Persécution des témoins de Jéhovah
Posté : 01 nov.14, 21:59
Enseigner l’Holocauste au 21e siècle
Persécution des témoins de Jéhovah
Jean-Michel Lecomte
Publié le 25 novembre 2013 - Modifié le 14 juillet 2014
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Ce n’est qu’en juillet 1931 que l’appellation Zeugen Jehovas (témoins de Jéhovah) fut adoptée par ceux qui jusqu’alors se dénommaient Bibelforscher (étudiants de la Bible). La Wachtturm (Tour de garde, nom de l’organisation et de son siège à Magdebourg, en référence à l’organisation-mère américaine, la Watch Tower) avait déjà fait l’objet de tracasseries avant 1933, l’Eglise catholique lui étant très hostile – de même que le NSDAP.
Dès 1933, les Bibelforscher, ainsi que les nazis persistèrent à les appeler par habitude propagandiste, firent l’objet d’interdictions locales (Mecklembourg-Schwerin, Bavière, Saxe, Thuringe, Bade...). Ils ripostèrent par des actions judiciaires, des lettres de protestation – des milliers de télégrammes furent adressés à Hitler et aux fonctionnaires de la chancellerie par des témoins de Jéhovah américains et suisses. Après quelques atermoiements, l’interdiction générale survint en juillet 1935.
Pourquoi Hitler et le nazisme, qui ont toléré les Eglises protestante et catholique, n’ont-ils pas adopté la même attitude à l’égard des témoins de Jéhovah ? La première raison est que les grands propriétaires et industriels protestants et catholiques constituaient la clientèle de von Papen, et que le pouvoir avait besoin d’eux. Mais aussi, leurs principes religieux interdisaient aux témoins de Jéhovah de prêter serment à Hitler, d’effectuer le salut hitlérien, d’envoyer leurs enfants à la Hitlerjugend, et surtout de porter les armes. Devant l’évolution nazie qui s’affirmait peu à peu comme une « nouvelle religion » en niant toute transcendance pour exiger une adhésion mystique au Führer, là où les autres Eglises se sont au mieux contentées de protester, les témoins de Jéhovah contestèrent, s’opposèrent, refusèrent. Ils furent donc traités en opposants : écrits brûlés, rassemblements et prosélytisme interdits, appels à dénonciation, contrevenants condamnés et emprisonnés... Mais rien n’y fit, l’Etat totalitaire ne put obtenir qu’ils renient leurs principes et qu’ils se taisent.
Les propagandistes les plus grossiers répandirent alors des allégations selon lesquelles les témoins de Jéhovah étaient l’avant-garde et l’instrument du complot mondial juif, en s’appuyant sur leur référence à l’Ancien Testament et à Jéhovah, et sur l’appartenance d’anciens juifs à la direction de la Watch Tower. De faux écrits et des développements pseudo-scientifiques furent diffusés à grande échelle.
Le processus concentrationnaire devenait alors possible, c’est-à-dire l’internement arbitraire et l’escalade conduisant à la destruction. Il ne s’agit pas d’un génocide, les témoins de Jéhovah ne se revendiquant ni en peuple ni en ethnie, mais comme Eglise ; leur destruction est cependant à l’évidence un crime contre l’humanité. Ils furent une très rare catégorie à avoir eu la possibilité d’échapper individuellement à la concentration et à la destruction : il leur suffisait de renier leur foi et d’épouser la religion hitlérienne. On les y enjoignait régulièrement dans les camps : leur refus, toujours réitéré, leur valait à chaque fois de nouvelles brutalités.
François Bédarida estime le nombre des victimes entre deux et trois mille, sur les dix mille témoins de Jéhovah que comptait l’Allemagne.
Une figure : Carl von Ossietzky
Ce témoin, pacifiste convaincu, intellectuel, rédigea divers ouvrages pour contrer les attaques du parti nazi et dénoncer les brimades subies. Ses livres furent en bonne place dans les autodafés. En 1935, la Ligue allemande des droits de l’homme proposa Ossietzky pour le prix Nobel de la paix. Les luttes d’influence firent que ce prix 1935 ne lui fut décerné qu’en... novembre 1936. Il était alors déjà emprisonné en Allemagne.
« Arrêté dans les tout derniers jours de février, Carl von Ossietzky connaît la prison de Spandau, puis les camps de concentration : Sonnenburg, Esterwegen, Dachau. C’est à Dachau qu’il parachève sa victoire morale en refusant de céder et de renier ses convictions. Le maréchal Goering en personne est venu le voir, lui, le pacifiste, pour lui annoncer la nouvelle : le prix Nobel de la paix lui est attribué. Il lui a proposé d’aller en Suède pour la remise du prix, à condition de ne plus prononcer de critique contre le national-socialisme. Ossietzky a réfléchi et a dit non. Il n’est pas allé en Suède. Il est resté dans le camp. C’était une victoire morale. Sa victoire.
Le discrédit que cette affaire jetait sur l’Allemagne ainsi que les pressions internationales en faveur d’Ossietzky eurent pour effet de le faire sortir des camps. Libération quasi symbolique, car, rongé par la tuberculose, il est conduit à l’hôpital où il meurt le 5 mai 1938 (1). »
1. Guy Canonici, Les témoins de Jéhovah face à Hitler, Albin Michel, Paris, 1998, p. 382-383.
Persécution des témoins de Jéhovah
Jean-Michel Lecomte
Publié le 25 novembre 2013 - Modifié le 14 juillet 2014
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Ce n’est qu’en juillet 1931 que l’appellation Zeugen Jehovas (témoins de Jéhovah) fut adoptée par ceux qui jusqu’alors se dénommaient Bibelforscher (étudiants de la Bible). La Wachtturm (Tour de garde, nom de l’organisation et de son siège à Magdebourg, en référence à l’organisation-mère américaine, la Watch Tower) avait déjà fait l’objet de tracasseries avant 1933, l’Eglise catholique lui étant très hostile – de même que le NSDAP.
Dès 1933, les Bibelforscher, ainsi que les nazis persistèrent à les appeler par habitude propagandiste, firent l’objet d’interdictions locales (Mecklembourg-Schwerin, Bavière, Saxe, Thuringe, Bade...). Ils ripostèrent par des actions judiciaires, des lettres de protestation – des milliers de télégrammes furent adressés à Hitler et aux fonctionnaires de la chancellerie par des témoins de Jéhovah américains et suisses. Après quelques atermoiements, l’interdiction générale survint en juillet 1935.
Pourquoi Hitler et le nazisme, qui ont toléré les Eglises protestante et catholique, n’ont-ils pas adopté la même attitude à l’égard des témoins de Jéhovah ? La première raison est que les grands propriétaires et industriels protestants et catholiques constituaient la clientèle de von Papen, et que le pouvoir avait besoin d’eux. Mais aussi, leurs principes religieux interdisaient aux témoins de Jéhovah de prêter serment à Hitler, d’effectuer le salut hitlérien, d’envoyer leurs enfants à la Hitlerjugend, et surtout de porter les armes. Devant l’évolution nazie qui s’affirmait peu à peu comme une « nouvelle religion » en niant toute transcendance pour exiger une adhésion mystique au Führer, là où les autres Eglises se sont au mieux contentées de protester, les témoins de Jéhovah contestèrent, s’opposèrent, refusèrent. Ils furent donc traités en opposants : écrits brûlés, rassemblements et prosélytisme interdits, appels à dénonciation, contrevenants condamnés et emprisonnés... Mais rien n’y fit, l’Etat totalitaire ne put obtenir qu’ils renient leurs principes et qu’ils se taisent.
Les propagandistes les plus grossiers répandirent alors des allégations selon lesquelles les témoins de Jéhovah étaient l’avant-garde et l’instrument du complot mondial juif, en s’appuyant sur leur référence à l’Ancien Testament et à Jéhovah, et sur l’appartenance d’anciens juifs à la direction de la Watch Tower. De faux écrits et des développements pseudo-scientifiques furent diffusés à grande échelle.
Le processus concentrationnaire devenait alors possible, c’est-à-dire l’internement arbitraire et l’escalade conduisant à la destruction. Il ne s’agit pas d’un génocide, les témoins de Jéhovah ne se revendiquant ni en peuple ni en ethnie, mais comme Eglise ; leur destruction est cependant à l’évidence un crime contre l’humanité. Ils furent une très rare catégorie à avoir eu la possibilité d’échapper individuellement à la concentration et à la destruction : il leur suffisait de renier leur foi et d’épouser la religion hitlérienne. On les y enjoignait régulièrement dans les camps : leur refus, toujours réitéré, leur valait à chaque fois de nouvelles brutalités.
François Bédarida estime le nombre des victimes entre deux et trois mille, sur les dix mille témoins de Jéhovah que comptait l’Allemagne.
Une figure : Carl von Ossietzky
Ce témoin, pacifiste convaincu, intellectuel, rédigea divers ouvrages pour contrer les attaques du parti nazi et dénoncer les brimades subies. Ses livres furent en bonne place dans les autodafés. En 1935, la Ligue allemande des droits de l’homme proposa Ossietzky pour le prix Nobel de la paix. Les luttes d’influence firent que ce prix 1935 ne lui fut décerné qu’en... novembre 1936. Il était alors déjà emprisonné en Allemagne.
« Arrêté dans les tout derniers jours de février, Carl von Ossietzky connaît la prison de Spandau, puis les camps de concentration : Sonnenburg, Esterwegen, Dachau. C’est à Dachau qu’il parachève sa victoire morale en refusant de céder et de renier ses convictions. Le maréchal Goering en personne est venu le voir, lui, le pacifiste, pour lui annoncer la nouvelle : le prix Nobel de la paix lui est attribué. Il lui a proposé d’aller en Suède pour la remise du prix, à condition de ne plus prononcer de critique contre le national-socialisme. Ossietzky a réfléchi et a dit non. Il n’est pas allé en Suède. Il est resté dans le camp. C’était une victoire morale. Sa victoire.
Le discrédit que cette affaire jetait sur l’Allemagne ainsi que les pressions internationales en faveur d’Ossietzky eurent pour effet de le faire sortir des camps. Libération quasi symbolique, car, rongé par la tuberculose, il est conduit à l’hôpital où il meurt le 5 mai 1938 (1). »
1. Guy Canonici, Les témoins de Jéhovah face à Hitler, Albin Michel, Paris, 1998, p. 382-383.