- Nous ne voulons pas la guerre
« Arthur Ponsonby avait déjà remarqué que les hommes d'État de tous les pays, avant de déclarer la guerre ou au moment même de cette déclaration, assuraient toujours solennellement en préliminaire qu'ils ne voulaient pas la guerre . »2 La guerre n’est jamais désirée, elle n’est que rarement vue comme positive par la population. Avec l’avènement de nos démocraties, le consentement de la population devient essentiel, il ne faut donc pas vouloir la guerre et être un pacifiste dans l’âme. À la différence du Moyen Âge, où l’avis de la population n’avait que peu d’importance et la question sociale n’était pas substantielle. « Ainsi déjà le gouvernement français mobilise tout en proclamant que la mobilisation n’est pas la guerre mais, au contraire, le meilleur moyen d’assurer la paix. »2 « Si tous les chefs d'État et de gouvernements sont animés de semblables volontés de paix, on peut évidemment se demander innocemment pourquoi, parfois (et même souvent), des guerres éclatent tout de même ? »3 Mais le second principe répond à cette question.
- Le camp adverse est le seul responsable de la guerre
- Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l'affreux de service »)
« On ne peut haïr un groupe humain dans son ensemble, même présenté comme ennemi. Il est donc plus efficace de concentrer cette haine de l’ennemi sur le leader adverse. L’ennemi aura ainsi un visage et ce visage sera bien évidemment odieux. »8
« Le vainqueur se présentera toujours (voir Bush ou Blair récemment) comme un pacifiste épris de conciliation mais acculé par le camp adverse à la guerre.
Ce camp adverse est bien sûr dirigé par un fou, un monstre (Milosevic, ben Laden, Saddam Hussein, ...) qui nous défie et dont il convient de débarrasser l'humanité. »9
La première opération d’une campagne de démonisation consiste donc à réduire un pays à un seul homme. À faire donc comme si personne ne vivait en Irak, que seul Saddam Hussein, sa « redoutable » garde républicaine et ses « terribles » armes de destruction massive vivaient là-bas10. Personnaliser ainsi le conflit est très typique d’une certaine conception de l’histoire, qui serait faite par des « héros », l’œuvre des grands personnages10. Conception de l’histoire qu’Anne Morelli refuse en écrivant inlassablement sur les « laissés pour compte » de l’histoire légitime. Cette vision est particulièrement idéaliste et métaphysique en ce que l’histoire est le fruit des idées de ses « grand » hommes. À cette conception de l’histoire s’oppose une conception dialectique et matérialiste qui définit l’histoire en termes de rapports et de mouvements sociaux.
- L’adversaire est qualifié de tous les défauts et déviances possibles, de son physique à ses mœurs sexuelles.
C'est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers[modifier | modifier le code]
Les buts économiques et géopolitiques de la guerre doivent être masqués sous un idéal, des valeurs moralement justes et légitimes. Ainsi on pouvait déjà entendre George Bush père déclarer « Il y a des gens qui ne comprennent jamais. Le combat ne concerne pas le pétrole, le combat concerne une agression brutale »12 ou Le Monde le 22 janvier 1991 : « Les buts de guerre américains et français sont d’abord les buts du Conseil de sécurité. Nous sommes là en raison des décisions prises par Conseil de sécurité et l’objectif essentiel, c’est la libération du Koweït. »12 En fait, dans nos sociétés modernes, une guerre ne peut se réaliser qu’avec un certain consentement de la population. Gramsci avait déjà montré à quel point l’hégémonie culturelle et le consentement sont indispensables au pouvoir. Ce consentement sera facilement acquis si la population pense que de cette guerre dépendent leur liberté, leur vie, leur honneur13. Les buts de la Première Guerre mondiale par exemple se résument en trois points : « -écraser le militarisme - défendre les petites nations - préparer le monde à la démocratie. Ces objectifs, très honorables, sont depuis recopiés quasi textuellement à la veille de chaque conflit, même s'ils ne cadrent que très peu ou absolument pas avec ses objectifs réels.»14 « Il faut persuader l’opinion publique que nous – au contraire de nos ennemis – faisons la guerre pour des motifs infiniment honorables. »14 « Pour la guerre de l'OTAN contre la Yougoslavie, on retrouve le même décalage entre buts officiels et inavoués du conflit."
Officiellement l'OTAN intervient pour préserver le caractère multi-ethnique du Kosovo et Métochie, pour empêcher que les minorités y soient maltraitées, pour y imposer la démocratie et pour en finir avec la dictature. Il s'agit de défendre la cause sacrée des droits de l'homme. Non seulement à la fin de la guerre, on peut constater qu'aucun de ces objectifs n'a été atteint, qu'on est notamment loin d'une société multi-ethnique et que les violences contre les minorités – serbes et roms cette fois - sont quotidiennes, mais encore on se rend compte que les buts économiques et géopolitiques de la guerre, dont on n'avait jamais parlé, sont -eux- atteints. »15 Ce principe implique son corollaire, l’ennemi lui est un monstre sanguinaire qui représente la société de la barbarie.
- L'ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c'est involontairement
Les récits des atrocités commises par l’ennemi constituent un élément essentiel de la propagande de guerre. Cela ne veut évidemment pas dire que des atrocités n’ont pas lieu pendant les guerres. Tout au contraire, les assassinats, les vols à main armée, les incendies, les pillages et les viols semblent plutôt – malheureusement - récurrents dans l’histoire des guerres. Mais le fait de faire croire que seul l’ennemi commet de telles atrocités, et que notre armée est aimée de la population, c’est une armée « humanitaire ».
Mais la propagande de guerre s’arrête rarement là, non contente des viols et pillages existants, il lui faut le plus souvent créer des atrocités « inhumaines » pour incarner en l’ennemi l’alter-ego d’Hitler (Hitlerosevic, …). Nous pouvons ainsi mettre côte à côte plusieurs passages ayant trait à des guerres différentes sans y trouver de grandes différences.
Durant la Première Guerre mondiale, Ponsonby rapporte cette histoire : « Trente ou trente-cinq soldats allemands étaient entrés dans la maison de David Tordens, charretier à Sempst (aujourd’hui Zempst). Ils ligotèrent l’homme puis cinq ou six d’entre eux se jetèrent sous ses yeux sur la fille âgée de treize ans et lui firent violence, ensuite ils l’embrochèrent sur leurs baïonnettes. Après cette action horrible ils lardèrent de coups de baïonnettes son fils âgé de neuf ans et fusillèrent sa femme. » On n'oubliera pas non plus l’épisode des enfants aux mains coupées, qui s’apparente plus à une rumeur infondée qu’à un fait historique16.
Pour la Guerre du Golfe dans Le Monde du 3 mars 1990 : « S’ils ne prouvent rien quant au nombre, les corps mutilés de la morgue de l’hôpital Moubarak plaident pour la certitude de la cruauté des sept mois d’occupation irakienne. Yeux arrachés, gorges tranchées, têtes écrasées, crânes coupés dont la cervelle s’échappe, corps à moitiés carbonisés, brûlures de cigarettes… » Sans oublier également l’épisode des couveuses volées et des bébés tués atrocement… Qui se révéla être une mystification.
Pour l’Afghanistan dans le Herald Tribune du 7 août 1999 : « Certains ont été tués dans les rues. Beaucoup ont été exécutés chez eux, après blocage et perquisition des zones réputées pour être habitées en majorité par certains groupes ethniques. Certains ont été ébouillantés à mort ou asphyxiés dans des conteneurs métalliques scellés, placés en plein soleil. Dans un hôpital au moins, 30 patients ont été tués par balle dans leur lit. Les corps des victimes ont été abandonnés dans les rues ou dans les maisons, pour intimider le reste des habitants. Des témoins affolés ont pu voir des chiens s'acharner sur les cadavres, mais on leur a imposé par mégaphone ou par radio de ne pas y toucher et de ne pas les enterrer. » Les talibans, ici responsables de ses atrocités n’ont pour la plupart pas été arrêtés, et aucune nouvelle de Ben Laden…
Pour la guerre en Irak, les récits furent encore une fois similaires, et les mensonges sur les armes de destruction massive aussi. On peut donc facilement dégager certaines tendances dans ces histoires. Il s’agit avant tout de toucher la corde « sentimentale » du lecteur, il faut avant tout de « bonnes histoires » et si on ne les trouve pas, on les invente. Les détails « croustillants » totalement inutiles au vu des réelles conséquences au point de vue humain dans les guerres sont pourtant monnaie courante dans ces récits, et fait de l’ennemi un monstre plus horrible que jamais, qui tue avant tout par plaisir ou vice.
Pour le Kosovo et Métochie, « il y a évidemment eu, au printemps 1999, meurtres, pillages, tortures et incendies de maisons albanaises, mais on "oublie" de mettre en évidence avec la même acuité les mêmes atrocités commises à partir de l'été sur des Serbes, Bosniaques, Roms et autres personnes non Albanaises17. Leur exode sera passé sous silence alors que les images de réfugiés albanais du Kosovo et Métochie et leur accueil à l'étranger avaient fait l'objet d'émissions complètes à la télévision. C'est que ce cinquième principe de la propagande de guerre veut que seul l'ennemi commette des atrocités, notre camp ne peut commettre que des "erreurs". La propagande de l'OTAN popularisera à l'occasion de la guerre contre la Yougoslavie le terme de "dégâts collatéraux" et présentera comme tels les bombardements de populations civiles et d'hôpitaux, qui auraient fait, selon les sources, entre 1 200 et 5 000 victimes. "Erreur" donc que le bombardement de l'ambassade chinoise18, d'un convoi de réfugiés albanais, ou d'un train passant sur un pont. L'ennemi, lui, ne commet pas d'erreurs, mais commet le mal sciemment. »19
Pour conclure sur une citation de Jean-Claude Guillebaud : « Nous étions devenus, nous journalistes, à notre corps défendant, des espèces de marchands d’horreur et l’on attendait de nos articles qu’ils émeuvent, rarement qu’ils expliquent ».
- L'ennemi utilise des armes non autorisées
Ce principe est le corollaire du précédent. « Non seulement nous ne commettons pas d’atrocités, mais nous faisons la guerre de manière chevaleresque, en respectant – comme s’il s’agissait d’un jeu, certes dur mais viril ! – les règles. » 20 Ainsi déjà pendant la Première Guerre mondiale, la polémique fit rage à propos de l’usage des gaz asphyxiants. Chaque camp accusait l’autre d’avoir commencé à les utiliser21. Bien que les deux camps avaient fait usage du gaz et qu’ils avaient effectué tous des recherches dans le domaine, cette arme était le reflet symbolique de la guerre « inhumaine ». Il convient ainsi de l’imputer à l’ennemi. C’est en quelque sorte l’arme « malhonnête », l’arme du fourbe.
- Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
« À de rares exceptions près, les êtres humains préfèrent généralement adhérer à des causes victorieuses. En cas de guerre l’adhésion de l’opinion publique dépend donc des résultats apparents du conflit. Si les résultats ne sont pas bons, la propagande devra cacher nos pertes et exagérer celles l’ennemi. »22
Déjà durant la Première Guerre mondiale, après un mois du début des opérations, les pertes s’élevaient déjà à 313 000 tués. Mais l’état major français n’a jamais avoué la perte d’un cheval et ne publiait pas la liste nominative des morts22.
Dernièrement, la guerre en Irak nous fournit un exemple du genre, où on a interdit la publication des photos des cercueils de soldats américains dans la presse. Les pertes de l’ennemi sont elles, par contre, énormes, leur armée ne résiste pas. « Dans les deux camps ces informations remontent le moral des troupes et persuadent l’opinion publique de l’utilité du conflit. »23
- Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
Lors de la Première Guerre mondiale, sauf quelques rares exceptions, les intellectuels soutinrent massivement leur propre camp. Chaque belligérant pouvait largement compter sur l'appui des peintres, des poètes, des musiciens qui soutenaient, par des initiatives dans leur domaine, la cause de leur pays24.
Les caricaturistes sont largement mis au travail, pour justifier la guerre et dépeindre le "boucher" et ses atrocités, tandis que d'autres artistes vont travailler, caméra au poing, pour produire des documents édifiants sur les réfugiés, toujours soigneusement pris dans les rangs albanais, et choisis les plus ressemblants possible par rapport au public auquel ils s'adressent, comme ce bel enfant blond au regard nostalgique, censé évoquer les victimes albanaises.
On peut voir ainsi les « manifestes » se développer partout. Le manifeste des cent, pour soutenir la France pendant la Première Guerre mondiale (André Gide, Claude Monet, Claude Debussy, Paul Claudel). Plus récemment le « manifeste des 12 » contre le « nouveau totalitarisme25 » qu’est l’islamisme. Ces « collectifs » d’intellectuels, artistes et hommes notables se mettent donc à légitimer l’action du pouvoir politique en place.
- Notre cause a un caractère sacré
Ce critère peut être pris dans deux sens, soit littéral, soit au sens général. Dans le sens littéral, la guerre se présente comme une croisade dont la volonté est divine. On ne peut donc se soustraire de la volonté de Dieu, mais seulement l’accomplir. Ce discours a repris une grande importance depuis l’arrivée de George W. Bush au pouvoir. Ainsi la guerre en Irak s’est manifestée comme une croisade contre « l’Axe du Mal » une lutte du « bien » contre le « mal ». Il était de notre devoir de « donner » la démocratie à l’Irak, la démocratie étant un don issu tout droit de la volonté divine. Ainsi faire la guerre, c’est réaliser la volonté divine. Des choix politiques prennent un caractère biblique qui efface toute réalité sociale et économique. Les références à Dieu ont toujours été nombreuses (In God We Trust, God Save the Queen, Gott mit Uns, …) et servent à légitimer sans appel les actions du souverain.
- Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres
Ce dernier principe est le corollaire de tous les précédents, toute personne mettant en doute un seul des principes énoncés ci-dessus est forcément un collaborateur de l’ennemi. Ainsi, la vision médiatique se limite aux deux camps cités ci-dessus. Le camp du bien, de la volonté divine, et celui du mal, des dictateurs. Ainsi, on est « pour ou contre » le mal. En ce sens, les opposants à la guerre du Kosovo se sont vu traiter dans L’Évènement du 29 avril au 5 mai 1999 de « complices de Milosevic ». L’hebdomadaire va même jusqu'à systématiser plusieurs « familles ». On retrouve ainsi la famille « anti-américaine » avec Pierre Bourdieu, Régis Debray, Serge Halimi, Noam Chomsky ou Harold Pinter. La famille « pacifiste intégriste » avec Gisèle Halimi, Renaud, l’abbé Pierre… et leur organes respectifs, le Monde diplomatique, le PCF.
Il devient donc impossible de faire surgir une opinion dissidente sans subir un lynchage médiatique. Le pluralisme des avis n’existe plus, il est réduit à néant, toute opposition au gouvernement est réduite au silence et au discrédit par des arguments bidon.
Ce même argumentaire a été de nouveau en application lors de la guerre en Irak, même si, l’opinion internationale étant plus partagée, cela s'est moins ressenti. Mais être contre la guerre, c’est être pour Saddam Hussein… Le même schéma fut appliqué dans ce tout autre contexte qu’était le référendum sur la constitution européenne : « être contre la constitution, c’est être contre l’Europe ! »