Entraves à la liberté de culte
Publié le 13 novembre 2014 - Modifié le 16 novembre 2014
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Construction de lieux de culte
La presse se fait régulièrement l’écho d’oppositions manifestées dans diverses communes contre l’édification de lieux de culte destinés aux témoins de Jéhovah. Les quelques meneurs de l’opposition font alors généralement pression sur la municipalité pour que celle-ci refuse le permis de construire sollicité. Or, comme l’indique une réponse du ministre de l’Intérieur au député Jean-Pierre Brard : « le fait pour l’autorité administrative compétente de refuser un permis de construire en s’appuyant sur des considérations étrangères à l’urbanisme [...] constituerait un détournement de pouvoir [...]. Il n’existe donc aucune possibilité légale de fonder un refus de délivrance d’un permis de construire sur le caractère supposé “sectaire” du groupement qui le sollicite
».
En dépit de ces rappels du droit, des maires se placent au-dessus de la loi et refusent le permis de construire simplement parce que ce dernier profiterait aux témoins de Jéhovah. Mais, à la différence des véritables raisons clairement exprimées dans la presse, les motifs du refus présentés officiellement relèvent quant à eux de questions d’urbanisme. Pourtant, même si la décision de la municipalité paraît légale au premier abord, elle demeure, dans le fond, discriminatoire et donc illégale. En effet, si la demande de permis de construire avait été déposée par une autre association, la municipalité n’aurait probablement fait aucune difficulté. C’est pourquoi certains tribunaux administratifs ont été amenés à annuler des refus de permis de construire mal justifiés. On peut citer le jugement du Tribunal administratif de Lyon
annulant l’arrêté du maire d’Albigny-sur-Saône, par lequel ce dernier avait sursis à statuer sur la demande de permis de construire présentée par l’association Altène (Association locale des témoins de Jéhovah de Neuville-sur-Saône) en vue de l’édification d’un centre cultuel : « Considérant [...] qu’il ressort notamment du procès-verbal du conseil municipal d’Albigny-sur-Saône du 28 février 1992, que ce refus de délivrer le permis sollicité, alors que le maire avait admis la régularité de la demande, ne s’explique pas par des motifs d’urbanisme mais par une hostilité à l’égard de cette association, qualifiée de secte ; que, dans ces conditions, [...] le maire a pris une décision entâchée d’un détournement de pouvoir ».
D’autres élus municipaux ont usé de leur droit de préemption dans la seule intention d’empêcher les témoins de Jéhovah d’acquérir un terrain, destiné à la construction d’une salle cultuelle. Heureusement, cette démarche a été condamnée à plusieurs reprises par les juridictions administratives
et a même été qualifiée de voie de fait : « Attendu que l’utilisation du droit de préemption faite en l’espèce par le maire de Caudebec-les-Elbeuf afin d’empêcher l’ouverture d’un lieu de culte public de l’A.L.T.J.E. porte atteinte à la liberté d’exercice de culte de cette communauté religieuse qui se trouve privée de tout lieu d’exercice collectif ; Attendu que l’utilisation inappropriée de ce pouvoir est constitutive d’une voie de fait [4] ».
Dans le cas de la municipalité de Dadonville (Loiret), qui avait utilisé son droit de préemption sur un terrain convoité par les témoins de Jéhovah pour s’opposer à l’édification de leur lieu de culte, le Tribunal administratif d’Orléans a condamné la commune, par une décision rendue le 20 avril 2000, concluant : « Il y a détournement de pouvoir. L’endroit choisi n’est pas incompatible avec le caractère d’habitat de la zone [5]. »
Pareillement, la municipalité d’Agen a été condamnée pour « excès de pouvoir » en exerçant son droit de préemption sur un terrain que souhaitait acquérir l’association locale des témoins de Jéhovah pour y construire un lieu de culte [6]. Selon le jugement du 12 avril 2007 du Tribunal administratif de Bordeaux [7], « le maire de la commune d’Agen a agi dans le seul but de faire obstacle à la cession à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Agen de ce bien immobilier ». Puisque « ce motif tiré de considérations étrangères à un but d’intérêt général ne pouvait légalement fonder la décision de préemption critiquée », le droit de préemption a donc été annulé. En fait, la municipalité prétendait qu’elle avait un projet de construction de logements sociaux ; or, le tribunal a considéré non seulement que la motivation imprécise ne répondait pas au code de l’urbanisme, mais encore qu’il « ne ressort[ait] pas des éléments versés au dossier par la commune d’Agen qu’il existait, à la date de la décision attaquée, des projets d’action ou d’aménagement suffisamment précis et certains ». Les témoins de Jéhovah d’Agen ont donc pu construire de leurs mains leur « salle du Royaume », qui n’a pas généré d’inquiétude parmi les riverains [8].
Enfin, quand des maires se montrent soucieux de la légalité, certains opposants renvoient eux-mêmes l’affaire devant la justice. Par exemple, à Saint-Paul-de-Vence, l’Association de défense des sites de Saint-Paul, Vence et La Colle-sur-Loup a tenté de faire annuler le permis de construire accordé aux témoins de Jéhovah, mais ils ont été déboutés de leur requête par le Tribunal administratif de Nice [9]. De même, la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté une demande d’annulation d’un permis de construire tacite dont bénéficiait l’Association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Plérin pour l’édification d’un bâtiment cultuel à Étables-sur-Mer. Dans sa requête, l’Association pour la défense des habitants d’Étables-sur-Mer et Binic contre l’implantation de sectes ou mouvements para-religieux sur leurs communes (ADHACE) soutenait notamment que, en raison des croyances et des pratiques des témoins de Jéhovah, la construction d’un lieu de culte de ceux-ci serait à l’origine de troubles à l’ordre et à la sécurité publics. Conformément à son arrêt du 27 mai 2004 [10], la cour a jugé ce moyen inopérant à l’encontre du permis de construire et a finalement condamné l’ADHACE à payer 1 000 € à l’association cultuelle.
En somme, tous les moyens sont bons pour empêcher les témoins de Jéhovah de disposer de locaux pour se réunir. Ces machinations contreviennent réellement à la liberté d’exercer un culte, comme l’a confirmé la Cour européenne des droits de l’homme lors de difficultés rencontrées par les témoins de Jéhovah pour ouvrir une salle de prière en Grèce [11]. D’ailleurs, dans un courrier répondant à une commune concernée par un tel projet de construction, le ministère de l’Intérieur indiquait que « la Cour de cassation et le Conseil d’État considèrent les Témoins de Jéhovah comme pratiquant un culte qui ne peut faire l’objet d’aucune mesure discriminatoire [12] ».
À plus forte raison qu’aucune motivation valable n’est invoquée pour justifier ces entraves à leur culte. Ainsi, alors que le maire de Brie-Comte-Robert a refusé aux témoins de Jéhovah un permis de construire pour une salle d’assemblée, un journaliste du Parisien [13] a mené une enquête édifiante sur ces croyants : « Les TJ, comme on les appelle, sont particulièrement connus et puissants en Seine-et-Marne. Avec 13 salles du royaume implantés sur le département, c’est le mouvement sectaire le plus représenté. Particulièrement discrets, les adeptes ne dérangent pas vraiment la vie locale. À en croire en tout cas les maires des villes ou villages où ils existent. »
Alors, s’ils ne dérangent pas la vie locale, pourquoi tant de tapage autour d’une construction d’un lieu de culte ? Apparemment, on se retrouve plus dans un cas d’intolérance religieuse que dans un souci de protéger les habitants du voisinage. La situation n’est d’ailleurs pas nouvelle. Lorsque les témoins de Jéhovah venaient d’acquérir un terrain à Louviers (Eure) pour étendre leur centre cultuel national, avec l’accord du maire, une vive opposition s’était levée. En conclusion d’un article couvrant cette affaire, un journaliste de L’Express [14] évoquait la raison de l’organisation d’une journée « portes ouvertes » par les témoins : « Histoire de montrer [...] que, à l’exception — reconnue — d’un “porte-à-porte parfois un peu casse-pieds”, personne, ni à Louviers ni ailleurs, n’avait eu, jusqu’alors, de motif sérieux de se plaindre d’eux... »
Le sociologue Arnaud Blanchard a également constaté dans le cadre de sa thèse [15] que l’opposition manquait de consistance, en raison d’une « expérience sociale ordinaire de la présence des Témoins de Jéhovah » : « Ceux-ci sont en effet installés sur place depuis près de vingt ans sans que leur situation ou leur activité n’ait fait l’objet d’une quelconque manifestation - individuelle ou collective - d’inquiétude [16]. »
Là encore, les manifestations contre ce projet d’extension du siège national se révélaient donc tout à fait injustifiées.
Alerté par « les difficultés que rencontrent parfois les organisations religieuses pour la construction ou l’aménagement d’édifices du culte », le ministre de l’Intérieur a récemment rappelé aux préfets les principes à suivre dans sa circulaire du 14 février 2005 [17] :
« Le principe de séparation des Églises et de l’État fixé par la loi du 9 décembre 1905 et le principe fondamental de laïcité inscrit dans la Constitution font de la neutralité la pierre angulaire des relations des autorités publiques avec les organes religieux.
« La neutralité ne signifie cependant pas l’indifférence à l’égard du fait religieux puisqu’aux termes mêmes de la loi 9 décembre 1905, la République garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées par la loi dans l’intérêt de l’ordre public (article 1er).
« Ainsi, l’édification d’un lieu de culte ne peut être empêchée que pour des motifs liés à l’application des règles en vigueur, notamment des règles en matière d’urbanisme et de construction des édifices recevant du public.
« Le juge administratif veille à ce que le droit de l’urbanisme ne soit pas détourné de son objet pour empêcher la construction d’un édifice du culte (TA Lyon 10 février 1993 Association Altène) et le juge judiciaire qualifie de voie de fait l’utilisation inappropriée par une autorité municipale de son droit de préemption pour empêcher l’édification d’un lieu de culte (CA Rouen 23 février 1994 Association locale des témoins de Jéhovah d’Elbeuf). »
Il reste maintenant à souhaiter que cette mise au point permette aux témoins de Jéhovah de rencontrer moins de difficultés pour construire des édifices du culte.
http://www.droit-tj.fr/spip.php?article154