disciplines scientifiques apparaissent « des choses derrière les choses » selon l’expression de Jacques Prévert. Derrière la non-séparabilité en physique quantique, derrière le big bang (principe anthropique), derrière les archétypes de l’évolution, derrière les mathématiques qui sont découvertes et non pas inventées (selon Alain Connes, Roger Penrose et bien d’autres sommités internationales en la matière), on ne peut que déduire l’existence d’un autre niveau de réalité qui n’est situé ni dans l’espace, ni dans le temps, que David Bohm appelle l’ « ordre impliqué » et Bernard d’Espagnat le « réel voilé ».
En considérant cet autre niveau de réalité, comment ne pas penser à la dimension spirituelle évoquée dans toutes les cultures et à tous les âges ?
Cependant, je tiens à relever qu’il se passe exactement le contraire qu’à l’époque où le paradigme dominant venait de la vision du monde imposée par l’Eglise et où il était dangereux pour un scientifique de le remettre en question. Est-il besoin de rappeler le procès de Galilée ?
A présent, ce sont les matérialistes qui sont dépositaires du paradigme dominant, et ceux qui le remettent en cause ont malheureusement intérêt à être bien armés contre les critiques et les procès d’intention…
Je finirai en rappelant un des enseignements de Lao Tseu illustrant l’existence de l’ « ordre impliqué » : à l’instar du néant, c’est ce qui échappe, ce qui paraît inconsistant, qui donne son sens à tout le reste. Ainsi, « les trente rayons convergent au moyeu, mais c’est le vide médian qui fait tourner la roue. »
Il est bien-sûr impossible d’être exhaustif : je me doute bien que la longueur de ce texte en repoussera beaucoup, et que d’autres le liront en diagonale. Une telle tentative de résumé peut s’aborder sous de nombreux angles différents, notamment sous les angles philosophique, scientifique et spirituel.
La perspective spirituelle est la seule réellement fondamentale et digne d’intérêt à mes yeux car elle est la plus globale, mais ceci-dit elle se prête moins au débat qu’à la communion.
J’ai donc préféré pour cette fois adopter une perspective scientifique afin de permettre de mieux faire connaître les bouleversements que la science connaît depuis un siècle. C’est d’ailleurs l’objet de la démarche de Jean Staune dont je me suis inspiré (lui et d’autres scientifiques dont Trinh Xuan Thuan et Bernard d’Espagnat) pour écrire ceci.
Une vision du monde cherche à répondre à deux questions essentielles : « Qui sommes-nous ? » et « Quelle est la nature de l’univers dans lequel nous vivons ? »
Nos réponses à ces questions définissent nos sociétés. Notre société technologique moderne repose sur une vision matérialiste du monde définie en grande partie pendant le siècle des Lumières. Ce paradigme dominant comporte au moins deux mythes tenus pour acquis, deux mythes aberrants que, nous allons le voir, la science remet à présent en question :
- Nous sommes totalement séparés les uns des autres, de la nature et du cosmos.
- Le monde matériel est tout ce qui existe.
Ce paradigme, alimenté par ces deux mythes, s’oppose au consensus philosophique retrouvé à toutes les époques, dans toutes les religions, traditions et cultures, et qui fait état de diverses mais permanentes dimensions de la réalité s’échelonnant des plus denses et moins conscientes (matière) aux moins denses et plus conscientes (spirituelles).
Nous allons donc voir dans un premier temps comment nous en sommes arrivés à ce paradigme matérialiste, et dans un deuxième temps pourquoi ce paradigme est aujourd’hui remis en question.
Pendant des millénaires, l’homme a vécu des tempêtes, des orages, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des maladies, la mort ; l’homme a vu le soleil se lever tous les matins et se coucher tous les soirs, mais sans connaître les causes de ces phénomènes.
Etant donné que l’une des caractéristiques fondamentales de l’être humain est de s’interroger sur le pourquoi des choses et sur sa destinée, il a logiquement attribué ces phénomènes à des causes invisibles qui, bien que ne faisant pas partie du monde, avaient une influence sur celui-ci. Ainsi sont nés les dieux et les croyances : des entités appartenant à un autre niveau de réalité influaient, voire décidaient du destin de chaque homme.
Il paraissait de plus assez logique de penser que, puisque nous sommes nous-mêmes de toute évidence apparus un jour (en constatant l’arrivée d’être qui n’étaient pas là auparavant), nous allions rejoindre cet autre niveau de réalité après notre mort, ce « monde des esprits ».
Quoi de plus normal alors qu’à l’apparition de la pensée rationelle il y a 2500 ans, les premiers philosophes s’attaquent à ces deux intuitions (existence d’un autre niveau de réalité et retour à cette dimension après la mort) ?
Comme l’a dit Bernard Pullman, « La crainte devant les mystères du Cosmos et les manifestations impressionnantes de la Nature et la peur, plus obsédante, de la mort, sont les compagnes inséparables des humains, et aucun bonheur véritable n’est possible aussi longtemps que leurs ombres se projettent sur notre existence. Il faut donc se délivrer de ces craintes. »
Le matérialisme venait de naître, avec un noble but à la clé : permettre à l’homme d’être heureux en le libérant de ses craintes irrationelles, en lui montrant qu’aucun dieu n’est maître du destin des humains.
Les pères de ce nouveau paradigme s’appelaient Démocrite, Leucippe et Epicure. Ils vont élaborer la première théorie atomique, spéculant ainsi que le monde trouvait ses causes dans le monde lui-même, et non dans le monde des esprits. Ce dernier n’avait plus de raison d’être.
Ce qui est extraordinaire, c’est de voir que tous les progrès de la science qui ont suivi (surtout à partir de la Renaissance) jusqu’au XXe siècle ont conforté cette vision selon lequel l’univers s’expliquait par lui-même, trouvait ses causes en lui-même.
On imagine aisément l’impact que cela a généré sur notre civilisation. Depuis qu’il existait, l’homme avait toujours cru être relié à l’univers. C’est ainsi qu’il définissait le sens de sa vie. Tout était en train de basculer.Trinh Xuan Thuan a écrit :L’homme a d’abord été délogé de sa place centrale dans l’Univers quand il a compris que la Terre tournait autour du Soleil, puis il a découvert que le Soleil , lui aussi, n’était pas au centre du Monde, qu’il n’était qu’une étoile de banlieue située aux deux tiers de la Voie Lactée ; enfin il a vu que notre galaxie elle-même n’était qu’une galaxie banale perdue parmi les milliards de galaxies qui existent dans l’Univers.
Jean Fourastié décrit très bien à quel point cela a déterminé la vision actuelle du monde de notre société :
L’univers venait de perdre tout son sens, et l’homme s’en trouvait désenchanté : tout ce qui existe était le fruit d’interactions fondamentales entre particules (physique), nous étions une poussière arrivée par hasard dans un univers indifférent (cosmologie), la vie était apparue elle aussi par hasard et par un processus de sélection aveugle et dénué de sens (Darwin).Jean Fourastié a écrit :La science du XIXème siècle et du début du XXème reste ainsi dominée non seulement par l’espoir mais par la certitude d’expliquer par le réel tout le réel [...]. Le mouvement de discrédit des surréels (populaires et savants) né des premières découvertes de la science expérimentale, s’étendit en effet à la grande majorité de la population. Des académies des sciences, l’esprit nouveau passa dans les académies littéraires, dans les cerveaux des poètes, des artistes, des publicistes, des romanciers, des journalistes ; et de là, successivement, dans ceux du grand public : bourgeois, fonctionnaires, instituteurs, puis dans les classes populaires urbaines, et enfin à une date plus récente, dans les campagnes…
L’univers s’expliquait par lui-même et il était dénué de sens. Nous avions l’impression d’arriver à la « fin de l’histoire », ce qui fit dire à Jacques Monod (« Le hasard et la nécessité ») : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers dont il a émergé par hasard. »
Toute la vision du monde de notre civilisation est ainsi définie par ce principe absolu : tout le réel peut être expliqué par le réel. Aussi riche soit-elle, cette vision « clôture » le réel en le rendant indépassable. C’est la fin de la quête de la compréhension de la condition humaine.
Alors il devient très intéressant de se poser la question de savoir si l’on en est devenu plus heureux. N’oublions pas que c’était à la base l’idée première des penseurs Grecs : rendre l’homme heureux et lui permettre de mener une vie sage et responsable en le délivrant de ses craintes irrationnelles, en le délivrant de la croyance que ce sont des dieux invisibles et tout puissants qui décident de la destinée humaine.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas évident que ce résultat soit atteint. On peut mettre face à face l’idéal de départ imaginé par Epicure et ses congénères, et le résultat de cette démarche tel qu’il est énoncé 2 500 ans plus tard par l’un des plus influents scientifiques matérialistes actuels, le « pape de la sociobiologie », E.O. Wilson, professeur à Harvard, à la fin de son ouvrage majeur « Sociobiologie » :
Quel désenchantement par rapport à l’idéal de bonheur des premiers philosophes matérialistes ! Le résultat obtenu est à l’opposé du but recherché : en fait de bonheur, et de l’aveu même d’un des matérialistes les plus influents, c’est la désespérance qui guette l’homme.E. O. Wilson a écrit :Quand nous aurons suffisamment progressé pour nous expliquer en ces termes mécanistes, et que les sciences sociales seront totalement épanouies, le résultat auquel nous nous trouverons confrontés risque de ne pas être aisé à accepter. Il semble donc approprié d’achever ce livre ainsi qu’il a commencé, avec ce sombre pressentiment d’Albert Camus : « Un monde qui peut être expliqué fut-ce par de mauvaises raisons est un monde familier. Mais, en revanche, dans un univers privé d’illusions et de lumière, l’homme se sent un étranger. Son exil est sans remède étant donné qu’il est privé du souvenir d’un foyer perdu ou de l’espoir d’une terre promise. » C’est malheureusement exact. Mais nous disposons encore d’une centaine d’années.
On peut ajouter à cela une citation de l’un des leaders de l’intelligence artificielle :
En effet si, comme le suppose la vision réductionniste, le cerveau est l’émetteur de l’esprit humain, si les neurones sécrètent la conscience comme le foie sécrète la bile, alors celle-ci peut évidemment être reproduite sous forme d’intelligence artificielle, que nous devrions plutôt appeler « conscience artificielle ».Marvin Minsky a écrit : Les ordinateurs de la prochaine génération seront tellement intelligents que nous aurons de la chance s’ils nous acceptent auprès d’eux comme animaux de compagnie.
Le dernier rêve que l’humain peut se permettre est donc… la vie éternelle, tout simplement. Et c’est très sérieux : les Américains sont très en pointe dans ce domaine ; ils recherchent depuis longtemps déjà à retarder l’action des cellules responsables du vieillissement. Puisque rien n’est sacré, le génôme humain ne l’est pas plus qu’autre chose. Rien ne s’oppose donc à ce qu’on cherche à l’ « améliorer ». Vous rendez-vous compte du monde qu’ils nous promettent ?
Hans Moravec, l’un des principaux spécialistes de la robotique spécule sur la façon dont on remplacera les différents organes du corps, y compris le cerveau, par des robots, soutenu en cela par le biologiste Richard Dawkins qui annonce, après l’ère des êtres vivants basés sur les gènes, l’ère des machines basées sur les « mèmes » (quantité d’information). Quant à Ruiz de Gopegui, élève de Minsky, il n’hésite pas à affirmer :
Tout un programme (sans jeu de mots)…Ruiz de Gopegui a écrit :La liberté est une illusion, on n’est pas intelligent ou sot, mais bien ou mal programmé. Avec les libertés individuelles disparaîtront les libertés civiles et politiques.
MAIS il ne faut pas oublier d’où vient ce résultat, cette vision désenchantée du monde : de la science. C’est la science qui a donné cette vision réductionniste de l’univers et de l’homme.
Hors, bonne nouvelle, l’exploration scientifique n’est pas achevée. Et il s’est passé quelques révolutions dans le domaine scientifique au cours du XXe siècle :
- La mécanique quantique a démontré que la matière a une nature double : corpusculaire ET ondulatoire, et cette nature dépend en partie de l’observateur. Ainsi, ces petits grains de matière qui représentaient la réalité ultime se sont dématérialisés, et le dogme de la neutralité de l’observateur a disparu : nous ne sommes pas séparés de l’univers. Le premier mythe est mort.
De plus, deux particules séparées par n’importe quelle distance peuvent être « non-séparables », c’est-à-dire qu’elles forment un seul et même objet qui s’étale sur tout l’univers. La déduction incontournable de ce phénomène (l’effet EPR) est qu’il existe un autre niveau de réalité hors de l’espace-temps ; qu’il existe une « causalité globale » dans l’univers qui, quelles que soient les explications envisagées, nécessite l’existence de cet autre niveau.
L’existence de cet autre niveau de réalité implique que l’univers n’est plus explicable uniquement à partir de lui-même. Le deuxième mythe vient lui aussi de mourir.
- En astrophysique, la relativité générale et la théorie du big bang ont donné la preuve de la relativité espace-temps et donc d’un commencement de l’univers puisque celui-ci n’est plus absolu, mettant ainsi fin à 2500 ans de croyance selon laquelle l’univers était éternel, immuable et absolu.
Mieux encore, l’informatique moderne permet de modéliser l’impact des différentes variables sur l’évolution de l’univers.
Hors, en modifiant d’un facteur de moins de un pour mille la vitesse d’expansion de l’univers, ou en modifiant d’un même facteur les constantes de couplage entre les quatre force, ou en modifiant la vitesse de la lumière, ou en modifiant les charges électriques des particules élémentaires (pourquoi le proton et l’électron ont exactement la même charge, à la 20ème décimale près (!), alors que ces deux particules sont si différentes ?), ou en modifiant encore d’autres données physiques, A CHAQUE FOIS l’univers modélisé n’est pas viable faute de formation d’étoiles (ou de leur vie bien trop courte).
Il existe donc des dizaines de coïncidences extraordinaires et toutes sont SIMULTANEMENT nécessaires pour que la vie apparaisse !
C’est ce que l’on appelle le principe anthropique.Hubert Reeves a écrit :Le miracle de la vie n’est pas qu’elle soit apparue il y a 3.5 milliards d’années, le miracle est qu’elle ait PU apparaître.
« Dernières nouvelles du cosmos »
C’est là un coup de massue énorme pour la vision d’un univers dénué de sens (et si déprimant d’ailleurs) ; c’est pourquoi les amoureux du non-sens, les matérialistes, détestent et attaquent autant le principe anthropique.
Leur seule et unique porte de sortie est de postuler l’existence d’une infinité d’univers « parallèles » (et non observables, ce qui ne va pas dans le sens du rasoir d’Occam), et nous serions dans le seul qui aurait « fonctionné » par hasard. Mais s’il n’existe qu’un seul univers, alors la question du sens de notre existence revient en force, et cela du cœur même de la science.
Trinh Xuan Thuan a écrit :Je rejette l’hypothèse du hasard parce qu’en dehors du non-sens et de la désespérance qu’elle entraîne, je ne puis concevoir que l’harmonie, la symétrie, l’unité, la beauté que nous percevons dans le monde, des contours délicats d’une fleur à l’architecture majestueuse des galaxies, mais aussi de manière beaucoup plus subtile et élégante, dans les lois de la nature, soient le fait du hasard.
« Le chaos et l’harmonie »
- Dans les sciences de la vie, un décalage en arrière se perpétue depuis 300 ans par rapport aux sciences de la matière. C’est normal puisqu’elles sont en partie dépendantes des moyens techniques fournis par la physique.
Ainsi, les mécanismes darwiniens expliquent parfaitement un grand nombre de phénomènes. Mais il est bien plus intéressant d’observer ce qu’ils n’expliquent pas : pourquoi n’y a-t-il pas un dégradé continu entre les différentes espèces ? D’ailleurs, la notion d’espèce ne devrait même pas exister dans la théorie darwinienne puisque, selon les mécanismes qu’elle prône (hasard et sélection), l’évolution serait un continuum où la transformation d’une espèce en une autre est continue et insensible.
Alors pourquoi n’y a-t-il aucun homme plus proche des singes qu’un autre homme ? Comment expliquer l’existence de tous les « chaînons manquants » ? Pourquoi n’y a-t-il aucun reptile plus proche des poissons qu’un autre reptile ? Pourquoi n’y a-t-il aucun batracien plus proche des reptiles qu’un autre batracien ? Autrement dit, pourquoi y a-t-il parfaite équidistance moléculaire entre les différentes espèces ?
Ce phénomène dont personne ne peut contester l’existence suppose que les horloges moléculaires des différentes espèces soient restées « branchées » les unes sur les autres depuis des centaines de millions d’années, ce qui suppose une incroyable coordination générale.
Il semble donc exister en matière d’évolution des processus qui se déroulent sur le très long terme et qui semblent avoir une logique propre, qui se situe hors d’atteinte des modifications de l’environnement.
Il semble que l’évolution ne soit précisément pas continue, mais qu’il existe des « sauts » (des macromutations) d’une espèce à une autre, donc qu’il existe des « types » : le type papillon, le type cheval, le type humain, le type cactus etc.
Puisque tous les êtres vivants sont fabriqués à partir des mêmes matériaux de base (ADN, ARN, acides aminés…) depuis nos ancêtres bactéries et que nous sommes pourtant tous très différents, où peut résider la différence ?
Pour reprendre une analogie de Jean Staune, si l’on imagine une usine fabriquant des R5 et qui se mettrait tout d’un coup à fabriquer des R21 avec les mêmes matériaux et les mêmes ouvriers, qu’est-ce qui aurait changé ?
Les plans.
La question est donc : où sont les « plans » qui coordonnent les macromutations ?
Ainsi, là aussi les concepts de hasard, d’absurde et de non-sens qui dominent dans ce domaine sont battus en brèche par les fabuleuses perspectives que laisse entrevoir l’évolution des sciences de la vie (évolutions qui ont déjà eu lieu en physique et en astrophysique).
- La conscience est le fait de percevoir. Nous percevons le monde, de la même manière que nous percevons nos pensées, nos émotions, nos sensations etc. Nous nous percevons tel un « moi » unique. C’est la conscience, qui est fondamentalement ce que nous sommes.
L’immense majorité des neurobiologistes effectuent leurs recherches, en accord avec la vision réductionniste, dans un cadre conceptuel où le cerveau produit la conscience, où le cerveau serait l’émetteur de la conscience, ce qui paraît d’ailleurs logique à qui ne s’est jamais posé la question (ce qui montre bien à quel point le paradigme matérialiste est profondément et inconsciemment implanté).
La conscience serait le produit de l’activité neuronale. Il y aurait donc identité entre les états mentaux et les états neuronaux. On appelle cela l’hypothèse moniste, dont la conséquence logique est bien résumée par Jean-Pierre Changeux montrant du doigt un élève pendant l’introduction de son cours au Collège de France :
Il voulait illustrer par là que lorsque l’on aurait connaissance de l’intégralité des échanges électrochimiques dans le cerveau, tout les états mentaux en seraient déductibles, et donc prévisibles dans le futur.JP Changeux a écrit :Je ne sais pas ce que pense monsieur, mais un jour je le saurai, et je saurai même ce qu’il va penser dans 2 minutes.
Sans détailler ses expériences, ce serait bien trop long, Benjamin Libet a mis au point un protocole expérimental prouvant que la conscience pouvait s’extraire du temps dans certaines situations (combien de personnes ont relaté, lors d’un accident de voiture par exemple, avoir eu l’impression que la scène qui se déroulait en une seconde leur avait paru durer beaucoup plus longtemps ?)
Jean François Lambert a lui mené des expériences sur des moines bouddhistes en méditation montrant que dans certains cas l’on ne pouvait pas déduire leur état mental de leur état neuronal.
Cela ajouté à beaucoup d’autres faits que je regrette de n’avoir pas la place d’exposer ici, a crédibilisé l’hypothèse opposée (hypothèse dualiste), dans laquelle le cerveau ne serait plus l’émetteur, mais le récepteur de la conscience, comme un poste radio. La conscience existerait « hors » du cerveau, ce que semblent confirmer les expériences de mort imminente (NDE).
Là encore, on retrouve ce concept d’une dimension du réel hors de l’espace et du temps nécessaire pour expliquer ce qui se passe dans l’espace-temps.
- De la même manière que la mécanique classique voulait enfermer l’univers et l’homme dans un déterminisme physique (tout l’univers est explicable uniquement à partir de l’univers), un mathématicien nommé David Hilbert voulut enfermer l’esprit humain dans un déterminisme logique. Au début du XXè siècle, il demanda à la communauté des mathématiciens de réfléchir à démontrer la complétude de la logique.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Toutes les sciences, toutes les activités humaines quantifiables et formalisables reposent sur les mathématiques, qui elles-mêmes reposent sur la logique. Et sur quoi repose la logique ?
Si l’on veut que l’ensemble des activités humaines forment un tout cohérent, alors la logique doit
reposer sur la logique elle-même.
Ainsi, Hilbert expliqua avec raison que le jour où l’on aurait démontré la complétude de la logique (c’est-à-dire le fait qu’elle repose bien sur elle-même), alors on pourrait avec certitude démontrer la véracité ou la fausseté de n’importe quelle affirmation.
Ce programme de recherche, qu’il appella la « Solution finale » (mais cela se passait avant la guerre), avait tout simplement pour ambition d’achever définitivement l’explication du monde par le monde, d’achever de clôturer le réel…
Pas de chance, en 1931 Kurt Gödel démontra le contraire : tout ensemble fini d’axiomes contient une proposition indécidable, autrement dit, dans tout système logique, il y a au moins une proposition qui n’est ni vraie ni fausse du type : [« Tous les Crétois sont des menteurs » dit un Crétois.] Donc aucun système logique fermé sur lui-même ne peut être cohérent ; il y a forcément une ouverture, un « au-delà » dans tout système.
Il alla même encore plus loin en démontrant que tout ensemble d’axiomes contient une proposition que nous savons être vraie, mais qui est pourtant indémontrable à partir des axiomes en question. Autrement dit, la notion de vérité en mathématiques est plus vaste que la notion de démonstrabilité, ce qui eu de quoi faire passer de nombreuses nuits blanches aux mathématiciens qui avaient toujours été persuadés que ces deux notions étaient absolument équivalentes.
Bref, Gödel, ce génie, à démontré que tout n’était pas démontrable.
Le théorème de Gödel (dit « théorème d’incomplétude ») est donc LE coup mortel pour tous ceux qui pensaient pouvoir démontrer un jour la complétude du réel. On sait maintenant que cela ne sera jamais possible. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas démontrable qu’il n’est pas vrai…
Comment ne pas être saisi de vertige devant l’immense remise en cause qui vient d’être décrite ?
La vision classique qui envisageait le monde comme indépendant de nous et objectif par rapport à lui-même, la même vision qui promettait que l’on pourrait (en théorie) prévoir tout le futur de l’univers à partir d’une parfaite connaissance des conditions initiales, que l’on pourrait savoir ce que pense quelqu’un à partir de la simple observation de son cerveau, que l’on pourrait démontrer la véracité absolue de toute proposition, ajouté à une évolution aveugle où domine la survie du plus apte, cette vision classique qui est encore celle de toute notre civilisation… est morte ! Elle s’effondre ou s’est déjà effondrée dans tous les domaines de la science.
Si encore cette remise en cause n’avait touchée qu’un seul domaine scientifique, cette révolution aurait beaucoup moins de force. Mais dans toutes les grandes disciplines scientifiques apparaissent « des choses derrière les choses » selon l’expression de Jacques Prévert. Derrière la non-séparabilité en physique quantique, derrière le big bang (principe anthropique), derrière les archétypes de l’évolution, derrière les mathématiques qui sont découvertes et non pas inventées (selon Alain Connes, Roger Penrose et bien d’autres sommités internationales en la matière), on ne peut que déduire l’existence d’un autre niveau de réalité qui n’est situé ni dans l’espace, ni dans le temps, que David Bohm appelle l’ « ordre impliqué » et Bernard d’Espagnat le « réel voilé ».
En considérant cet autre niveau de réalité, comment ne pas penser à la dimension spirituelle évoquée dans toutes les cultures et à tous les âges ?
La science n’est plus en contradiction frontale avec la spiritualité ; c’est le matérialisme qui le devient, pour ne pas dire qu’il l’est déjà. Alors bien-sûr, il suffit de voir les tirs de barrage que provoque une simple remise en question du darwinisme comme explication définitive de l’évolution pour constater que l’on ne change pas de paradigme aussi facilement. On n’efface pas trois cents ans d’idéologie en quelques années. Comme le disait Einstein, « Un préjugé est plus difficile à briser qu’un atome ».Un autre bouleversement devrait être considéré comme positif, c’est l’abolition du carcan matérialiste et l’émergence de nouvelles possibilités philosophiques : en effet, la science des XVIIIème et XIXème siècles avait abouti au triomphe du matérialisme mécaniste, qui expliquait tout par l’agencement de morceaux de matière minuscules et indivisibles, agencement réglé par diverses forces d’interaction qu’ils exerçaient entre eux.
Cette vision assez primitive, à laquelle se tiennent encore la plupart des biologistes, avait pour conséquence l’inutilité des religions et de celles des philosophies qui font appel à l’existence d’entités non matérielles. Le fait que ces morceaux de matière se soient révélés n’être en réalité que des abstractions mathématiques, non locales, c’est-à-dire pouvant s’étendre sur tout l’espace et de plus n’obéissant pas au déterminisme, a porté un coup fatal à ce matérialisme classique.
Sven Ortoli et Jean Pierre Pharabod, « Le cantique des quantiques »
Cependant, je tiens à relever qu’il se passe exactement le contraire qu’à l’époque où le paradigme dominant venait de la vision du monde imposée par l’Eglise et où il était dangereux pour un scientifique de le remettre en question. Est-il besoin de rappeler le procès de Galilée ?
A présent, ce sont les matérialistes qui sont dépositaires du paradigme dominant, et ceux qui le remettent en cause ont malheureusement intérêt à être bien armés contre les critiques et les procès d’intention…
Je finirai en rappelant un des enseignements de Lao Tseu illustrant l’existence de l’ « ordre impliqué » : à l’instar du néant, c’est ce qui échappe, ce qui paraît inconsistant, qui donne son sens à tout le reste. Ainsi, « les trente rayons convergent au moyeu, mais c’est le vide médian qui fait tourner la roue. »