Le "Judéo-christianisme" et le "Christianisme paulinien"
Posté : 03 juin13, 06:02
Un message :
Savez-vous que Jean Damascène, qui a vécu aux VIIè et VIIIè siècles de l'ère chrétienne, soit au moment qui a suivi l'apparition de l'islam, a qualifié ce dernier d'hérésie chrétienne ? Personnellement je le crois sans peine, car j'ai pu constater que votre prophète a, comme Arius, Nestorius et tant d'autres personnages avant lui, émis à propos de Jésus-Christ des avis déviants par rapport ce qui est établi chez les chrétiens. De plus il a enseigné une Loi religieuse [avec interdits alimentaires, etc.] alors que notre Seigneur est mort sur la croix pour la fin de la Loi.
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Réponse :
Notre croyance à nous musulmans est différente de ce que vous écrivez là. Muhammad ne s'est jamais présenté comme le seul messager de Dieu mais comme le dernier d'entre eux, ayant été précédé notamment par Noé, Abraham, Moïse et Jésus (sur eux tous la paix). Muhammad a bien été envoyé par le même Dieu qui a envoyé Jésus, sa mission à lui étant de délivrer un message recentrant la tradition, et ce par la présentation d'un retour aux sources des enseignements abrahamiques, marié à une universalisation de ceux-ci. C'est pourquoi on y trouve des éléments communs avec le christianisme, et aussi des éléments différents de ce que les conciles chrétiens ont adopté.
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1) "Judéo-christianisme" et "christianisme paulinien" :
Il faut souligner que même si les Apôtres qui vécurent aux côtés de Jésus pensaient, pour l'avoir entendu dire, que Jésus avait été crucifié, ils n'élaborèrent aucune croyance particulière à partir de cette crucifixion qu'ils croyaient s'être produite : eux n'ont jamais pensé qu'il s'agissait d'un sacrifice de Jésus voulu par Dieu pour mettre fin à la Loi, comme l'affirma Paul de Tarse (Romains 7/1-6, Galates 3/13, 5/1-4), ou pour servir d'expiation au péché originel, permettant ainsi la Rédemption de l'humanité par rapport au péché originel. Paul de Tarse parla de la faute de Adam qui entraîna que "la multitude fut rendue pécheresse" – Romains 5/19 –, tandis que Augustin d'Hippone développa plus tard le concept du sacrifice de Jésus pour la rédemption du péché originel ; il s'appuya pour cela sur des propos équivoques présents dans les Evangiles – comme Matthieu 1/21, 20/28, 26/28, Marc 10/45 –, alors que ceux-ci indiquent seulement que Jésus est messager de Dieu et que c'est en suivant ses enseignements que les gens auxquels son message s'adresse seront sauvés.
Au contraire, les Apôtres qui furent les compagnons de Jésus continuaient, après son départ, à se conformer à la loi mosaïque (même s'ils ont pu croire que Jésus était mort sur la croix), mais tout en y ajoutant la croyance que Jésus était un Messager de Dieu et le Messie annoncé, et tout en observant les réformes qu'il avait apportées dans l'observance de la loi. Et vous citez Jean Damascène, mais nous citons pour notre part un… cardinal : Daniélou.
Maurice Bucaille écrit : "Entre le moment où Jésus quitta cette terre et jusqu'à la moitié du IIè siècle, soit pendant plus d'un siècle, on assista à une lutte entre deux tendances, entre ce que l'on peut appeler le christianisme paulinien et le judéo-christianisme ; ce n'est que très progressivement que le premier supplanta le second et que le paulinisme triompha du judéo-christianisme. Un grand nombre de travaux remontant aux toutes dernières décennies, fondées sur des découvertes de notre temps, ont permis d'aboutir à ces notions modernes auxquelles est attaché le nom du cardinal Daniélou. L'article qu'il fit paraître en décembre 1967 dans la revue Etudes : "Une vision nouvelle des origines chrétiennes, le judéo-christianisme", reprenant des travaux antérieurs, en retrace l'histoire (…). On trouvera ci-dessous un condensé des points essentiels de son article avec d'amples citations" (La Bible, le Coran et la science, Seghers, 1976, pp. 61-62).
Ce qui ressort de l'étude du cardinal Daniélou est qu'après Jésus, le groupe composé des Apôtres et de leurs disciples immédiats reste fidèle aux observances de la loi mosaïque, auxquels ils rajoutent la croyance que le Messie est venu en la personne de Jésus et qu'il a apporté des modifications mineures – rajouts ou retranchements – dans cette loi. Bucaille poursuit : "Toutefois, lorsque se joint à eux (…) des convertis venus du paganisme, on leur propose, si l'on peut dire, un régime spécial : le concile de Jérusalem de 49 les dispense de la circoncision et des observances juives (…). A propos de [ces] païens venus au christianisme, Paul et les judéo-chrétiens se heurtent (incident d'Antioche de l'an 49). "Pour Paul, la circoncision, le sabbat, le culte du temple étaient désormais périmés, même pour les juifs. Le christianisme devait se libérer de son appartenance politico-religieuse au judaïsme pour s'ouvrir aux Gentils." Pour les judéo-chrétiens restant de "loyaux israélites", Paul est un traître : des documents judéo-chrétiens le qualifient d'"ennemi", l'accusent de "duplicité tactique", mais "le judéo-christianisme représente, jusqu'en 70, la majorité de l'Eglise" et "Paul reste un isolé". Le chef de la communauté est alors Jacques, parent de Jésus. (…) "Jacques peut être considéré comme la colonne du judéo-christianisme, qui reste délibérément engagé dans le judaïsme en face du christianisme paulinien". La famille de Jésus tient une grande place dans cette église judéo-chrétienne. "Le successeur de Jacques sera Siméon, fils de Cléopas, cousin du Seigneur." Le cardinal Daniélou cite ici les écrits judéo-chrétiens traduisant les vues sur Jésus de cette communauté formée initialement autour des apôtres : l'Evangile des Hébreux (relevant d'une communauté judéo-chrétienne d'Egypte), les Hypotyposes de Clément, les Reconnaissances clémentines, la seconde Apocalypse de Jacques, l'Evangile de Thomas. "C'est à ces judéo-chrétiens qu'il faut sans doute rattacher les plus antiques monuments de la littérature chrétienne", dont le cardinal Daniélou fait une mention détaillée. "Ce n'est pas seulement à Jérusalem et en Palestine que le judéo-christianisme est dominant durant le premier siècle de l'Eglise. Partout, la mission judéo-chrétienne paraît s'être développée antérieurement à la mission paulinienne. C'est bien ce qui explique les épîtres de Paul fassent sans cesse allusion à un conflit." Ce sont les mêmes adversaires qu'il rencontrera partout, en Galatie, à Corinthe, à Colosses, à Rome, à Antioche" (Ibid. pp. 62-63).
De notre point de vue musulman, ce que le cardinal Daniélou a nommé "le judéo-christianisme" correspond à l'enseignement originel de Jésus.
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2) Une objection et sa réponse :
Quelqu'un pourrait dire : Comment pouvez-vous affirmer que ceux qui avaient côtoyé Jésus n'étaient, eux, pas d'avis que la Loi avait pris fin avec la fin de la mission de Jésus, alors qu'on sait que le concile de Jérusalem de 49, auquel les fidèles disciples de Jésus avaient participé, avait pris comme décision de ne pas exiger des non-israélites qui se convertissaient au message de Jésus la circoncision et les observances de la loi mosaïque ?
La réponse est qu'il y a deux possibilités quant à ce concile...
Soit il prit effectivement comme décision de "dispenser" de l'observance de la loi mosaïque des disciples du message de Jésus ; cependant, il s'agissait seulement des disciples non israélites. La réflexion des Apôtres et de ceux qui s'étaient joints à eux les avait menés à considérer que les règles de la loi mosaïque s'adressaient à ceux qui étaient israélites (fils d'Israël), mais non pas à ceux qui, issus d'autres peuples, se convertissaient : à ces derniers il n'était donc pas nécessaire de demander de respecter la Loi mais seulement de croire en l'unicité de Dieu et de croire que Jésus était le messie.
Soit le concile n'entendit pas exactement "dispenser" les disciples de Jésus – ni les israélites ni les non israélites – des prescriptions de la loi mosaïque ; la décision que ce concile prit fut de ne pas leur présenter la pratique de ces prescriptions comme une condition absolue pour leur salut absolu. Un savant musulman, Taqî Uthmânî, donne son point de vue sur le sujet : "Notre avis est que lorsqu'à Jérusalem les apôtres firent une exception pour les chrétiens non israélites par rapport à l'observance des règles mosaïques, ils ne voulurent pas dire qu'il y aurait en leur faveur une exception définitive quant à l'observance de ces règles et que celles-ci ne seraient absolument pas obligatoires sur eux. (…) Certaines personnes dotées de peu de connaissances s'étaient mises à dire que de la même façon qu'il faut, pour connaître le bonheur dans l'au-delà, avoir apporté foi en le fait que Dieu est unique et que Jésus est Son messager, il est également nécessaire de se faire circoncire et d'observer les règles mosaïques, au point où celui qui néglige celles-ci ne sera jamais sauvé du feu dans l'au-delà. Luc relate que ces personnes disaient : "Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés" (Actes 15/1). Il est évident que cette affirmation est fausse. La pratique de la circoncision et d'autres règles était certes nécessaire dans la loi mosaïque et pour les chrétiens, mais n'était pas la ligne de démarcation entre la foi et l'incroyance, et n'était donc pas la condition sine qua non pour être un jour sauvé de la géhenne dans l'au-delà. Imaginez que quelqu'un affirme vouloir se convertir à l'islam mais dise ne pas pouvoir s'y résoudre parce qu'il devrait alors se faire circoncire. Est-ce que les ulémas, simplement parce qu'il ne veut pas se faire circoncire, opteront pour le fait que cet homme reste privé totalement de l'islam ? Evidemment non. Ils diront à cet homme : "Se faire circoncire est nécessaire [ou recommandé], mais n'est pas la condition du salut. Entre en islam, adopte les croyances voulues et pratique les autres actions nécessaires, nous ne mettons pas comme condition à ton entrée en islam que tu te fasses circoncire." Ceci ne veut pas dire que la règle de circoncision est définitivement abrogée pour tout converti, mais que l'on a cherché à préserver du kufr un homme disposé à le faire, en adoptant le principe du moindre de deux maux [ne pas accéder à la foi du tout, et accéder à la foi, même si celle-ci est quelque peu amoindrie par la non pratique d'un acte]. C'est exactement ce que les Apôtres ont fait" ('Issâ'iyyat kiâ hei, pp. 134-135). "A notre sens, il n'y eut aucune divergence parmi les Apôtres à propos du caractère obligatoire des règles mosaïques pour tous les chrétiens : tous savaient que ces règles sont en soi obligatoires pour tous ceux qui croient en Jésus comme étant le Messie. La discussion eut lieu par rapport au point suivant : l'expérience ayant montré que les non-israélites rechignent à s'appliquer ces règles, peut-on ou non se contenter de leur prêcher seulement les croyances ?" (Ibid. p. 136). "La question débattue au concile de Jérusalem n'était pas de savoir si les règles de la loi mosaïque s'adressaient aux chrétiens non-israélites, mais de savoir si les chrétiens israélites devaient prêcher ou non l'application de ces règles aux chrétiens non-israélites" (Ibid. p. 136). C'est bien ce que Pierre déclara à propos de la circoncision : répondant à l'avis de ceux qui disaient que ceux qui ne sont pas circoncis ne peuvent pas être sauvés, il dit : "Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu. Ecrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang" (Actes 15/19-20).
Ceci reste très différent de ce que Paul de Tarse affirmait : sa démarche à lui était complètement inverse, puisque lui prêchait clairement et ouvertement l'abandon des pratiques de la loi mosaïque. Il écrivit : "C'est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sus le joug de l'esclavage. Moi, Paul, je vous le dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien" (Galates 5/1-2).
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3) Dépérissement du judéo-christianisme, développement puis ramification du christianisme paulinien :
Nous avons vu plus haut, par le biais des écrits du cardinal Daniélou, que le "judéo-christianisme", la forme de christianisme que les Apôtres compagnons de Jésus suivaient, était concurrencée par le "christianisme paulinien", prôné par Paul de Tarse, et qui mettait essentiellement l'accent sur la fin de l'observance de la loi mosaïque par le sacrifice de Jésus sur la croix. La situation va bientôt évoluer...
Citant toujours Daniélou, Bucaille écrit : "Mais avec la guerre juive et la chute de Jérusalem, la situation va se renverser. Le cardinal Daniélou explique ainsi le déclin : "Les Juifs étant discrédités dans l'Empire, les chrétiens tendent à se désolidariser d'eux. Les chrétientés hellénistiques prendront alors le dessus : Paul remportera une victoire posthume ; le christianisme se dégagera sociologiquement et politiquement du judaïsme ; il deviendra le troisième peuple. Toutefois, jusqu'à la dernière révolte juive, en 140, le judéo-christianisme restera dominant culturellement"" (op. cit. p. 63).
C'est ensuite, au fil des siècles, que, sur le tronc initial de ce christianisme paulinien sorti gagnant de la concurrence, viendront se greffer les résolutions de différents conciles et les apports de Augustin d'Hippone, amenant les croyances que l'on sait à propos de la nature de Jésus. Paul de Tarse écrivait qu'en le Christ "habite toute la plénitude de la divinité, corporellement" – Colossiens 2/9 –, mais ce furent les conciles des IVè et Vè siècles qui engendrèrent véritablement la croyance en la divinité de Jésus. Car au sein même du christianisme paulinien étaient apparues des controverses à propos de la question centrale de ce qu'était véritablement Jésus : était-il humain ou bien divin ? était-il deux personnes ou une seule, avec une ou bien deux natures ? Des conciles furent donc organisés pour résoudre ces questions.
Quatre conciles particulièrement importants à cet égard furent celui de Nicée (325), celui de Constantinople (381), celui d'Ephèse (431) et celui de Chalcédoine (451) : les deux premiers décrétèrent l'arianisme hérétique car ne reconnaissant pas la divinité du Christ ; le troisième qualifia d'hérétique le nestorianisme parce que croyant qu'en le Christ coexistaient deux personnes, l'humaine et la divine ; et le quatrième condamna le monophysisme parce que ne croyant en l'existence que d'une nature, divine, en Jésus. Les Eglises romaine et orthodoxe souscrivirent aux résolutions de ces quatre conciles. Cependant, d'autres Eglises s'y refusèrent ; on les nomma "Eglises pré-chalcédoniennes" parce qu'on considéra qu'elles étaient restées attachées à une doctrine antérieure à celle professée au concile de Chalcédoine : c'est le cas des Eglises monophysites – arménienne, copte, jacobite et d'Ethiopie – et des Eglises nestoriennes – syrienne orientale, syro-orthodoxe de l'Inde.
On voit que du tronc initial du christianisme paulinien se ramifièrent les Eglises romaine (catholique et protestantes), orthodoxes et pré-chalcédoniennes, et même des croyances "pré-nicéennes" comme l'arianisme. On remarque qu'il est donc possible qu'à l'intérieur du tronc paulinien initial, des communautés aient continué d'exister qui croyaient certes en la fin de la Loi selon l'enseignement de Paul mais qui ne croyaient pas en la divinité de Jésus.
Quant au judéo-christianisme, que devient-il après avoir été dominé par le christianisme paulinien ? S'il n'a pas complètement disparu, il n'en subsiste que des traces. Bucaille écrit, avant de citer de nouveau Daniélou et ses recherches : "Les judéo-chrétiens disparus en tant que communauté influente, on entend encore parler d'eux sous le vocable général de "judaïsants". Le cardinal Daniélou explique ainsi leur fin : "Coupés de la Grande Eglise qui se libère progressivement de ses attaches juives, ils dépériront très vite en Occident. Mais on suit leurs traces du IIIè au IVè siècles en Orient, en particulier en Palestine, en Arabie, en Transjordanie, en Syrie, en Mésopotamie. Certains seront absorbés par l'Islam, qui en est pour une part l'héritier ; d'autres se rallieront à l'orthodoxie de la Grande Eglise tout en conservant un fond de culture sémitique et quelque chose en persiste dans les Eglises d'Ethiopie et de Chaldée"" (op. cit. p. 64).
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4) Le poisson et la croix comme signes :
Les hommes ont toujours voulu exprimer leurs croyances, leur appartenance, leur identité... Les premiers chrétiens adoptèrent le poisson comme signe de leur adhésion à l'enseignement de Jésus le Messie (en grec le "Christ") : les premières lettres de la formule grecque "Iesous Christos Theou Hyious Soter" donnaient "Ichthys", mot qui, en grec, signifie "poisson". Il s'agissait d'un simple signe et non d'un objet de vénération ou de culte ; cela est comparable au fait que, depuis les Turcs, de nombreux pays musulmans ont adopté le croissant lunaire comme signe de leur état de musulman, alors que cela ne semble avoir aucun fondement de la part du Prophète, de ses Compagnons ou de leurs élèves.
Serait-il possible que les premiers chrétiens qui adoptèrent la croix comme un de leurs signes ne le firent eux aussi que dans la même proportion que pour le poisson (un simple signe et non un objet de vénération), et ce dans la mesure où ils croyaient que Jésus avait été crucifié ; et que ce ne fut que plus tard que d'autres chrétiens, ayant adopté la croyance en la divinité de Jésus, se mirent à faire de la croix non seulement le symbole officiel du christianisme mais aussi un objet de vénération, voire d'adoration ?
On relate que ce fut en 349 que la croix devint symbole du christianisme ; certes, mais si cette année là elle en devint le symbole officiel, cela n'implique pas qu'auparavant aucun chrétien ne l'ait jamais adoptée comme un signe d'appartenance ou de ralliement. On remarque que cette date appartient à la période qui suit le concile de Nicée, celui-là même qui a condamné l'arianisme, qui refusait d'élever Jésus à un rang égal à celui de Dieu... Dieu sait mieux...
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5) Conclusion :
Il y eut donc, au sein de la chrétienté, c'est-à-dire au sein de la communauté de ceux qui suivaient les enseignements de Jésus en tant que Christ (Messie) annoncé, d'une part le "judéo-christianisme" et d'autre part le "christianisme paulinien". Le "judéo-christianisme" était ce que les compagnons de Jésus vivaient. Le "christianisme paulinien", lui, eut comme particularité la croyance que le sacrifice de Jésus sur la croix a entraîné la fin de la Loi. Alors qu'au début c'est le premier courant qui était dominant, le rapport s'inversa totalement à partir de la moitié du second siècle chrétien.
Au fil du temps il ne subsista plus du "judéo-christianisme" que quelques petits groupes isolés. Plus tard certains devaient se convertir à l'islam, d'autres se rallier au christianisme paulinien. Pendant ce temps ce dernier se développait au point de désormais constituer le courant majoritaire de la chrétienté : au tronc initial (et déjà différent du message de Jésus et de ses compagnons) laissé par Paul, des croyances furent rajoutées et / ou développées, et différentes branches apparurent selon qu'elles y adhérèrent ou non. Au sein de tout ce qui se ramifia du tronc paulinien, certaines branches demeurèrent qui, à l'instar de l'arianisme, croyaient en la fin de la Loi par le sacrifice sur la croix mais non en la divinité de Jésus.
Au VIIè siècle, le Coran fut révélé qui vint dire ce qu'il dit au sujet de Jésus. Quand il se démarqua de ce que ces conciles avaient décidé au sujet de Jésus, il ne fit que dire la même chose que ce que le cardinal Daniélou a appelé "le judéo-christianisme", donc ce que Jésus et ses compagnons enseignaient. Il n'y a donc aucune déviance, malgré tout ce qu'a pu croire et affirmer Jean Damascène. Par rapport au message originel de Jésus, ce fut, tout au contraire, les apports de Paul qui constituèrent une déviance, sur laquelle furent rajoutées par la suite d'autres déviances, que les uns adoptèrent, les autres non.
Source : http://www.maison-islam.com/articles/?p=421
Savez-vous que Jean Damascène, qui a vécu aux VIIè et VIIIè siècles de l'ère chrétienne, soit au moment qui a suivi l'apparition de l'islam, a qualifié ce dernier d'hérésie chrétienne ? Personnellement je le crois sans peine, car j'ai pu constater que votre prophète a, comme Arius, Nestorius et tant d'autres personnages avant lui, émis à propos de Jésus-Christ des avis déviants par rapport ce qui est établi chez les chrétiens. De plus il a enseigné une Loi religieuse [avec interdits alimentaires, etc.] alors que notre Seigneur est mort sur la croix pour la fin de la Loi.
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Réponse :
Notre croyance à nous musulmans est différente de ce que vous écrivez là. Muhammad ne s'est jamais présenté comme le seul messager de Dieu mais comme le dernier d'entre eux, ayant été précédé notamment par Noé, Abraham, Moïse et Jésus (sur eux tous la paix). Muhammad a bien été envoyé par le même Dieu qui a envoyé Jésus, sa mission à lui étant de délivrer un message recentrant la tradition, et ce par la présentation d'un retour aux sources des enseignements abrahamiques, marié à une universalisation de ceux-ci. C'est pourquoi on y trouve des éléments communs avec le christianisme, et aussi des éléments différents de ce que les conciles chrétiens ont adopté.
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1) "Judéo-christianisme" et "christianisme paulinien" :
Il faut souligner que même si les Apôtres qui vécurent aux côtés de Jésus pensaient, pour l'avoir entendu dire, que Jésus avait été crucifié, ils n'élaborèrent aucune croyance particulière à partir de cette crucifixion qu'ils croyaient s'être produite : eux n'ont jamais pensé qu'il s'agissait d'un sacrifice de Jésus voulu par Dieu pour mettre fin à la Loi, comme l'affirma Paul de Tarse (Romains 7/1-6, Galates 3/13, 5/1-4), ou pour servir d'expiation au péché originel, permettant ainsi la Rédemption de l'humanité par rapport au péché originel. Paul de Tarse parla de la faute de Adam qui entraîna que "la multitude fut rendue pécheresse" – Romains 5/19 –, tandis que Augustin d'Hippone développa plus tard le concept du sacrifice de Jésus pour la rédemption du péché originel ; il s'appuya pour cela sur des propos équivoques présents dans les Evangiles – comme Matthieu 1/21, 20/28, 26/28, Marc 10/45 –, alors que ceux-ci indiquent seulement que Jésus est messager de Dieu et que c'est en suivant ses enseignements que les gens auxquels son message s'adresse seront sauvés.
Au contraire, les Apôtres qui furent les compagnons de Jésus continuaient, après son départ, à se conformer à la loi mosaïque (même s'ils ont pu croire que Jésus était mort sur la croix), mais tout en y ajoutant la croyance que Jésus était un Messager de Dieu et le Messie annoncé, et tout en observant les réformes qu'il avait apportées dans l'observance de la loi. Et vous citez Jean Damascène, mais nous citons pour notre part un… cardinal : Daniélou.
Maurice Bucaille écrit : "Entre le moment où Jésus quitta cette terre et jusqu'à la moitié du IIè siècle, soit pendant plus d'un siècle, on assista à une lutte entre deux tendances, entre ce que l'on peut appeler le christianisme paulinien et le judéo-christianisme ; ce n'est que très progressivement que le premier supplanta le second et que le paulinisme triompha du judéo-christianisme. Un grand nombre de travaux remontant aux toutes dernières décennies, fondées sur des découvertes de notre temps, ont permis d'aboutir à ces notions modernes auxquelles est attaché le nom du cardinal Daniélou. L'article qu'il fit paraître en décembre 1967 dans la revue Etudes : "Une vision nouvelle des origines chrétiennes, le judéo-christianisme", reprenant des travaux antérieurs, en retrace l'histoire (…). On trouvera ci-dessous un condensé des points essentiels de son article avec d'amples citations" (La Bible, le Coran et la science, Seghers, 1976, pp. 61-62).
Ce qui ressort de l'étude du cardinal Daniélou est qu'après Jésus, le groupe composé des Apôtres et de leurs disciples immédiats reste fidèle aux observances de la loi mosaïque, auxquels ils rajoutent la croyance que le Messie est venu en la personne de Jésus et qu'il a apporté des modifications mineures – rajouts ou retranchements – dans cette loi. Bucaille poursuit : "Toutefois, lorsque se joint à eux (…) des convertis venus du paganisme, on leur propose, si l'on peut dire, un régime spécial : le concile de Jérusalem de 49 les dispense de la circoncision et des observances juives (…). A propos de [ces] païens venus au christianisme, Paul et les judéo-chrétiens se heurtent (incident d'Antioche de l'an 49). "Pour Paul, la circoncision, le sabbat, le culte du temple étaient désormais périmés, même pour les juifs. Le christianisme devait se libérer de son appartenance politico-religieuse au judaïsme pour s'ouvrir aux Gentils." Pour les judéo-chrétiens restant de "loyaux israélites", Paul est un traître : des documents judéo-chrétiens le qualifient d'"ennemi", l'accusent de "duplicité tactique", mais "le judéo-christianisme représente, jusqu'en 70, la majorité de l'Eglise" et "Paul reste un isolé". Le chef de la communauté est alors Jacques, parent de Jésus. (…) "Jacques peut être considéré comme la colonne du judéo-christianisme, qui reste délibérément engagé dans le judaïsme en face du christianisme paulinien". La famille de Jésus tient une grande place dans cette église judéo-chrétienne. "Le successeur de Jacques sera Siméon, fils de Cléopas, cousin du Seigneur." Le cardinal Daniélou cite ici les écrits judéo-chrétiens traduisant les vues sur Jésus de cette communauté formée initialement autour des apôtres : l'Evangile des Hébreux (relevant d'une communauté judéo-chrétienne d'Egypte), les Hypotyposes de Clément, les Reconnaissances clémentines, la seconde Apocalypse de Jacques, l'Evangile de Thomas. "C'est à ces judéo-chrétiens qu'il faut sans doute rattacher les plus antiques monuments de la littérature chrétienne", dont le cardinal Daniélou fait une mention détaillée. "Ce n'est pas seulement à Jérusalem et en Palestine que le judéo-christianisme est dominant durant le premier siècle de l'Eglise. Partout, la mission judéo-chrétienne paraît s'être développée antérieurement à la mission paulinienne. C'est bien ce qui explique les épîtres de Paul fassent sans cesse allusion à un conflit." Ce sont les mêmes adversaires qu'il rencontrera partout, en Galatie, à Corinthe, à Colosses, à Rome, à Antioche" (Ibid. pp. 62-63).
De notre point de vue musulman, ce que le cardinal Daniélou a nommé "le judéo-christianisme" correspond à l'enseignement originel de Jésus.
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2) Une objection et sa réponse :
Quelqu'un pourrait dire : Comment pouvez-vous affirmer que ceux qui avaient côtoyé Jésus n'étaient, eux, pas d'avis que la Loi avait pris fin avec la fin de la mission de Jésus, alors qu'on sait que le concile de Jérusalem de 49, auquel les fidèles disciples de Jésus avaient participé, avait pris comme décision de ne pas exiger des non-israélites qui se convertissaient au message de Jésus la circoncision et les observances de la loi mosaïque ?
La réponse est qu'il y a deux possibilités quant à ce concile...
Soit il prit effectivement comme décision de "dispenser" de l'observance de la loi mosaïque des disciples du message de Jésus ; cependant, il s'agissait seulement des disciples non israélites. La réflexion des Apôtres et de ceux qui s'étaient joints à eux les avait menés à considérer que les règles de la loi mosaïque s'adressaient à ceux qui étaient israélites (fils d'Israël), mais non pas à ceux qui, issus d'autres peuples, se convertissaient : à ces derniers il n'était donc pas nécessaire de demander de respecter la Loi mais seulement de croire en l'unicité de Dieu et de croire que Jésus était le messie.
Soit le concile n'entendit pas exactement "dispenser" les disciples de Jésus – ni les israélites ni les non israélites – des prescriptions de la loi mosaïque ; la décision que ce concile prit fut de ne pas leur présenter la pratique de ces prescriptions comme une condition absolue pour leur salut absolu. Un savant musulman, Taqî Uthmânî, donne son point de vue sur le sujet : "Notre avis est que lorsqu'à Jérusalem les apôtres firent une exception pour les chrétiens non israélites par rapport à l'observance des règles mosaïques, ils ne voulurent pas dire qu'il y aurait en leur faveur une exception définitive quant à l'observance de ces règles et que celles-ci ne seraient absolument pas obligatoires sur eux. (…) Certaines personnes dotées de peu de connaissances s'étaient mises à dire que de la même façon qu'il faut, pour connaître le bonheur dans l'au-delà, avoir apporté foi en le fait que Dieu est unique et que Jésus est Son messager, il est également nécessaire de se faire circoncire et d'observer les règles mosaïques, au point où celui qui néglige celles-ci ne sera jamais sauvé du feu dans l'au-delà. Luc relate que ces personnes disaient : "Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés" (Actes 15/1). Il est évident que cette affirmation est fausse. La pratique de la circoncision et d'autres règles était certes nécessaire dans la loi mosaïque et pour les chrétiens, mais n'était pas la ligne de démarcation entre la foi et l'incroyance, et n'était donc pas la condition sine qua non pour être un jour sauvé de la géhenne dans l'au-delà. Imaginez que quelqu'un affirme vouloir se convertir à l'islam mais dise ne pas pouvoir s'y résoudre parce qu'il devrait alors se faire circoncire. Est-ce que les ulémas, simplement parce qu'il ne veut pas se faire circoncire, opteront pour le fait que cet homme reste privé totalement de l'islam ? Evidemment non. Ils diront à cet homme : "Se faire circoncire est nécessaire [ou recommandé], mais n'est pas la condition du salut. Entre en islam, adopte les croyances voulues et pratique les autres actions nécessaires, nous ne mettons pas comme condition à ton entrée en islam que tu te fasses circoncire." Ceci ne veut pas dire que la règle de circoncision est définitivement abrogée pour tout converti, mais que l'on a cherché à préserver du kufr un homme disposé à le faire, en adoptant le principe du moindre de deux maux [ne pas accéder à la foi du tout, et accéder à la foi, même si celle-ci est quelque peu amoindrie par la non pratique d'un acte]. C'est exactement ce que les Apôtres ont fait" ('Issâ'iyyat kiâ hei, pp. 134-135). "A notre sens, il n'y eut aucune divergence parmi les Apôtres à propos du caractère obligatoire des règles mosaïques pour tous les chrétiens : tous savaient que ces règles sont en soi obligatoires pour tous ceux qui croient en Jésus comme étant le Messie. La discussion eut lieu par rapport au point suivant : l'expérience ayant montré que les non-israélites rechignent à s'appliquer ces règles, peut-on ou non se contenter de leur prêcher seulement les croyances ?" (Ibid. p. 136). "La question débattue au concile de Jérusalem n'était pas de savoir si les règles de la loi mosaïque s'adressaient aux chrétiens non-israélites, mais de savoir si les chrétiens israélites devaient prêcher ou non l'application de ces règles aux chrétiens non-israélites" (Ibid. p. 136). C'est bien ce que Pierre déclara à propos de la circoncision : répondant à l'avis de ceux qui disaient que ceux qui ne sont pas circoncis ne peuvent pas être sauvés, il dit : "Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu. Ecrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang" (Actes 15/19-20).
Ceci reste très différent de ce que Paul de Tarse affirmait : sa démarche à lui était complètement inverse, puisque lui prêchait clairement et ouvertement l'abandon des pratiques de la loi mosaïque. Il écrivit : "C'est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sus le joug de l'esclavage. Moi, Paul, je vous le dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien" (Galates 5/1-2).
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3) Dépérissement du judéo-christianisme, développement puis ramification du christianisme paulinien :
Nous avons vu plus haut, par le biais des écrits du cardinal Daniélou, que le "judéo-christianisme", la forme de christianisme que les Apôtres compagnons de Jésus suivaient, était concurrencée par le "christianisme paulinien", prôné par Paul de Tarse, et qui mettait essentiellement l'accent sur la fin de l'observance de la loi mosaïque par le sacrifice de Jésus sur la croix. La situation va bientôt évoluer...
Citant toujours Daniélou, Bucaille écrit : "Mais avec la guerre juive et la chute de Jérusalem, la situation va se renverser. Le cardinal Daniélou explique ainsi le déclin : "Les Juifs étant discrédités dans l'Empire, les chrétiens tendent à se désolidariser d'eux. Les chrétientés hellénistiques prendront alors le dessus : Paul remportera une victoire posthume ; le christianisme se dégagera sociologiquement et politiquement du judaïsme ; il deviendra le troisième peuple. Toutefois, jusqu'à la dernière révolte juive, en 140, le judéo-christianisme restera dominant culturellement"" (op. cit. p. 63).
C'est ensuite, au fil des siècles, que, sur le tronc initial de ce christianisme paulinien sorti gagnant de la concurrence, viendront se greffer les résolutions de différents conciles et les apports de Augustin d'Hippone, amenant les croyances que l'on sait à propos de la nature de Jésus. Paul de Tarse écrivait qu'en le Christ "habite toute la plénitude de la divinité, corporellement" – Colossiens 2/9 –, mais ce furent les conciles des IVè et Vè siècles qui engendrèrent véritablement la croyance en la divinité de Jésus. Car au sein même du christianisme paulinien étaient apparues des controverses à propos de la question centrale de ce qu'était véritablement Jésus : était-il humain ou bien divin ? était-il deux personnes ou une seule, avec une ou bien deux natures ? Des conciles furent donc organisés pour résoudre ces questions.
Quatre conciles particulièrement importants à cet égard furent celui de Nicée (325), celui de Constantinople (381), celui d'Ephèse (431) et celui de Chalcédoine (451) : les deux premiers décrétèrent l'arianisme hérétique car ne reconnaissant pas la divinité du Christ ; le troisième qualifia d'hérétique le nestorianisme parce que croyant qu'en le Christ coexistaient deux personnes, l'humaine et la divine ; et le quatrième condamna le monophysisme parce que ne croyant en l'existence que d'une nature, divine, en Jésus. Les Eglises romaine et orthodoxe souscrivirent aux résolutions de ces quatre conciles. Cependant, d'autres Eglises s'y refusèrent ; on les nomma "Eglises pré-chalcédoniennes" parce qu'on considéra qu'elles étaient restées attachées à une doctrine antérieure à celle professée au concile de Chalcédoine : c'est le cas des Eglises monophysites – arménienne, copte, jacobite et d'Ethiopie – et des Eglises nestoriennes – syrienne orientale, syro-orthodoxe de l'Inde.
On voit que du tronc initial du christianisme paulinien se ramifièrent les Eglises romaine (catholique et protestantes), orthodoxes et pré-chalcédoniennes, et même des croyances "pré-nicéennes" comme l'arianisme. On remarque qu'il est donc possible qu'à l'intérieur du tronc paulinien initial, des communautés aient continué d'exister qui croyaient certes en la fin de la Loi selon l'enseignement de Paul mais qui ne croyaient pas en la divinité de Jésus.
Quant au judéo-christianisme, que devient-il après avoir été dominé par le christianisme paulinien ? S'il n'a pas complètement disparu, il n'en subsiste que des traces. Bucaille écrit, avant de citer de nouveau Daniélou et ses recherches : "Les judéo-chrétiens disparus en tant que communauté influente, on entend encore parler d'eux sous le vocable général de "judaïsants". Le cardinal Daniélou explique ainsi leur fin : "Coupés de la Grande Eglise qui se libère progressivement de ses attaches juives, ils dépériront très vite en Occident. Mais on suit leurs traces du IIIè au IVè siècles en Orient, en particulier en Palestine, en Arabie, en Transjordanie, en Syrie, en Mésopotamie. Certains seront absorbés par l'Islam, qui en est pour une part l'héritier ; d'autres se rallieront à l'orthodoxie de la Grande Eglise tout en conservant un fond de culture sémitique et quelque chose en persiste dans les Eglises d'Ethiopie et de Chaldée"" (op. cit. p. 64).
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4) Le poisson et la croix comme signes :
Les hommes ont toujours voulu exprimer leurs croyances, leur appartenance, leur identité... Les premiers chrétiens adoptèrent le poisson comme signe de leur adhésion à l'enseignement de Jésus le Messie (en grec le "Christ") : les premières lettres de la formule grecque "Iesous Christos Theou Hyious Soter" donnaient "Ichthys", mot qui, en grec, signifie "poisson". Il s'agissait d'un simple signe et non d'un objet de vénération ou de culte ; cela est comparable au fait que, depuis les Turcs, de nombreux pays musulmans ont adopté le croissant lunaire comme signe de leur état de musulman, alors que cela ne semble avoir aucun fondement de la part du Prophète, de ses Compagnons ou de leurs élèves.
Serait-il possible que les premiers chrétiens qui adoptèrent la croix comme un de leurs signes ne le firent eux aussi que dans la même proportion que pour le poisson (un simple signe et non un objet de vénération), et ce dans la mesure où ils croyaient que Jésus avait été crucifié ; et que ce ne fut que plus tard que d'autres chrétiens, ayant adopté la croyance en la divinité de Jésus, se mirent à faire de la croix non seulement le symbole officiel du christianisme mais aussi un objet de vénération, voire d'adoration ?
On relate que ce fut en 349 que la croix devint symbole du christianisme ; certes, mais si cette année là elle en devint le symbole officiel, cela n'implique pas qu'auparavant aucun chrétien ne l'ait jamais adoptée comme un signe d'appartenance ou de ralliement. On remarque que cette date appartient à la période qui suit le concile de Nicée, celui-là même qui a condamné l'arianisme, qui refusait d'élever Jésus à un rang égal à celui de Dieu... Dieu sait mieux...
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5) Conclusion :
Il y eut donc, au sein de la chrétienté, c'est-à-dire au sein de la communauté de ceux qui suivaient les enseignements de Jésus en tant que Christ (Messie) annoncé, d'une part le "judéo-christianisme" et d'autre part le "christianisme paulinien". Le "judéo-christianisme" était ce que les compagnons de Jésus vivaient. Le "christianisme paulinien", lui, eut comme particularité la croyance que le sacrifice de Jésus sur la croix a entraîné la fin de la Loi. Alors qu'au début c'est le premier courant qui était dominant, le rapport s'inversa totalement à partir de la moitié du second siècle chrétien.
Au fil du temps il ne subsista plus du "judéo-christianisme" que quelques petits groupes isolés. Plus tard certains devaient se convertir à l'islam, d'autres se rallier au christianisme paulinien. Pendant ce temps ce dernier se développait au point de désormais constituer le courant majoritaire de la chrétienté : au tronc initial (et déjà différent du message de Jésus et de ses compagnons) laissé par Paul, des croyances furent rajoutées et / ou développées, et différentes branches apparurent selon qu'elles y adhérèrent ou non. Au sein de tout ce qui se ramifia du tronc paulinien, certaines branches demeurèrent qui, à l'instar de l'arianisme, croyaient en la fin de la Loi par le sacrifice sur la croix mais non en la divinité de Jésus.
Au VIIè siècle, le Coran fut révélé qui vint dire ce qu'il dit au sujet de Jésus. Quand il se démarqua de ce que ces conciles avaient décidé au sujet de Jésus, il ne fit que dire la même chose que ce que le cardinal Daniélou a appelé "le judéo-christianisme", donc ce que Jésus et ses compagnons enseignaient. Il n'y a donc aucune déviance, malgré tout ce qu'a pu croire et affirmer Jean Damascène. Par rapport au message originel de Jésus, ce fut, tout au contraire, les apports de Paul qui constituèrent une déviance, sur laquelle furent rajoutées par la suite d'autres déviances, que les uns adoptèrent, les autres non.
Source : http://www.maison-islam.com/articles/?p=421