Big bang ,évolution:pourquoi l'église ne change pas?
Posté : 01 nov.14, 21:47
Big Bang, évolution : pourquoi l'Eglise ne change pas
PIERRE JOVANOVIC
CRÉÉ LE 30/10/2014 / MODIFIÉ LE 30/10/2014 À 18H58
© Heritage Images/Leemage / Unimedia/Sipa / Montage : La Vie © Heritage Images/Leemage / Unimedia/Sipa / Montage : La Vie
Certains médias n'en reviennent pas : le pape François affirme que le Big Bang et la théorie de l'évolution ne sont pas incompatibles avec la foi chrétienne. Une nouveauté, une révolution, entend-on ici et là... vraiment ?
Présidant, lundi 27 octobre, l’inauguration solennelle d’un buste de Benoît XVI, au siège de l’Académie pontificale des Sciences, François a déclaré : « Le Big Bang, que nous pensons être à l’origine du monde, n’annule pas l’intervention d’un créateur divin. L’évolution dans la nature n’est pas contradictoire avec la notion de création car l’évolution nécessite la création d’êtres qui évoluent. »
Emballement médiatique immédiat. Les titres d'articles ont rivalisé d'inspiration pour accentuer la force de la nouvelle. Pensez donc : le pape « croit » au Big Bang ! Problème : le Souverain pontife n'a rien annoncé de nouveau. « C'est le dernier exemple en date d'une presse qui ne comprend pas l'Eglise catholique », commente dans Time la journaliste Elizabeth Dias (en anglais), en ironisant sur l'information « Oh-mon-Dieu-le-pape-croit-à-l-évolution » (« OMG-Pope-Francis-Supports-Evolution ».
« Quiconque connaît un brin d'histoire catholique sait que ce positionnement n'a rien de neuf », poursuit Elizabeth Dias. En effet, François n'a fait que reprendre l'interprétation traditionnelle de l'Eglise catholique, qui admet de manière dépassionnée la théorie de l'évolution.
Quant à la vision d'un univers créé et en expansion, elle a même été imaginée en 1927 par l'Abbé Georges Lemaître, un prêtre catholique belge et astrophysicien.
> A lire aussi : L'abbé Lemaître, inventeur du big bang
Ami d'Albert Einstein, l'Abbé Lemaître a développé ses travaux à partir des découvertes de la relativité générale. Sa théorie fut cependant violemment attaquée par les astrophysiciens athées de l'époque : ces derniers imaginaient un univers incréé, « sans début ni fin », immuable, ce qui contestait toute intervention divine. Ils rejetèrent les travaux de l'Abbé Lemaître, qu'ils jugeaient trop proches de l'acte créateur biblique. Et c'est d'ailleurs au Britannique Fred Hoyle, athée militant, que l'on doit l'expression « Big Bang », imaginée pour se moquer de la théorie du prêtre belge.
Mais, dès 1929, la réalité de l'univers sans cesse en expansion fut démontrée par les travaux de Hubble. En 1951, Pie XII apporta un soutien papal officiel au Big Bang (voir ici en anglais) : « Il semble en vérité que la science d'aujourd'hui remontant d'un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce "Fiat lux" initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s'assemblaient en millions de galaxie... »
En 1965, la mise à jour du rayonnement résiduel fossile fait taire définitivement les critiques du Big Bang, et la communauté scientifique se rallie aux thèses de l'Abbé Lemaître. Il est donc piquant de lire encore que cette théorie contredirait la foi chrétienne, alors qu'elle a été accusée d'être une invention cléricale, pour coller à la Bible.
L'évolution, « plus qu'une hypothèse »...
Du côté du singe, ou plutôt de la théorie de l'évolution, établie par Charles Darwin, il faut noter que l'Eglise catholique fut longtemps tenu à l'écart de la controverse. Dans le monde anglo-saxon, les attaques contre cette théorie vinrent essentiellement des rangs du protestantisme, attaché à une lecture suivie de la Bible. En 1860, à Oxford, un débat oppose le plus chaud partisan de l'évolution, Thomas Henry Huxley (surnommé le « bouledogue de Darwin », pour son zèle) et l'évêque anglican du lieu, Samuel Wilberforce. Pour mettre les rieurs de son côté, ce dernier a cette réplique fameuse envers son adversaire : « Descendez-vous du singe de par votre grand-père ou votre grand-mère ? » Lequel répondit qu'il préférait avoir un singe comme ancêtre, plutôt qu'un prélat malhonnête.
Le débat entre créationnisme, croyance issue de la lecture littérale de la Bible, et évolutionnisme se déplaça ensuite aux Etats-Unis, et devint un pilier identitaire des protestants évangéliques. Cela l'est encore aujourd'hui : près de 42 % des Américains adhèrent au créationnisme, dont les trois-quart des pasteurs protestants.
Au sein de l'Eglise catholique, la lecture fondamentaliste de la Bible n'est pas partagée, et il est donc vain de chercher à faire admettre que l'univers a bel et bien été créé en sept jours. Par contre, on se méfie de l'utilisation du darwinisme pour justifier la non-existence de Dieu. En 1968, dans la veine du Concile Vatican II, un jeune théologien articule le double apport de la science et de la foi. Il écrit notamment : « La théorie de l’évolution ne supprime pas la foi ; elle ne la confirme pas non plus. Mais elle la pousse à se comprendre elle-même plus profondément ». Le nom de ce théologien ? Joseph Ratzinger.
En 1996, Jean-Paul II affirme que l'évolution est « plus qu'une hypothèse ». Il précise toutefois : « Les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme un simple épiphénomène de la matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme. Elles sont d’ailleurs incapables de fonder la dignité de la personne. »
... même pour Benoît XVI !
Son successeur prend, lui aussi, soin de rejeter le créationnisme, impasse intellectuelle, ainsi que le paradigme qui se sert de l'évolution pour refuser la vision chrétienne de l'homme. Dès son élection, en 2005, Benoît XVI précise sa pensée lors de sa première homélie : « Nous ne sommes pas le produit accidentel et dépourvu de sens de l’évolution. Chacun de nous est d’abord le fruit d’une pensée de Dieu. » Pour lui, le monde provient bien d'un processus d'évolution, mais issu de Dieu. Ce qui est assez logique de la part de l'évêque de Rome. La même année, le chef astronome du Vatican, le Père George Coyne, dénonce le « dessein intelligent », concept né du créationnisme : « Il fait de Dieu un simple ingénieur. »
En 2006, dans son homélie de la veillée pascale, Benoît XVI estime que l'évolution permet de comprendre la résurrection : « La résurrection du Christ est la plus grande "mutation", le saut absolument le plus décisif dans une dimension totalement nouvelle qui soit jamais advenue dans la longue histoire de la vie et de ses développements : un saut d’un ordre complètement nouveau, qui nous concerne et qui concerne toute l’histoire. »
L'année suivante, il fait paraître le livre Création et évolution, qui reprend ses thèses : « Il me semble important de souligner que la théorie de l’Évolution implique des questions qui doivent être du ressort de la philosophie et qui mènent elles-mêmes au-delà du domaine de la science. »
C'est donc dans cette droite ligne que s'inscrit aujourd'hui le pape François quand il affirme : « Le commencement du monde n’est pas œuvre du chaos mais d’un Principe suprême qui crée par amour », a-t-il ajouté à ses propos réputés révolutionnaires. A défaut de l'univers, il est bien un fait immuable : celui que le pape croit en Dieu. Qui sait, cette réalité fera peut-être un jour la une des médias.
PIERRE JOVANOVIC
CRÉÉ LE 30/10/2014 / MODIFIÉ LE 30/10/2014 À 18H58
© Heritage Images/Leemage / Unimedia/Sipa / Montage : La Vie © Heritage Images/Leemage / Unimedia/Sipa / Montage : La Vie
Certains médias n'en reviennent pas : le pape François affirme que le Big Bang et la théorie de l'évolution ne sont pas incompatibles avec la foi chrétienne. Une nouveauté, une révolution, entend-on ici et là... vraiment ?
Présidant, lundi 27 octobre, l’inauguration solennelle d’un buste de Benoît XVI, au siège de l’Académie pontificale des Sciences, François a déclaré : « Le Big Bang, que nous pensons être à l’origine du monde, n’annule pas l’intervention d’un créateur divin. L’évolution dans la nature n’est pas contradictoire avec la notion de création car l’évolution nécessite la création d’êtres qui évoluent. »
Emballement médiatique immédiat. Les titres d'articles ont rivalisé d'inspiration pour accentuer la force de la nouvelle. Pensez donc : le pape « croit » au Big Bang ! Problème : le Souverain pontife n'a rien annoncé de nouveau. « C'est le dernier exemple en date d'une presse qui ne comprend pas l'Eglise catholique », commente dans Time la journaliste Elizabeth Dias (en anglais), en ironisant sur l'information « Oh-mon-Dieu-le-pape-croit-à-l-évolution » (« OMG-Pope-Francis-Supports-Evolution ».
« Quiconque connaît un brin d'histoire catholique sait que ce positionnement n'a rien de neuf », poursuit Elizabeth Dias. En effet, François n'a fait que reprendre l'interprétation traditionnelle de l'Eglise catholique, qui admet de manière dépassionnée la théorie de l'évolution.
Quant à la vision d'un univers créé et en expansion, elle a même été imaginée en 1927 par l'Abbé Georges Lemaître, un prêtre catholique belge et astrophysicien.
> A lire aussi : L'abbé Lemaître, inventeur du big bang
Ami d'Albert Einstein, l'Abbé Lemaître a développé ses travaux à partir des découvertes de la relativité générale. Sa théorie fut cependant violemment attaquée par les astrophysiciens athées de l'époque : ces derniers imaginaient un univers incréé, « sans début ni fin », immuable, ce qui contestait toute intervention divine. Ils rejetèrent les travaux de l'Abbé Lemaître, qu'ils jugeaient trop proches de l'acte créateur biblique. Et c'est d'ailleurs au Britannique Fred Hoyle, athée militant, que l'on doit l'expression « Big Bang », imaginée pour se moquer de la théorie du prêtre belge.
Mais, dès 1929, la réalité de l'univers sans cesse en expansion fut démontrée par les travaux de Hubble. En 1951, Pie XII apporta un soutien papal officiel au Big Bang (voir ici en anglais) : « Il semble en vérité que la science d'aujourd'hui remontant d'un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce "Fiat lux" initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s'assemblaient en millions de galaxie... »
En 1965, la mise à jour du rayonnement résiduel fossile fait taire définitivement les critiques du Big Bang, et la communauté scientifique se rallie aux thèses de l'Abbé Lemaître. Il est donc piquant de lire encore que cette théorie contredirait la foi chrétienne, alors qu'elle a été accusée d'être une invention cléricale, pour coller à la Bible.
L'évolution, « plus qu'une hypothèse »...
Du côté du singe, ou plutôt de la théorie de l'évolution, établie par Charles Darwin, il faut noter que l'Eglise catholique fut longtemps tenu à l'écart de la controverse. Dans le monde anglo-saxon, les attaques contre cette théorie vinrent essentiellement des rangs du protestantisme, attaché à une lecture suivie de la Bible. En 1860, à Oxford, un débat oppose le plus chaud partisan de l'évolution, Thomas Henry Huxley (surnommé le « bouledogue de Darwin », pour son zèle) et l'évêque anglican du lieu, Samuel Wilberforce. Pour mettre les rieurs de son côté, ce dernier a cette réplique fameuse envers son adversaire : « Descendez-vous du singe de par votre grand-père ou votre grand-mère ? » Lequel répondit qu'il préférait avoir un singe comme ancêtre, plutôt qu'un prélat malhonnête.
Le débat entre créationnisme, croyance issue de la lecture littérale de la Bible, et évolutionnisme se déplaça ensuite aux Etats-Unis, et devint un pilier identitaire des protestants évangéliques. Cela l'est encore aujourd'hui : près de 42 % des Américains adhèrent au créationnisme, dont les trois-quart des pasteurs protestants.
Au sein de l'Eglise catholique, la lecture fondamentaliste de la Bible n'est pas partagée, et il est donc vain de chercher à faire admettre que l'univers a bel et bien été créé en sept jours. Par contre, on se méfie de l'utilisation du darwinisme pour justifier la non-existence de Dieu. En 1968, dans la veine du Concile Vatican II, un jeune théologien articule le double apport de la science et de la foi. Il écrit notamment : « La théorie de l’évolution ne supprime pas la foi ; elle ne la confirme pas non plus. Mais elle la pousse à se comprendre elle-même plus profondément ». Le nom de ce théologien ? Joseph Ratzinger.
En 1996, Jean-Paul II affirme que l'évolution est « plus qu'une hypothèse ». Il précise toutefois : « Les théories de l’évolution qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, considèrent l’esprit comme un simple épiphénomène de la matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme. Elles sont d’ailleurs incapables de fonder la dignité de la personne. »
... même pour Benoît XVI !
Son successeur prend, lui aussi, soin de rejeter le créationnisme, impasse intellectuelle, ainsi que le paradigme qui se sert de l'évolution pour refuser la vision chrétienne de l'homme. Dès son élection, en 2005, Benoît XVI précise sa pensée lors de sa première homélie : « Nous ne sommes pas le produit accidentel et dépourvu de sens de l’évolution. Chacun de nous est d’abord le fruit d’une pensée de Dieu. » Pour lui, le monde provient bien d'un processus d'évolution, mais issu de Dieu. Ce qui est assez logique de la part de l'évêque de Rome. La même année, le chef astronome du Vatican, le Père George Coyne, dénonce le « dessein intelligent », concept né du créationnisme : « Il fait de Dieu un simple ingénieur. »
En 2006, dans son homélie de la veillée pascale, Benoît XVI estime que l'évolution permet de comprendre la résurrection : « La résurrection du Christ est la plus grande "mutation", le saut absolument le plus décisif dans une dimension totalement nouvelle qui soit jamais advenue dans la longue histoire de la vie et de ses développements : un saut d’un ordre complètement nouveau, qui nous concerne et qui concerne toute l’histoire. »
L'année suivante, il fait paraître le livre Création et évolution, qui reprend ses thèses : « Il me semble important de souligner que la théorie de l’Évolution implique des questions qui doivent être du ressort de la philosophie et qui mènent elles-mêmes au-delà du domaine de la science. »
C'est donc dans cette droite ligne que s'inscrit aujourd'hui le pape François quand il affirme : « Le commencement du monde n’est pas œuvre du chaos mais d’un Principe suprême qui crée par amour », a-t-il ajouté à ses propos réputés révolutionnaires. A défaut de l'univers, il est bien un fait immuable : celui que le pape croit en Dieu. Qui sait, cette réalité fera peut-être un jour la une des médias.