Bonjour,
Avez-vous vu une fois un Beth Hamidrach, c'est-à-dire une maison juive d’étude biblique, une Yeshiva. Qu’y trouve-t-on ? Tout le contraire du silence monastique voué à la prière mais bel et bien désordre, brouhaha, allées et venues incessantes, car le silence n’y est pas de règle !
Sur les tables souvent mal alignées foisonnent les livres de la Thora, du Talmud, de Maïmonide (un très important philosophe et commentateur juif du moyen âge), du Choulban Aroukh (code de la loi juive) et d’autres.
Les étudiants, généralement l’un en face de l’autre, assis debout un genou sur la chaise, sont penchés sur les textes, ils lisent à voix haute, feuillettent avec fébrilité les pages des commentaires pris et remis rapidement dans les rayons de la bibliothèque. Cette effervescence est permanente, il y résonne toujours le bruissement ininterrompu de l’étude
Dans l’interprétation, ces étudiants sont rarement d’accord entre eux ! Et un rabbin te dira : HEUREUSEMENT ! Je sais cela étonne au premier abord
Cette attitude est révélatrice de pensée juive et de ses rapports avec Dieu, elle traduit précisément son refus d’idolâtrie, c'est-à-dire tout ce qui fixerait une fois pour toutes le sens donné au Dieu unique.
Pour les juifs, Dieu n’existera comme être fini pour les hommes que si ceux-ci en font un Etre vivant à travers l’interprétation et non une idole figée. Comme ils disent : « paroles des uns et paroles des autres, paroles du Dieu vivant ». C'est-à-dire que les paroles des uns et des autres font des paroles de Dieu des paroles d’un dieu vivant alors que, au contraire, si on reste à la parole unique, si on dit « Dieu est ceci », on assiste selon les juifs à la mort de Dieu, on l’enferme dans une compréhension unique. Ce fut la vocation du Talmud que de faire « éclater » la Parole unique de la révélation pour rendre ou garder à Dieu son statut d’infini. Aux yeux des chrétiens il est vrai qu'il leur semble que les juifs se soient perdus dans leurs commentaires.
Les juifs sont contre la pensée unique. Ils ont le souci de préserver la liberté de chacun de réagir et de s’exprimer à sa manière par rapport au texte, ils sont anti-dogmatiques. C’est seulement quand la révélation, le texte, est interprétée à l’infini par tous les sujets qui s’expriment que pour eux nous restons dans l’ordre de l’infini et non pas celui de l’idolâtrie. Le judaïsme préfère le conflit des interprétations à la pensée unique.
Car il faut le rappeler pour les juifs, dans un sens, Dieu est un Texte, Dieu est la Thora. Les juifs connaissent cette phrase « Dieu et la Thora sont UN »
Tout se passe comme si l’infini -Dieu- passait dans notre monde fini et devenait ainsi lui-même fini, limité, un texte, un livre. D’où leur impératif de faire « éclater » la parole, le texte du livre de la Thora, en lui rendant son caractère infini pour que Dieu reste infini. Les juifs ont voulu rendre à Dieu son caractère infini en favorisant la confrontation des interprétations pour ne pas figer Dieu dans une parole unique.
A la question, est-ce que les juifs croient en un Dieu unique ? le rabbin Marc Alain Ouaknin, avait répondu une réponse qui paraît incroyable mais qu’il faut bien sûr interpréter comme il l’a dit : « dans une certaine mesure non ! »
Il explique : « La prière juive contient un texte intéressant qui dit : Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob… » Pourquoi ne pas dire « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » mais répéter trois fois « Dieu de… » ? En fin de compte c’est le même Dieu ! Hé bien parce que la perception que chacun a de Dieu est différente, la perception de Dieu d’Abraham n’est pas celle d’Isaac ou de Jacob même si leurs bases sont communes et qu’ils croient en le même Dieu. Pour les juifs, ce Dieu pluriel donne le Dieu vivant.
C’est même par cette pluralité que ce rabbin explique la grande profession de foi juive :
Deutéronome 6 : 4 «Schema Israël Adonaï eloheynou Adonaï éhad»
« Ecoute Israël, Nos Dieux sont UN Dieu »
Pour ce rabbin, « nos dieux » ici pourraient désigner la pluralité exprimée par le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, la pluralité de leur perception de Dieu, avec le fait qu’en fait c’est le même Dieu, l’unique Dieu Yahweh, Adonaï.
En fait plutôt que de parler de Dieu unique, Marc-Alain Ouaknin dit : « le même Dieu mais à la mesure de chacun ».
Certains non-juifs pensent que la pluralité de pensée induit forcément une pluralité d'interprétations contradictoires...
Prenons des exemples. Prenons par exemple des historiens qui racontent de façon "scientifique" mais différentes une époque de l'histoire... Alors quoi ? L'un a forcément raison, et l'autre torts ou les deux torts ? Mais non, ils peuvent avoir tous les deux raison mais raconter l'histoire sur des plans différents, avec des perceptiosn différentes et des sensibilités différentes et être dans le vrai tous les deux !
Chez les juifs, il ne s'agit pas de contredire l'autre, mais de donner des inteprétations dans des plans différents.
autre approche : un passage qui raconte pourtant un fait historique bien passé, celui qui le lit de nos jours le lira sans doute dans le Tanakh des fois comme si cela se passait de nos jours ! Et cela se produit à chaque époque de l'histoire, chaque individu transportera le message d'un fait historique à son époque, et comme les époques changent et la perception du message évolue ! Oh, non, il ne s'agit pas de tomber dans le piège d'adapter la parole au monde présent, attention ! Non, il ne s'agit pas de çà ! Mais comprenez ! N'est-il pas arrivé à tous d'ouvir l'ancien testament et lire un passage en y ressentant comme une réponse pour un problème personnel ? Or nous avons chacun nos problèmes différents, nos vies. Alors forcément si moi je vois dans tel passage une réponse pour un de mes problèmes, si toi tu vois dans le même passage une réponse pour tes problèmes forcément différents des miens du fait de nos vies différentes, alors nos perceptions, "interprétations" du passage diffèrent mais ne se contredisent pas pour autant.
Ce n'est qu'un première approche.
En fait, chez les juifs, il ne s'agit pas de donner une interprétation puis d'en donner une autre qui contredit, mais il s'agit de donner des interprétations sur des plans différents, chacun selon sa perception de Dieu, sa sensibilité.
Vous devriez alors mieux comprendre "parole des uns paroles des autres, paroles du Dieu vivant".
Les diférendes d'interprétations sont parfois complémetaires et relèvent les différents plans de lectures.
Je le répète, pour les juifs "Dieu et la Thora sont UN".
Alors puisque le Dieu infini est comme passé dans notre monde à travers quelque chose de fini, limité, un livre, un texte, alors par la multitude des interprétations ils redonnent à Dieu son caractère infini.
Lorsque je disais que de jeunes juifs étaient souvent pas d'accord entre eux, c'est en raison de leurs jeunes âges, n'ayant pas encore eux même saisi l'essence de la pluralité d'interprétations, n'ayant pas encore compris qu'une interprétation n'en prévaut pas forcément une autre, mais que toutes les deux se complètent et sont vraies parce que soit elles expriment la même chose différemment, soit elles interprêtent sur des plans différents.
Cordialement,
Dauphin
