Une mère juive qui renie sa religion pour l'islam et se marie avec un musulman reste -t-elle juive ?
J'en doute.
Le roi Hassan II a épousé des femmes juives.
Et en Afrique du Nord, il y a des centaines de milliers de cas.
Les juifs étaient en Afrique du Nord bien avant les arabes.
Le Maroc avait 300 000 juifs en 1948, l'Algérie aussi.
Une histoire des Juifs d’Afrique du nord
A propos de : Colette Zytnicki, Les Juifs du Maghreb. Naissance d’une historiographie coloniale, PUPS
par Ewa Tartakowsky , le 23 avril 2012
Une historienne propose de rompre avec le « quasi-mutisme » qui entoure l’histoire des Juifs nord-africains. Ce silence résulte du fait que le passé juif au Maghreb a souffert d’une vision coloniale et téléologique, sans bénéficier d’un courant historique structuré.
Recensé : Colette Zytnicki, Les Juifs du Maghreb. Naissance d’une historiographie coloniale, Paris, Presses universitaires de Paris Sorbonne, 2011. 391 p., 19 €.
Dans son ouvrage, Les Juifs du Maghreb. Naissance d’une historiographie coloniale, Colette Zytnicki, professeur d’histoire contemporaine à l’université Toulouse-Le Mirail, nous soumet une analyse de l’historiographie des Juifs du Maghreb. Pour ce faire, elle nous guide à travers une lecture de la littérature historique, de ses auteurs, ses sources, ses méthodes et ses publics. Son étude se propose d’expliciter les raisons du quasi-mutisme qui entoure l’histoire des Juifs maghrébins, née avec leur entrée dans la modernité occidentale (via la colonisation).
« Les Juifs marocains, c’est entendu, ne font pas de politique », écrit Edmond El Maleh dans son récit Parcours immobile
. Nous sommes en 1980, plus d’un siècle après les premières mises en histoire du passé des Juifs nord-africains. Un siècle durant lequel perdure l’idée de leur mise à l’écart de l’histoire. C’est à ce cliché que s’attaque l’auteur, dans une tentative menée avec succès, qui permet de revisiter les rapports entre littérature, histoire et politique.
Une histoire téléologique ?
Dès sa naissance, l’écriture de l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord répond à des attentes politiques, liées au projet d’intégration des Juifs algériens dans la citoyenneté française. Inscrire leur histoire dans l’histoire universelle fait partie du projet des Israélites métropolitains, soucieux d’étendre les acquis de la Révolution à leurs coreligionnaires pour les « régénérer ». C’est dans cette perspective que s’inscrit, par exemple, Les Juifs dans l’Afrique septentrionale (1867) d’Abraham Cahen. Certes, l’intention affirmée de l’auteur est d’écrire de manière juste et véridique une histoire oubliée, de rompre avec des représentations précoloniales et coloniales nourries par des récits de voyage non dépourvus d’ambiguïté où les Juifs – à la fois membres de la société musulmane et extérieurs à elle – sont entassés dans les quartiers juifs et maltraités, souvent du fait de leur supposée « nature ».
Mais les thématiques scientifiques développées, comme celle des Juifs « intermédiaires » entre l’Europe et l’Afrique, deviennent rapidement des arguments dans le débat politique qui oppose partisans et détracteurs du décret Crémieux
. Car, précisément, au moment où les Juifs métropolitains passent avec brio l’exercice de l’intégration, la tendance est plutôt de les cantonner aux marges des sociétés coloniales, ce dont témoignent des réécritures de leur histoire par quelques intellectuels antisémites. En atteste celle d’Henri Garrot, dans les années qui suivent la promulgation du décret en 1870. Ces mises en formes sont elles-mêmes talonnées par des réponses d’intellectuels juifs, comme Jacques Cohen ou Jacques Chalom. En dehors de cette communauté, la défense se fait rare ; les érudits occidentaux sont plus curieux de découvrir les Berbères ou les Arabes, peuples dominants et opposés à la colonisation. L’histoire des Juifs maghrébins va donc avant tout être l’affaire de leurs coreligionnaires européens.
Parmi eux, on trouve notamment des instituteurs ou des fondateurs de l’Alliance israélite universelle, institution fondée en 1860 par des Français israélites pour « apporter un rayon de civilisation de l’Occident dans les milieux dégénérés par des siècles d’oppression et d’ignorance »
. Ainsi, David Cazès, dans un projet politique, publie en 1888 un Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’établissement du protectorat de la France en Tunisie. Au moment où se discute le statut des Juifs, l’objectif est de convaincre la France de s’appuyer sur la communauté juive dans sa mission en Tunisie. Son ouvrage adopte d’ailleurs une trajectoire téléologique dont la présence française constitue le but ultime.
Juifs, chrétiens et musulmans
Écrire l’histoire revient alors non pas à s’emparer d’un objet d’enquête – il faudra pour cela attendre les années 1960 –, mais à faire une démonstration pour expliquer ou justifier une réalité contemporaine. Ce qu’illustre fort bien l’enjeu des origines des communautés juives au Maghreb. Si les récits populaires la font remonter très loin, aucune source directe ou indirecte ne la confirme au delà de l’époque romaine. Les fouilles archéologiques, entreprises pour enquêter sur le passé chrétien et qui font resurgir les sites hébraïques de Hammam Liff et de Gamart, s’inscrivent elles aussi dans un projet en réalité éminemment politique : certifier le rôle civilisateur des premières civilisations chrétiennes, sinon « latines », permettrait de minimiser le rôle civilisateur de l’islam et sa légitimité sur le sol maghrébin. À cet égard, même si Colette Zytnicki met en évidence les motivations des auteurs pour établir une filiation entre les Hébreux et les Juifs nord-africains, nous restons sur notre faim au sujet de la « latinité » [4], une des idées mise en place par la puissance coloniale française pour établir sa légitimité.
Attachés à démontrer cette continuité historique, plusieurs de ces auteurs s’avancent sur un terrain hasardeux, tel Nahoum Slouschz qui publie en 1906 une Étude sur l’histoire des Juifs et du judaïsme au Maroc. Les origines juives au Maroc, ouvrage qu’il documente surtout sur des légendes arabes, berbères ou juives. Sioniste engagé, l’auteur associe l’influence arabe à la barbarie, la lumière à l’Europe. Si ses travaux rencontrent un succès mitigé, ses thèses perdurent et seront reprises par de nombreux auteurs juifs, y compris Maurice Eisenbeth. Soulignons que ce sont parfois les auteurs non juifs, comme Paul Monceaux, qui, dans le cadre d’une enquête sur l’histoire de la chrétienté, réussissent à l’inscrire dans un champ plus vaste, celui de l’histoire universelle.
Le récit mythifié de la Kahéna [5] constitue un autre avatar d’une démonstration à vocation politique. La figure de cette princesse judéo-berbère permettait en effet de fonder la légitimité de la puissance coloniale, comme libératrice des peuples autochtones juifs et berbères de la domination des Arabes envahisseurs. Elle devient figure privilégiée des historiens coloniaux ainsi que de nombreux écrivains, y compris contemporains.
Il faudra attendre la fin de la période coloniale pour voir s’esquisser un changement de regard sur les Juifs d’Afrique du Nord et le début d’une historiographie plus scientifique. Mais malgré les études plus critiques et analytiques, la littérature de vulgarisation subsiste. L’exode des Juifs des pays d’islam, après les soubresauts de la décolonisation, modifie l’image d’une coexistence aux côtés des musulmans : le thème d’une symbiose judéo-berbère ou arabe s’amorce et sera également repris dans l’ouvrage-synthèse d’André Chouraqui, Marche vers l’Occident. Les Juifs d’Afrique du Nord, publié en 1952.
Littérature et passé collectif
C’est souvent à la littérature non scientifique que revient, dans la période postcoloniale, le rôle de mettre en récit l’histoire des communautés juives [6], élément de contexte qui reste en creux dans l’ouvrage de Colette Zytnicki. En effet, faute d’un fort ancrage de l’historiographie des Juifs maghrébins, apporter un témoignage sur un monde en train de disparaître semble motiver – au-delà de sa dimension « thérapeutique » face à l’exil – la plupart des auteurs littéraires d’origine judéo-maghrébine en France. Cette littérature, qui emprunte la mémoire individuelle pour faire vivre un passé collectif, n’échappe pas à des visions nostalgiques de la présence des Juifs sur l’autre rive de la Méditerranée, puisant souvent dans des constructions stéréotypées développées par des premiers historiens de leur histoire : on voit ainsi se prolonger des thèmes comme celui de la Kahéna, de la coexistence apaisée aux côtés des musulmans, de la France comme horizon émancipateur, etc. La validité historique de ces récits et de leur subjectivité est évidemment sujette à questionnement.
En définitive, la volonté de Colette Zytnicki de « rompre avec ce quasi-mutisme » qui entoure l’historiographie des Juifs nord-africains s’avère pertinente et son ouvrage particulièrement utile. Ce silence résulte sans doute du fait que, malgré de nombreux articles, la réflexion sur la construction d’un passé juif au Maghreb – trop récente et importée par la colonisation – n’a pas immédiatement formé de courant historique structuré autour d’un projet. Ses auteurs – qu’ils soient juifs ou non – ont d’ailleurs tous évolué dans le cadre des institutions culturelles coloniales. Malgré la qualité de leurs travaux, il a manqué dans la période coloniale des œuvres phares, comparables à celles de certains grands historiens d’Europe. C’est justement de cette lente émergence d’un courant historique, conduit aujourd’hui par des chercheurs en France, Israël ou aux États-Unis, que s’est saisie Colette Zytnicki. Avec succès, elle rompt ce silence qui entoure encore aujourd’hui l’écriture de l’histoire des Juifs nord-africains, lesquels « c’est entendu, ne font pas d’histoire »…