Musulmans et laïcité: le troublant intégrisme de Marion Maréchal-Le Pen
Marion Maréchal-Le Pen estime que les musulmans ne peuvent avoir le même rang que les catholiques en France. Le propos fait polémique. Mais pour la députée du Vaucluse, c'est l'ensemble de la société qui devrait se plier à la vision d'un catholicisme intégral.
Marion Maréchal pense que les catholiques sont au-dessus de tout.
Y compris de la République. C’est en ce sens qu’il faut lire et comprendre sa dernière sortie dans le journal Présent, relative à la supériorité des catholiques sur les musulmans :
"Il faut accepter de définir et de revendiquer quel est notre héritage et quelle est notre identité. Ça passe par l'affirmation de notre héritage gréco-romain et chrétien. Il faut dire que la France est une terre culturellement et très longtemps spirituellement chrétienne".
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Et de décréter:
"Et dans ces conditions, si des Français peuvent être musulmans et exercer leur foi, il faut qu'ils acceptent de le faire sur une terre qui est culturellement chrétienne. Ça implique aujourd'hui qu'ils ne peuvent pas avoir exactement le même rang que la religion catholique".
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Il ne suffit pas de s’indigner, encore faut-il comprendre le message de Marion Maréchal Le Pen. En vérité, elle ne subordonne pas seulement les musulmans aux prescriptions de la religion catholique (en tout cas à l’idée qu’elle s’en fait) mais l’ensemble de la société, y compris la République elle-même. C'est en cela que la distinction qu'elle opère dépasse le débat religieux. La vision partagée dans Présent, et confirmée pour l'essentiel sur RTL, s’inscrivent dans une continuité, notamment au regard d’une longue interview, publiée il y a quelques semaines et passée inaperçue.
Une vision du monde inquiétante
En octobre dernier, Marion Maréchal Le Pen a été l’invitée d’une émission diffusée sur Radio Courtoisie (en partenariat avec le site ultra catholique le Salon beige). Dans ce "Libre journal de la Résistance" (sic) la nièce de Marine Le Pen a pu, durant près d’une heure et demie, livrer le fonds de sa pensée politique.
En territoire médiatique ami, les masques tombent, et face à des interviewers complaisants, dans le cadre d’une conversation entre gens du même bord, la députée du Vaucluse s’est alors totalement dévoilée, révélant une pensée politique et une vision du monde pour le moins inquiétante, surtout quand tout indique que ses chances de devenir présidente de la région PACA n’ont jamais été aussi hautes. 40% des intentions de vote au premier tour (sondage Ipsos pour France télévisions) c'est plus qu'inquiétant.
De ce long entretien on a choisi ici de retenir les trois moments les plus politiquement révélateurs. Marion Maréchal Le Pen dans le texte, c’est tout à la fois effrayant et accablant.
Premier temps fort de l’entretien, le mariage civil,
qu’il faudrait démolir. "Pourquoi garder le faux mariage et le PACS ?", commence par demander Grégoire Boucher à Marion Maréchal-Le Pen.
Réponse :
"Y a une aberration qui est un héritage de la Révolution française qui fait qu’on est obligé de se marier à la mairie avant de pouvoir se marier religieusement. A quel titre? Je ne sais pas. Je trouve ça scandaleux, après tout on pourrait recevoir un sacrement sans devoir demander l’autorisation à la République française".
Et d’ajouter:
"Je vous signale qu’un certain nombre de musulmans n’ont pas ces complexes sans que la République en soit choquée… Le complexe c’est pas leur truc… En revanche, c’est vrai qu’il y a énormément de mariages musulmans qui sont fêtés et qui ne sont pas passés par la mairie civile en amont sans que la République n’y trouve rien à redire ou s’en donne les moyens… Et peut-être que les catholiques ne devraient plus se laisser faire et réagir afin de forcer le débat à ce sujet-là".
Deuxième temps fort, la suprématie de la religion catholique sur la République et les Droits de l’Homme.
"On a des gens qui iront mourir contre nous pour Allah, a-t-on en face envie de mourir pour la République ou pour la laïcité (noter l’interviewer qui dit 'Pas moi') quand on voit comment ces termes ont été vidés de leur sens ?"...
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Le débat ainsi posé, Marion Maréchal Le Pen s’en prend à l’Eglise catholique, notamment à la conférence des évêques de France, au motif qu’elle aurait renoncé à la supériorité du catholicisme sur les autres religions: "Au prétexte d’un relativisme que moi je combats, y compris en politique, pas seulement dans le domaine spirituel, qui voudrait qu’il n’y ait pas de vérité que finalement tout se vaut et que finalement croire le Coran, la Torah ou la Bible serait équivalent à partir du moment où l’on croit. Je ne crois pas que Jésus Christ soit venu mourir sur terre pour porter un message qui aurait été remplacé quelques siècles plus tard par le prophète Mahomet".
Et de conclure :
"La grande erreur de l’Eglise catholique c’est de tout mettre sur le même plan, parce que dans ces conditions, il n’y a pas de vérité, s’il n’y a pas de vérité, il n’y a pas de bien, pas de mal, donc plus rien n’a de sens".
"Je combats la laïcité"
Enfin, dernier temps fort de l’entretien, la question de la fonction et de l’utilisation de la laïcité républicaine, que Marion Maréchal Le Pen évoque de manière surprenante : "La laïcité est un outil utile contre la propagation (…) des revendications de certains musulmans. En revanche, il ne faut pas tomber dans le laïcisme, c’est-à-dire la religion de la laïcité, qui voudrait que l’on rejette la religion de toute sphère publique. La France est un pays chrétien, d’identité chrétienne, de racines chrétiennes, qu’elle a ce titre un héritage, des traditions, à connotation religieuse, en particulier catholique, et que la laïcité ne doit s’en prendre à cela".
Conclusion logique, une fois encore : "Je combats la laïcité vue par la gauche parce que c’est une laïcité aseptisée, on supprime tout ce qui peut avoir une référence à nos racines catholiques dans le cadre de la sphère privée! (NDLR : MMLP ne voulait-elle pas dire publique? S’agit-il d’un lapsus?) C’est le débat que l’on a eu sur les crèches dans les mairies".
Que retenir de ce pot-pourri ?
Que la pensée dévoilée de Marion Maréchal-Le Pen est d’essence contre-révolutionnaire. Elle est celle que portent, depuis 1789, tous les courants politiques extrémistes antirépublicains, qui ont tenté, par tous les moyens, notamment sous le régime de Vichy, de restaurer une France catholique au-dessus de tout, y compris et surtout au-dessus de la République bâtie sur la Déclaration des Droits et l’Homme et du Citoyen.
Terrible passage que celui où Marion Maréchal-Le Pen, encouragée par son interviewer, juge qu’il n’y a pas de raison de mourir pour la République et la laïcité. La certaine idée de la France que se fait la petite-fille de Jean-Marie Le Pen (entre Charles Maurras et son ami Jacques de Guillebon, intellectuel catholique ultra qui serait devenu son inspirateur) est encore plus réactionnaire que celle de l’ancêtre fondateur du Front national qui lui, n’avait jamais subordonné son action à une vision intégriste du catholicisme français appliquée à la sphère publique.
Au-delà de la manifestation de la tradition ultra-catholique, l’entretien est aussi instructif en ce qu’il acte une formidable opération de triangulation et préemption des concepts et droits républicains.
Une position catholique intégriste
D’abord en ce que Marion Maréchal-Le Pen ne reconnait pas le mariage civil et républicain, n’accordant de valeur qu’au seul mariage muni des sacrements de l’Eglise catholique. Le mariage républicain, facteur de cohésion civile, serait par nature impur d’un point de vue catholique. D’où l’appel lancé, de manière assez subtile, à une certaine forme de désobéissance civile, en invitant les catholiques de son bord à imiter certains musulmans afin de "forcer le débat".
Nous sommes donc clairement en présence de la manifestation d’une position catholique intégriste, désireuse d’imposer à l’ensemble de la société, à rebours de toute considération de la liberté absolue de conscience, une vision de "la vérité" en politique qui ne se discute pas. Le tout au nom des "racines catholiques de la France" (notion encore plus étroite que "racines chrétiennes" puisqu’elle exclut de facto les protestants, ce qui est raccord avec des propos tenus à leur sujet par MMLP).
Idem pour la laïcité, que Marion Maréchal-Le Pen détourne de son but pour en faire une arme de destruction massive identitaire. A l’entendre, la laïcité serait désormais le moyen pour les gens de son bord d’imposer un champ politique qui serait régi par les prescriptions d’un catholicisme intégral, seul qualifié pour être porteur de cette "vérité" qui permet de distinguer le bien et le mal, attendu que le Coran et la Torah (protégés qu’ils sont par le relativisme auquel aurait succombé, selon la députée frontiste, la conférence des évêques de France) ne sont pas cette vérité. La laïcité de Marion Maréchal Le Pen, c’est donc un outil identitaire dont on doit user contre tous ceux qui ne croient pas au seul Dieu catholique porteur de "vérité", sinon, comme elle le dit, "pourquoi Jésus serait-il venu mourir sur terre ?". Tout se tient.
Nul ne peut dire si ces éléments relatifs à la pauvre et simplette pensée politique de Marion Maréchal Le Pen, aussi inquiétante qu’accablante, seront de nature à éclairer ces électeurs de PACA décidé à la porter à la tête de la région. Espérons…
Vivre dans une région gouvernée par une présidente qui pense que l’idée qu’elle se fait de son Dieu est au-dessus de tout, y compris la République et ses lois, est-ce vraiment une expérience à tenter ?
Source :
http://www.challenges.fr/politique/2015 ... e-pen.html