Jésus avait-il une femme ? Cette question est de nouveau soulevée après une étude publiée le 10 avril dernier dans la Harvard Theological Review. L’objet : un papyrus découvert en 2012 où figurent 33 mots en langue copte. Parmi eux, l’expression « ma femme » qui aurait été prononcée par Jésus. À l’époque, de nombreux spécialistes ont mis en doute l’authenticité du document. Mais l’étude menée par le Pr Karen King assure que ce papyrus date bien des chrétiens anciens. Cela relance-t-il le débat sur le mariage de Jésus ? Jean-Daniel Dubois, directeur d’études sur les textes gnostiques et la religion manichéenne à l’École pratique de hautes études préfère se montrer prudent.
En 2012, à l’occasion de la découverte du fragment, vous étiez présent à Rome au colloque consacré aux études coptes. Vous étiez alors dubitatif sur l’authenticité de ce papyrus. Qu’en pensez-vous après les dernières analyses ?
J’ai toujours des doutes. Quand on regarde l’écriture et la façon de faire les lettres, cela semble être le travail de scribes incompétents. Cependant, les analyses au carbone 14 effectuées par Karen King affirment que l’encre et le papyrus sont anciens. Ils dateraient du VIIIe siècle. Ce qui devrait exclure toute possibilité de contrefaçon récente. Mais je ne suis pas encore convaincu de la formulation en copte. Cela ressemble énormément à l’Évangile selon saint Thomas, mais une phrase m’interroge : « Elle m’a donné la vie. » En copte, elle ne contient pas le « n » qu’on place devant un complément d’objet direct suivant un verbe.
Mais le Pr King rappelle qu’il n’y a pas forcément besoin de ce « n ». Elle a raison. D’autres textes des IIIe et IVe siècles sont écrits de la même façon.
Le plus curieux, c’est que l’essentiel de ce papier peut se retrouver dans l’Evangile, hormis l’expression « ma femme ». Même s’il s’agit d’un document ancien, les fourberies sont souvent faites sur des matériaux anciens.
La question est la suivante : à quoi sert une telle série de phrases attribuées à Jésus disant « ma femme » ? Depuis la publication du document en 2012, le monde occidental se pose la question de savoir si Jésus était marié. Une question alimentée par tous les débats qui ont suivi la publication du best-seller Da Vinci Code. Mais Karen King est claire : ce fragment ne donne aucune information sur le Jésus historique. Au mieux, il s’agit d’un texte antique de chrétiens discutant sur le statut des femmes autour de Jésus et de leur place en tant que disciples. Le débat semble se demander si des femmes mariées peuvent devenir disciples de Jésus.
Qu’est-ce que ce document apporterait de nouveau au VIIIe siècle ?
Je n'en ai aucune idée pour l'instant. Une possibilité est que nous sommes aux premiers siècles de l'islam. Les prophètes de l'islam étant mariés, on peut imaginer que Jésus, considéré lui aussi comme l’un des prophètes, était marié. C’est vraisemblable.
Mais je ne sais pas si ce fragment peut retranscrire des dialogues entre Jésus et ses disciples, comme le laisse entendre Karen King. Je trouve très problématique qu’elle pense que ce texte puisse venir d’un texte plus large dont on n’a aucune trace. Appeler ce petit fragment « un évangile », c’est pour moi d’une naïveté extraordinaire. D’autant plus en évoquant un « évangile de la femme de Jésus ». Karen King a suggéré ce titre pour donner un coup de pub à ce fragment.
Autre point qui me paraît suspect : comme par hasard, Karen King est spécialiste des femmes autour de Jésus dans l'Antiquité. Le contenu de ce fragment correspond trop bien à sa spécialité.
Comment aborder cet apocryphe ?
Comme tout apocryphe, il faut le voir dans une perspective historique. Le situer dans le temps, par rapport à langue, en le comparant à des textes parallèles. En l’occurrence, il y a d’autres textes en grec, en latin et en copte. Cela, Karen King l’a bien fait.
Il faut ensuite situer le texte par rapport à un milieu producteur. Bâtir des hypothèses pour savoir dans quels milieux du christianisme ancien on peut trouver ce genre de choses. Le Pr King mentionne des évangiles apocryphes autour de ce texte. Cependant, elle ne laisse pas entendre que ce fragment est emprunt à d'autres évangiles. Elle pense même que sa relation avec l’Évangile de Thomas est tout à fait accidentelle.
Sur cet aspect, je ne suis pas aussi affirmatif. La relation avec l’Évangile de Thomas est un point problématique de ce fragment. L’Évangile de saint Thomas a circulé dans le nord de la Syrie, en Palestine, en Égypte et dans l'ensemble du bassin méditerranéen. Mais le milieu producteur de Thomas est un milieu d'ascètes : ce sont des gens avec une vie individuelle de spiritualité. Je ne sais pas si ce fragment pourrait venir du même milieu.
King renvoie également à l'Évangile selon Philippe. Celui-ci évoque le salut et le baptême comme étant quelque chose qui aboutit à une union, comme un mariage spirituel entre la partie humaine et son partenaire idéal céleste. Cela n’a rien à voir avec une cérémonie rituelle comme un mariage, même si certains l'ont dit. Ce sont des spéculations de modernes, loin des préoccupations rituelles de l'Antiquité.
Malgré ce qui vient d'être publié dans le périodique d'Harvard, le doute subsiste sur l’authenticité du texte. Il faut que d’autres recherches soient faites dans les mois qui viennent. On risque d’en entendre parler bientôt.
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