Lutter contre les rumeurs : mission impossible ?
Posté : 03 mai16, 20:31
Lutter contre les rumeurs : mission impossible ?
ARTICLE par Philippe ALDRIN • Publié le 27.04.2016 • Mis à jour le 29.04.2016
La rumeur ne cesse de muter, posant de nouvelles questions à la société. Pour saisir ses formes actuelles, il faut décrypter les logiques sociales de ce dispositif de communication singulier et son rôle dans la dérégulation de l’information sur Internet et les réseaux sociaux.
Des attentats du 11-septembre jusqu’aux actes terroristes perpétrés récemment sur les différents continents, Internet et les réseaux sociaux ont assigné une actualité tragique à la réflexion sur la rumeur, qu’on se plaît encore, paradoxalement, à qualifier de « plus vieux média du monde ». Les connaisseurs de la vaste littérature savante sur le sujet ne s’étonneront ni de cet apparent paradoxe ni de l’acuité des rumeurs en ces temps troublés. En effet, vieux comme le monde social, le phénomène n’en emprunte pas moins sa dynamique aux représentations, aux émotions et aux technologies du temps présent, posant ainsi sans cesse de nouvelles questions aux sociétés.
La recomposition des cultures et des rapports sociaux, les potentialités et les usages des technologies de la communication et les effets de la mondialisation contribuent indéniablement à la transformation des formes de la rumeur, qui s’exprime aujourd’hui à travers des manifestations inédites telles que l’activisme conspirationniste et la propagation instantanée sur les communautés numériques. Si l’on veut saisir la nature de cette transformation, il faut commencer par repenser le cadre d’appréhension spontané du phénomène et rompre avec le prisme psychopathologique dominant.
Toléré en tant que pratique anodine, le colportage de rumeurs peut être jugé déviant par les tenants de l’ordre établi quand il devient l’outil stratégique de groupes organisés et dissidents Plus qu’une croyance collective irrationnelle, la rumeur doit être définie comme un dispositif communicationnel singulier au sein de l’économie générale de l’information. Chaque société historique possède un système de régulation de l’information plus ou moins sophistiqué, et plus ou moins discipliné. L’une des logiques structurantes de ce système est que les détenteurs de l’autorité publique, les professionnels agréés de l’information et les producteurs légitimes du savoir y revendiquent conjointement le monopole de certification des informations (Veyne, 1983). Mais, face à ces instances légitimes de la vérité – et, plus généralement, à la prétention de « véridiction » du pouvoir dirait Foucault – se maintiennent toujours des dispositifs alternatifs de communication, dont la rumeur est un instrument privilégié. Toléré en tant que pratique anodine et spontanée, le colportage de rumeurs peut être jugé déviant, voire déviationniste, par les tenants de l’ordre établi (et de l’ordre des vérités établies) quand il devient l’outil stratégique de groupes organisés et dissidents.
Pour toutes ces raisons, la sémantique de la rumeur est marquée par la clandestinité. D’abord, parce que sa caractéristique première est d’être une contre-version à la version officielle des événements, de l’histoire, de la science, etc. Ensuite, parce qu’elle est surveillée (Bigo et al., 2009) et parfois disqualifiée par les tenants du système légitime de production de l’information. Cette clandestinité imprègne toute l’économie sociale de la rumeur : son mode d’énonciation et de diffusion (partage d’une confidence sur un secret, révélation d’un scandale caché), les dispositions relationnelles de son réseau d’affidés (cercle des initiés au secret), mais aussi sa grammaire narrative (registre du complot, de la manipulation des élites).
Comprendre les formes immédiatement contemporaines de la rumeur suppose donc de mettre en regard, d’un côté, les caractéristiques du système actuel de production de l’information et, de l’autre, les logiques du recours au dispositif communicationnel alternatif et clandestin de la rumeur. En commençant, évidemment, par quelques préalables utiles sur notre état de savoir sur les invariants du phénomène.
http://www.inaglobal.fr/sciences-social ... sible-8950
ARTICLE par Philippe ALDRIN • Publié le 27.04.2016 • Mis à jour le 29.04.2016
La rumeur ne cesse de muter, posant de nouvelles questions à la société. Pour saisir ses formes actuelles, il faut décrypter les logiques sociales de ce dispositif de communication singulier et son rôle dans la dérégulation de l’information sur Internet et les réseaux sociaux.
Des attentats du 11-septembre jusqu’aux actes terroristes perpétrés récemment sur les différents continents, Internet et les réseaux sociaux ont assigné une actualité tragique à la réflexion sur la rumeur, qu’on se plaît encore, paradoxalement, à qualifier de « plus vieux média du monde ». Les connaisseurs de la vaste littérature savante sur le sujet ne s’étonneront ni de cet apparent paradoxe ni de l’acuité des rumeurs en ces temps troublés. En effet, vieux comme le monde social, le phénomène n’en emprunte pas moins sa dynamique aux représentations, aux émotions et aux technologies du temps présent, posant ainsi sans cesse de nouvelles questions aux sociétés.
La recomposition des cultures et des rapports sociaux, les potentialités et les usages des technologies de la communication et les effets de la mondialisation contribuent indéniablement à la transformation des formes de la rumeur, qui s’exprime aujourd’hui à travers des manifestations inédites telles que l’activisme conspirationniste et la propagation instantanée sur les communautés numériques. Si l’on veut saisir la nature de cette transformation, il faut commencer par repenser le cadre d’appréhension spontané du phénomène et rompre avec le prisme psychopathologique dominant.
Toléré en tant que pratique anodine, le colportage de rumeurs peut être jugé déviant par les tenants de l’ordre établi quand il devient l’outil stratégique de groupes organisés et dissidents Plus qu’une croyance collective irrationnelle, la rumeur doit être définie comme un dispositif communicationnel singulier au sein de l’économie générale de l’information. Chaque société historique possède un système de régulation de l’information plus ou moins sophistiqué, et plus ou moins discipliné. L’une des logiques structurantes de ce système est que les détenteurs de l’autorité publique, les professionnels agréés de l’information et les producteurs légitimes du savoir y revendiquent conjointement le monopole de certification des informations (Veyne, 1983). Mais, face à ces instances légitimes de la vérité – et, plus généralement, à la prétention de « véridiction » du pouvoir dirait Foucault – se maintiennent toujours des dispositifs alternatifs de communication, dont la rumeur est un instrument privilégié. Toléré en tant que pratique anodine et spontanée, le colportage de rumeurs peut être jugé déviant, voire déviationniste, par les tenants de l’ordre établi (et de l’ordre des vérités établies) quand il devient l’outil stratégique de groupes organisés et dissidents.
Pour toutes ces raisons, la sémantique de la rumeur est marquée par la clandestinité. D’abord, parce que sa caractéristique première est d’être une contre-version à la version officielle des événements, de l’histoire, de la science, etc. Ensuite, parce qu’elle est surveillée (Bigo et al., 2009) et parfois disqualifiée par les tenants du système légitime de production de l’information. Cette clandestinité imprègne toute l’économie sociale de la rumeur : son mode d’énonciation et de diffusion (partage d’une confidence sur un secret, révélation d’un scandale caché), les dispositions relationnelles de son réseau d’affidés (cercle des initiés au secret), mais aussi sa grammaire narrative (registre du complot, de la manipulation des élites).
Comprendre les formes immédiatement contemporaines de la rumeur suppose donc de mettre en regard, d’un côté, les caractéristiques du système actuel de production de l’information et, de l’autre, les logiques du recours au dispositif communicationnel alternatif et clandestin de la rumeur. En commençant, évidemment, par quelques préalables utiles sur notre état de savoir sur les invariants du phénomène.
http://www.inaglobal.fr/sciences-social ... sible-8950