Le pape François boute les mafias hors de l'Église
Posté : 23 juin14, 20:24
Le pape François boute les mafias hors de l'Église
Le Point.fr - Publié le 24/06/2014 à 08:07
Après des années d'ambiguïté, voire de complicité entre les prélats et les tueurs, le pape François a enfin excommunié les mafieux.
En déclarant dimanche à Sibari : "Les mafieux ne sont pas en communion avec Dieu, ils sont excommuniés", le pape François a prononcé l'anathème tant attendu. Mieux vaut tard que jamais. Le mot mafia n'est en effet apparu dans un discours officiel de l'Église, dans un document de la conférence épiscopale italienne, qu'en 1982 ! Les évêques condamnaient alors du bout des lèvres l'assassinat du préfet Carlo Alberto Della Chiesa.
Certes, en 1993 à Agrigente, Jean-Paul II exhorte les mafieux à s'agenouiller "car le jugement de Dieu arrivera". Paroles fortes prononcées avec courroux qui ne laissent pas les hommes d'honneur indifférents : deux mois plus tard, Cosa Nostra se venge en plaçant une bombe dans la basilique Saint-Jean, l'église de l'évêque de Rome dans la ville éternelle. En 2010, Benoît XVI affirme à son tour que la mafia "est incompatible avec l'Évangile." Mais l'excommunication prononcée dimanche par le pape François est l'anathème définitif que l'Italie attendait.
Les mafias sous la protection divine
"C'est un geste symbolique qui tranche le cordon ombilical entre mafia et christianisme", salue Roberto Saviano, l'auteur de Gomorrha, dans le quotidien La Repubblica. Car les hommes d'honneur ont de tout temps affiché leur spiritualité et placé les clans sous la protection divine. C'est sur une image de saint sur laquelle ils font couler une goutte de sang qu'ils jurent fidélité à la Camorra, la 'Ndrangheta ou Cosa Nostra. Les affiliés de la 'Ndrangheta appellent leur organisation "la Sainte" et l'ont placée sous la protection de l'archange Gabriel. Leurs chefs se réunissent tous les 2 septembre dans le sanctuaire marial de la madone dei Polsi, dans la vallée de l'Aspremonte. Et dans la dernière planque de Bernardo Provenzano, parrain des parrains de Cosa Nostra, les enquêteurs ont retrouvé des dizaines d'images pieuses et chacune de ses lettres commençait par une invocation à la "volonté de Dieu". Pietro Aglieri, boss du clan de Monreale, avait un autel chez lui. Michele Greco, patron de Cosa Nostra dans les années 1980, récitait chaque jour les sept offices de la liturgie des heures.
Une spiritualité perverse trop longtemps cautionnée par certains prêtres. Le père Agostino Coppola était affilié à Cosa Nostra et il a célébré de mariage de Toto Riina, déjà recherché par toutes les polices de la péninsule. Il gardait les rançons des enlèvements commis par Cosa Nostra dans sa sacristie. À Palerme, Don Giacinto avait un révolver sous la soutane. Il fut assassiné dans un règlement de comptes entre mafieux et de nombreux prêtres furent inculpés pour "concours externe" avec la mafia. Le Ior, la banque du Vatican, a blanchi l'argent de Cosa Nostra. Don Lodetti a réussi à obtenir de Benoît XVI une lettre de félicitations pour le mariage de Caterina Condello et Daniele Ionetti, les rejetons de deux des plus sanguinaires clans de 'Ndrangheta. Des prélats ont longtemps nié l'existence même de la mafia. "La mafia, qu'est-ce que c'est ? s'interrogeait l'archevêque de Palerme, Ernesto Ruffini. Une marque de fromage ou une invention des communistes ?"
Des complices et des martyrs
Une telle connivence s'explique par un facteur historique et des réalités locales. Historiquement, la mafia est née comme service d'ordre des latifundistes siciliens et elle a toujours été ennemie de tout ce qui représentait la gauche. Certains prêtres ont vu dans la mafia un rempart contre le communisme. Localement, les liens familiaux et l'hégémonie économique, sociale et culturelle des clans ont conduit les curés de certains villages à confondre le goupillon avec la lupara, le fusil des mafieux.
Mais l'Église est une réalité complexe et elle compte aussi ses martyrs de l'anti-mafia. Une demi-douzaine de prêtres sont morts sous les balles des sicaires pour s'être opposés aux clans. L'un d'entre eux, le père Pino Puglisi, assassiné par Cosa Nostra en 1993, a été béatifié en 2013. Aujourd'hui, des hommes d'Église engagés contre la mafia vivent sous escorte 24 heures sur 24. Ils savent désormais que leur combat n'est pas vain. L'Église du pape François a choisi son camp.
Le Point.fr - Publié le 24/06/2014 à 08:07
Après des années d'ambiguïté, voire de complicité entre les prélats et les tueurs, le pape François a enfin excommunié les mafieux.
En déclarant dimanche à Sibari : "Les mafieux ne sont pas en communion avec Dieu, ils sont excommuniés", le pape François a prononcé l'anathème tant attendu. Mieux vaut tard que jamais. Le mot mafia n'est en effet apparu dans un discours officiel de l'Église, dans un document de la conférence épiscopale italienne, qu'en 1982 ! Les évêques condamnaient alors du bout des lèvres l'assassinat du préfet Carlo Alberto Della Chiesa.
Certes, en 1993 à Agrigente, Jean-Paul II exhorte les mafieux à s'agenouiller "car le jugement de Dieu arrivera". Paroles fortes prononcées avec courroux qui ne laissent pas les hommes d'honneur indifférents : deux mois plus tard, Cosa Nostra se venge en plaçant une bombe dans la basilique Saint-Jean, l'église de l'évêque de Rome dans la ville éternelle. En 2010, Benoît XVI affirme à son tour que la mafia "est incompatible avec l'Évangile." Mais l'excommunication prononcée dimanche par le pape François est l'anathème définitif que l'Italie attendait.
Les mafias sous la protection divine
"C'est un geste symbolique qui tranche le cordon ombilical entre mafia et christianisme", salue Roberto Saviano, l'auteur de Gomorrha, dans le quotidien La Repubblica. Car les hommes d'honneur ont de tout temps affiché leur spiritualité et placé les clans sous la protection divine. C'est sur une image de saint sur laquelle ils font couler une goutte de sang qu'ils jurent fidélité à la Camorra, la 'Ndrangheta ou Cosa Nostra. Les affiliés de la 'Ndrangheta appellent leur organisation "la Sainte" et l'ont placée sous la protection de l'archange Gabriel. Leurs chefs se réunissent tous les 2 septembre dans le sanctuaire marial de la madone dei Polsi, dans la vallée de l'Aspremonte. Et dans la dernière planque de Bernardo Provenzano, parrain des parrains de Cosa Nostra, les enquêteurs ont retrouvé des dizaines d'images pieuses et chacune de ses lettres commençait par une invocation à la "volonté de Dieu". Pietro Aglieri, boss du clan de Monreale, avait un autel chez lui. Michele Greco, patron de Cosa Nostra dans les années 1980, récitait chaque jour les sept offices de la liturgie des heures.
Une spiritualité perverse trop longtemps cautionnée par certains prêtres. Le père Agostino Coppola était affilié à Cosa Nostra et il a célébré de mariage de Toto Riina, déjà recherché par toutes les polices de la péninsule. Il gardait les rançons des enlèvements commis par Cosa Nostra dans sa sacristie. À Palerme, Don Giacinto avait un révolver sous la soutane. Il fut assassiné dans un règlement de comptes entre mafieux et de nombreux prêtres furent inculpés pour "concours externe" avec la mafia. Le Ior, la banque du Vatican, a blanchi l'argent de Cosa Nostra. Don Lodetti a réussi à obtenir de Benoît XVI une lettre de félicitations pour le mariage de Caterina Condello et Daniele Ionetti, les rejetons de deux des plus sanguinaires clans de 'Ndrangheta. Des prélats ont longtemps nié l'existence même de la mafia. "La mafia, qu'est-ce que c'est ? s'interrogeait l'archevêque de Palerme, Ernesto Ruffini. Une marque de fromage ou une invention des communistes ?"
Des complices et des martyrs
Une telle connivence s'explique par un facteur historique et des réalités locales. Historiquement, la mafia est née comme service d'ordre des latifundistes siciliens et elle a toujours été ennemie de tout ce qui représentait la gauche. Certains prêtres ont vu dans la mafia un rempart contre le communisme. Localement, les liens familiaux et l'hégémonie économique, sociale et culturelle des clans ont conduit les curés de certains villages à confondre le goupillon avec la lupara, le fusil des mafieux.
Mais l'Église est une réalité complexe et elle compte aussi ses martyrs de l'anti-mafia. Une demi-douzaine de prêtres sont morts sous les balles des sicaires pour s'être opposés aux clans. L'un d'entre eux, le père Pino Puglisi, assassiné par Cosa Nostra en 1993, a été béatifié en 2013. Aujourd'hui, des hommes d'Église engagés contre la mafia vivent sous escorte 24 heures sur 24. Ils savent désormais que leur combat n'est pas vain. L'Église du pape François a choisi son camp.