Bonjour Vic,
Je pense que les mots ne se contentent pas de décrire l’environnement et la pensée, ils enrichissent et biaisent notre interprétation du monde en « l’habillant » d’une dimension sémantique nécessairement limitée, et orientée. En ce sens, les mots sont davantage appropriatifs que descriptifs
(1). Ils nous permettent d’extraire puis de nous approprier une logique
(2), des objectifs, des causes, des conséquences… en en mot, de conceptualiser le réel
(3). Le langage rend notre monde « intelligible »
(4) en offrant aux éléments de réalité, un sens, une place. Mais cet étiquetage du monde, cette catégorisation, bien qu'imparfaite, est nécessaire à l'apprentissage
(5). Je me permets de reprendre un de mes articles :
Noyé dès la naissance sous un flot continu d’informations visuelles, olfactives et sonores, l’enfant va s’efforcer d’établir l’ordre à partir du chaos
(6). Afin de s’éveiller, il va dégager un sens de ces données brutes par un jeu d’association sensoriel et émotionnel. Inconsciemment
(7), il commence déjà à ordonner et à étiqueter ce qu’il perçoit.
L’apprentissage de la langue orale va très tôt conditionner l’enfant à un difficile exercice de formalisation. A chaque objet et action s’associe désormais un ou plusieurs mots. Progressivement, l’enfant se détache de son appropriation subjective et émotive du réel au profit d’une compréhension plus objective et globale. Il apprend à maîtriser et à manipuler des concepts, pour enfin appréhender les notions complexes.
(8)
L’apprentissage de l’écriture va venir renforcer et normaliser son étiquetage du monde. A un objet ne s’associe plus seulement un son, mais des formes graphiques : les lettres. Les linguistes parlent de « signifiant » et de « signifié » pour désigner ces associations arbitraires et conventionnelles entre « mots », et « sens ». Progressivement, l’enfant va ainsi apprendre à développer et à partager certaines normes, afin de se construire une lecture du réel semblable à celle des autres
(9).
Plus que l’apprentissage d’un simple code, la langue va permettre à l’enfant de développer un cadre interprétatif accumulant et structurant ses connaissances. Ce cadre ne se nourrit pas seulement de vocabulaire, mais d’objets plus complexes : Expériences, émotions, logique, valeurs… Au fil des apprentissages, les catégories de la pensée vont ainsi se mettre en place et subir de fréquentes restructurations. Les convergences et divergences des différentes expériences de l’enfant vont participer à la construction d’un « méta-outil » lui permettant d’évoluer de plus en plus efficacement dans le réel
(10).
« Une arborescence cognitive incroyablement complexe définissant des règles hiérarchiques et traçant des ponts sémantiques entre les concepts »
Ces tableaux conceptuels ne cessent d’évoluer et de se complexifier afin d’intégrer toujours plus de nouveaux items. De plus en plus efficientes, les structures mentales perdent cependant en flexibilité avec le temps. Adulte, l’homme est armé d’un bagage interprétatif relativement abouti et stable ; en ce sens, il est moins sujet aux importantes refontes intellectuelles de l’enfance. Ses connaissances lui suffisent pour appréhender pleinement son quotidien. Inconsciemment, les individus vont progressivement délaisser la « souplesse » au profit du « fonctionnel ».
« Il est plus facile d’intégrer les informations dans des catégories existantes que de repenser la structure même de ses connaissances ».
(11)
Confronté à des informations complexes, nouvelles, ou en opposition avec ses représentations, l’homme va chercher à simplifier, déformer et ré-étiqueter les données afin d’interpréter plus simplement. Les individus possèdent des « tables de pensée » différemment riches et flexibles, ce qui provoque de nombreuses incompréhensions et désaccords. Habitués à tout insérer dans de petites cases cognitives, nous produisons amalgames, raccourcis, clichés, et autres bassesses réflexives. En prendre conscience, c’est faire un premier pas vers la tolérance
(12).
Je continuerais bien en parlant des mathématiques, cette tentative d'atteindre un formalisme objectif
(13) qui tient mieux compte de la réalité, mais je pense que ce post est déjà indigeste pour la majorité des lecteurs.
Amicalement,