Quel rôle a joué le futur pape François, alors provincial de
Posté : 20 mars13, 07:44
Quel rôle a joué le futur pape François, alors provincial des jésuites, pendant les années de dictature ? Depuis son élection à la tête du Vatican, la polémique a resurgi sur le passé de Jorge Mario Bergoglio durant ces années de plomb où une partie de la hiérarchie catholique cautionnait le régime du général Videla. Avec le souci de s'en tenir aux faits, La Vie fait le point sur les accusations et les éléments de défense.
Est-ce la fin d'une polémique ? Dans une interview donnée à la radio, le 18 mars, Ricardo Lorenzetti, le président de la cour suprême argentine, a déclaré : « Le pape François est complètement innocent » des faits qui lui sont reprochés durant la dictature militaire. Le président de la Cour suprême, réputé proche de Christina Kirchner, l'actuelle présidente, est actuellement à Rome, où il fait partie de la délégation officielle de son pays pour assister à la messe d’inauguration du pontificat qui a eu lieu mardi 19 mars.
Des accusations contre le cardinal Bergoglio aussi graves qu'anciennes
Dans un livre paru en 2005, soit à la veille du précédent conclave, intitulé El Silencio (Le Silence) et sous titré « de Paul VI à Bergoglio : les relations secrètes de l' Eglise avec l'ESMA (NDLR : l'Ecole mécanique de la marine transformée en centre de torture) Horacio Verbitsky, journaliste argentin d'investigation, consacre un long passage aux relations qu'aurait entretenues Jorge Bergoglio avec la dictature militaire argentine.
Le journaliste écrit notamment que Bergoglio - qui était à l'époque provincial des jésuites argentins, c'est-à-dire leur responsable national - aurait livré, en 1976, aux militaires deux jeunes prêtres jésuites, Orlando Yorio et Francisco Jalics. Ces deux prêtres, engagés auprès des pauvres, exercaient leur sacerdoce dans des bidonvilles, à la périphérie de Buenos Aires, et étaient dans le viseur des militaires argentins. Ceux-là même qui installèrent une des plus sinistres dictatures du continent latino-américain qui, selon un bilan communément admis, s'est rendue coupable d'au moins 30.000 morts et « disparus », entre 1976 et 1983. Avec le silence, sinon l'appui d'une bonne partie de la hiérarchie catholique argentine de l'époque.
Sur ce cas précis des deux prêtres, le père Jorge Mario Bergoglio, alors âgé de 39 ans, est accusé d'avoir à la fois dissous leur communauté et demandé qu'ils quittent l'Argentine, ce qui aurait été interprété par les militaires comme un feu vert à leur arrestation. Une version que confirme indirectement dans une interview publiée dans La Croix, datée du 15 mars 2013, Claude Faivre Duboz, un prêtre français qui a passé plus de 35 ans en Argentine et qui s'était lié d'amitié avec l'un des deux jésuites, le père Yorio : « Ce sont les militaires qui ont demandé au provincial des jésuites de les retirer de ces quartiers, car ils étaient un ferment d'opposition ». Par contre, Charles Plancot, un autre prêtre français en mission en Argentine entre 1970 et 1978, toujours cité par La Croix, en livre une interprétation différente : « Bergoglio savait que ces deux jésuites étaient menacés de mort et c'est pourquoi il leur a demandé de partir. Et, finalement, c'est grâce à lui qu'ils s'en sont sortis ».
En tout cas, trois mois après leur départ forcé du bidonville, ces deux prêtres jésuites furent arrêtés et torturés dans la sinistre Ecole mécanique de la marine (Esma). Ils ne furent libérés qu'au bout de six mois, suite à la pression internationale des associations de droits de l'homme. A leur sortie, le père Yorio, décédé en 2000, a nommément accusé Bergoglio de les avoir livrés à leurs bourreaux. « Je suis sûr qu'il a lui-même fourni une liste avec nos noms à la Marine » témoigne-t-il lors d'un procès de la junte militaire en 1985.
Des accusations reprises, mais de façon plus indirecte, par le père Jalics dans un livre Ouverture à la contemplation, traduit par les Editions Desclée de Brouwer en 2002. Dans cet ouvrage de témoignage spirituel, celui qui est devenu en Allemagne un animateur de sessions de formation à la contemplation, raconte d'abord comment il a pu tenir bon avec le père Yorio, dans les prisons des Escadrons de la mort : « Nous avions commencé à méditer en répétant tout simplement le nom de Jésus. Nous prononcions cette prière toute simple sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».
A propos des circonstances de leur arrestation, Franz Jalics écrit ceci : « L' Eglise officielle et nos supérieurs nous ont confié une mission : déménager et vivre avec des pauvres. Bon nombre de personnes ne voyaient pas d'un bon œil notre présence dans les bidonvilles, car elles adhéraient fortement aux mouvements d'extrême-droite. Elles considéraient notre présence dans ce quartier de misère comme un soutien à la guerilla. Elles ont alors envisagé de nous dénoncer comme terroristes, mais nous savions d'où venait le vent et qui était responsable de cette diffamation. Je suis allé trouver cet homme et je lui ai dit qu'il jouait avec notre vie. Il m' a alors promis de dire aux militaires que nous n'étions pas des terroristes. Selon des déclarations ultérieures faites par un officier et d'après trente documents que j'ai eus plus tard en main, il ne faisait aucun doute que cet homme n'avait pas tenu sa promesse et avait fait de fausses déclarations aux militaires ».
Sans jamais préciser qui est « cet homme », et ce « il » accusé de duplicité, le père Jalics termine son récit sur son emprisonnement par cette phrase sibylline : « Ce contexte devrait suffire pour l'instant »...
Seul document rendu public dans ce dossier trouble, une note dactylographiée - publiée dans le livre El Silencio (Editions Sudaméricana, 2005) et reproduite par le site Rue 89 - rédigée d'après des éléments qui auraient été envoyés en 1979 par le père Bergoglio au directeur du culte catholique au Ministère des affaires étrangères, et concernant le renouvellement du passeport du père Jalics.
Son contenu est peu bienveillant vis-à-vis du prêtre jésuite : « Père Francisco Jalics : Activité provocatrice dans les Congrégations religieuses féminines (conflits d’obéissance). Emprisonné à l’Ecole Mécanique de la Marine du 24.5.1976 à septembre 1976 (6 mois) accusé avec le Père Yorio. Soupçonné contacts guerilleros. Ils habitaient en petite communauté que le supérieur jésuite a dissous, en février 1976, et ont refusé d’obéir en demandant à sortir de la Compagnie, ont reçu 2 (sic) l’expulsion et pas le Père Jalics, car il est tenu à des vœux solennels. Aucun évêque du Grand Buenos Aires n’a accepté de les recevoir ».
Depuis l'élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape, cette affaire est ressortie dans les médias argentins, notamment dans Pagina 12, un journal de gauche et proche du pouvoir, dont Horacio Verbitsky est devenu le directeur. En effet, dans un nouvel article, publié le lendemain de son élection au Vatican, Horacia Verbitsky cite d'abord un message qu'il a reçu de Gracelia Yorio, la sœur du prêtre qui avait dénoncé Jorge Mario Bergoglio comme le responsable de son enlèvement et des actes de tortures subis : « Je n'en crois pas mes yeux, écrit-elle. Je suis si angoissée et furieuse que les bras m'en tombent. Il est arrivé à ses fins. C'est la personne idéale pour cacher la corruption morale, un expert ès cachotteries ». Et le journaliste argentin d'accuser également l'ancien archevêque de Buenos Aires d'avoir fermé les yeux sur d'autres agissements de la junte militaire, notamment l'enlèvement de bébés d'opposants politiques. Un autre épisode sombre de l'histoire argentine et qui sera l'objet d'un documentaire « Les 500 bébés volés de la dictature », diffusé ce mardi 19 mars à 20.40 sur France 5.
Horacio Verbitsky, par ailleurs président du Centre d'études légales et sociales (CELS) - une ONG argentine spécialisée dans les droits de l'homme - souligne, en effet, une contradiction dans les déclarations de Jorge Mario Bergoglio devant un tribunal en 2010 où un avocat argentin et l'association des Grands-mères de la Place de mai l'avaient cité à comparaître... « Devant le tribunal oral fédéral n°5, écrit Horacio Verbitsky, il a affirmé n'avoir appris que récemment l'existence de jeunes enfants kidnappés, et cela après la fin de la dictature. Pourtant, poursuit le journaliste, le tribunal oral fédéral n°6 a reçu des documents qui révèlent que dès 1979, Jorge Mario Bergoglio était au courant et qu'il est intervenu dans au moins un cas ». D'ailleurs, Estella de Carlotta, l'actuelle présidente des Grands-mères de la Place de mai a regretté dans une interview donnée après l'élection du pape, que « Bergoglio n'ait pas eu le courage d'intervenir à l'époque et d'aider les familles dans leur recherche de leurs enfants disparus ».
Est-ce la fin d'une polémique ? Dans une interview donnée à la radio, le 18 mars, Ricardo Lorenzetti, le président de la cour suprême argentine, a déclaré : « Le pape François est complètement innocent » des faits qui lui sont reprochés durant la dictature militaire. Le président de la Cour suprême, réputé proche de Christina Kirchner, l'actuelle présidente, est actuellement à Rome, où il fait partie de la délégation officielle de son pays pour assister à la messe d’inauguration du pontificat qui a eu lieu mardi 19 mars.
Des accusations contre le cardinal Bergoglio aussi graves qu'anciennes
Dans un livre paru en 2005, soit à la veille du précédent conclave, intitulé El Silencio (Le Silence) et sous titré « de Paul VI à Bergoglio : les relations secrètes de l' Eglise avec l'ESMA (NDLR : l'Ecole mécanique de la marine transformée en centre de torture) Horacio Verbitsky, journaliste argentin d'investigation, consacre un long passage aux relations qu'aurait entretenues Jorge Bergoglio avec la dictature militaire argentine.
Le journaliste écrit notamment que Bergoglio - qui était à l'époque provincial des jésuites argentins, c'est-à-dire leur responsable national - aurait livré, en 1976, aux militaires deux jeunes prêtres jésuites, Orlando Yorio et Francisco Jalics. Ces deux prêtres, engagés auprès des pauvres, exercaient leur sacerdoce dans des bidonvilles, à la périphérie de Buenos Aires, et étaient dans le viseur des militaires argentins. Ceux-là même qui installèrent une des plus sinistres dictatures du continent latino-américain qui, selon un bilan communément admis, s'est rendue coupable d'au moins 30.000 morts et « disparus », entre 1976 et 1983. Avec le silence, sinon l'appui d'une bonne partie de la hiérarchie catholique argentine de l'époque.
Sur ce cas précis des deux prêtres, le père Jorge Mario Bergoglio, alors âgé de 39 ans, est accusé d'avoir à la fois dissous leur communauté et demandé qu'ils quittent l'Argentine, ce qui aurait été interprété par les militaires comme un feu vert à leur arrestation. Une version que confirme indirectement dans une interview publiée dans La Croix, datée du 15 mars 2013, Claude Faivre Duboz, un prêtre français qui a passé plus de 35 ans en Argentine et qui s'était lié d'amitié avec l'un des deux jésuites, le père Yorio : « Ce sont les militaires qui ont demandé au provincial des jésuites de les retirer de ces quartiers, car ils étaient un ferment d'opposition ». Par contre, Charles Plancot, un autre prêtre français en mission en Argentine entre 1970 et 1978, toujours cité par La Croix, en livre une interprétation différente : « Bergoglio savait que ces deux jésuites étaient menacés de mort et c'est pourquoi il leur a demandé de partir. Et, finalement, c'est grâce à lui qu'ils s'en sont sortis ».
En tout cas, trois mois après leur départ forcé du bidonville, ces deux prêtres jésuites furent arrêtés et torturés dans la sinistre Ecole mécanique de la marine (Esma). Ils ne furent libérés qu'au bout de six mois, suite à la pression internationale des associations de droits de l'homme. A leur sortie, le père Yorio, décédé en 2000, a nommément accusé Bergoglio de les avoir livrés à leurs bourreaux. « Je suis sûr qu'il a lui-même fourni une liste avec nos noms à la Marine » témoigne-t-il lors d'un procès de la junte militaire en 1985.
Des accusations reprises, mais de façon plus indirecte, par le père Jalics dans un livre Ouverture à la contemplation, traduit par les Editions Desclée de Brouwer en 2002. Dans cet ouvrage de témoignage spirituel, celui qui est devenu en Allemagne un animateur de sessions de formation à la contemplation, raconte d'abord comment il a pu tenir bon avec le père Yorio, dans les prisons des Escadrons de la mort : « Nous avions commencé à méditer en répétant tout simplement le nom de Jésus. Nous prononcions cette prière toute simple sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».
A propos des circonstances de leur arrestation, Franz Jalics écrit ceci : « L' Eglise officielle et nos supérieurs nous ont confié une mission : déménager et vivre avec des pauvres. Bon nombre de personnes ne voyaient pas d'un bon œil notre présence dans les bidonvilles, car elles adhéraient fortement aux mouvements d'extrême-droite. Elles considéraient notre présence dans ce quartier de misère comme un soutien à la guerilla. Elles ont alors envisagé de nous dénoncer comme terroristes, mais nous savions d'où venait le vent et qui était responsable de cette diffamation. Je suis allé trouver cet homme et je lui ai dit qu'il jouait avec notre vie. Il m' a alors promis de dire aux militaires que nous n'étions pas des terroristes. Selon des déclarations ultérieures faites par un officier et d'après trente documents que j'ai eus plus tard en main, il ne faisait aucun doute que cet homme n'avait pas tenu sa promesse et avait fait de fausses déclarations aux militaires ».
Sans jamais préciser qui est « cet homme », et ce « il » accusé de duplicité, le père Jalics termine son récit sur son emprisonnement par cette phrase sibylline : « Ce contexte devrait suffire pour l'instant »...
Seul document rendu public dans ce dossier trouble, une note dactylographiée - publiée dans le livre El Silencio (Editions Sudaméricana, 2005) et reproduite par le site Rue 89 - rédigée d'après des éléments qui auraient été envoyés en 1979 par le père Bergoglio au directeur du culte catholique au Ministère des affaires étrangères, et concernant le renouvellement du passeport du père Jalics.
Son contenu est peu bienveillant vis-à-vis du prêtre jésuite : « Père Francisco Jalics : Activité provocatrice dans les Congrégations religieuses féminines (conflits d’obéissance). Emprisonné à l’Ecole Mécanique de la Marine du 24.5.1976 à septembre 1976 (6 mois) accusé avec le Père Yorio. Soupçonné contacts guerilleros. Ils habitaient en petite communauté que le supérieur jésuite a dissous, en février 1976, et ont refusé d’obéir en demandant à sortir de la Compagnie, ont reçu 2 (sic) l’expulsion et pas le Père Jalics, car il est tenu à des vœux solennels. Aucun évêque du Grand Buenos Aires n’a accepté de les recevoir ».
Depuis l'élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape, cette affaire est ressortie dans les médias argentins, notamment dans Pagina 12, un journal de gauche et proche du pouvoir, dont Horacio Verbitsky est devenu le directeur. En effet, dans un nouvel article, publié le lendemain de son élection au Vatican, Horacia Verbitsky cite d'abord un message qu'il a reçu de Gracelia Yorio, la sœur du prêtre qui avait dénoncé Jorge Mario Bergoglio comme le responsable de son enlèvement et des actes de tortures subis : « Je n'en crois pas mes yeux, écrit-elle. Je suis si angoissée et furieuse que les bras m'en tombent. Il est arrivé à ses fins. C'est la personne idéale pour cacher la corruption morale, un expert ès cachotteries ». Et le journaliste argentin d'accuser également l'ancien archevêque de Buenos Aires d'avoir fermé les yeux sur d'autres agissements de la junte militaire, notamment l'enlèvement de bébés d'opposants politiques. Un autre épisode sombre de l'histoire argentine et qui sera l'objet d'un documentaire « Les 500 bébés volés de la dictature », diffusé ce mardi 19 mars à 20.40 sur France 5.
Horacio Verbitsky, par ailleurs président du Centre d'études légales et sociales (CELS) - une ONG argentine spécialisée dans les droits de l'homme - souligne, en effet, une contradiction dans les déclarations de Jorge Mario Bergoglio devant un tribunal en 2010 où un avocat argentin et l'association des Grands-mères de la Place de mai l'avaient cité à comparaître... « Devant le tribunal oral fédéral n°5, écrit Horacio Verbitsky, il a affirmé n'avoir appris que récemment l'existence de jeunes enfants kidnappés, et cela après la fin de la dictature. Pourtant, poursuit le journaliste, le tribunal oral fédéral n°6 a reçu des documents qui révèlent que dès 1979, Jorge Mario Bergoglio était au courant et qu'il est intervenu dans au moins un cas ». D'ailleurs, Estella de Carlotta, l'actuelle présidente des Grands-mères de la Place de mai a regretté dans une interview donnée après l'élection du pape, que « Bergoglio n'ait pas eu le courage d'intervenir à l'époque et d'aider les familles dans leur recherche de leurs enfants disparus ».