Druzisme
Fondée au Caire au début du Xème siècle par le jeune calife fatimide d’Egypte al-Hâkim, la foi druze s’est répandue au Moyen-Orient par les soins d’un prédicateur qui lui a donné son nom, al-Darazi. Les Druzes eux-mêmes s’appellent aussi « Al-Mouahhidoun », les « Unificateurs », car leur doctrine syncrétique rassemble des éléments d’Islam, de Christianisme et de philosophies grecque et hindoue.
Après la disparition de son fondateur, la secte, persécutée, disparut d’Égypte mais continua son prosélytisme en Syrie. En 1043, la « porte de l’adhésion » fut cependant fermée et aucune nouvelle conversion ne fut plus acceptée, ceci afin d’éviter que celle d’un adepte d’une autre religion n’attire sur eux la vengeance de leurs voisins. Les Druzes formèrent dès lors une communauté fermée, repliée dans les régions montagneuses du Mont Hermon, du Golan, de la Montagne Libanaise, de l’Anti-Liban et de la haute Galilée.
Les Druzes émergèrent en tant que force politique dominante dans la montagne avec les Émirs qui présidèrent à leur destinée à partir du XIIème siècle. Ils donnèrent au Liban celui qui est considéré aujourd’hui comme son premier homme d’État, en la personne de Fakhreddin II (1590-1635), dont le palais se dresse au coeur du Chouf, à Deir-el-Qamar, village aujourd’hui majoritairement chrétien. Fakhreddin II étendit, en effet, son autorité sur ce qui est aujourd’hui le Liban ainsi que sur la Galilée, et réussit à préserver l’autonomie de l’émirat ainsi constitué jusqu’à ce que le pouvoir ottoman mette fin brutalement à son règne. Réputé pour sa tolérance, il encouragea également les chrétiens maronites à s’installer dans le Metn et le Chouf. Les choses se gâtèrent avec l’avènement de l’Émir Bechir II (1788-1840), chrétien maronite, qui pour asseoir son pouvoir joua des rivalités entre les grandes familles Druzes en s’appuyant sur sa propre communauté. Ce fut le début de troubles confessionnels qui allèrent crescendo jusqu’à la guerre civile de 1860. Beaucoup de Druzes prirent alors le chemin de l’exil pour s’installer au sud de la Syrie, dans le Djebel el-Arab, plus connu aujourd’hui sous le nom de Djebel Druze, où un petit nombre de leurs coreligionnaires les avaient devancés au cours des siècles. Dans cette région, ils furent en rébellion armée contre l’occupant français de 1922, année du début officiel du mandat de la S.D.N. sur la Syrie, à 1926, année de la prise de Soueida, capitale du Djebel, par les troupes françaises.
Les Druzes seraient aujourd’hui 350.000 en Syrie, environ 300.000 au Liban, 60.000 en Israël et 3 à 5.000 en Jordanie.
Les Druzes forment une communauté religieuse (certains parleront de secte) issue du chiisme, présente en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Palestine. Bien qu’il soit difficile d’avoir des données chiffrées fiables, on considère que la population druze représente environ 7%-8% de la population libanaise (environ 250000 personnes) et 3%-4% de la population syrienne (environ 450000 personnes).
C’est une communauté créée par deux ismaëliens (branche du chiisme) un persan Hamza et un turc ad-Darazî (dont le nom est à l’origine du terme « druze ») vizir du calife fatimide d’Égypte Al-Hakim (996-1021). Al-Hakim prônait une religion universelle, monothéiste, héritière de toutes les philosophies et croyances précédentes. Il se proclamait incarnation de Dieu et à sa mort ses proches confirmèrent sa nature divine. C’est ainsi qu’ils fondèrent la secte druze.
C’est une religion hermétique et non démocratique. En effet, la doctrine est secrète et les textes sacrés (les livres de la Sagesse) ne sont accessibles qu’à une élite initiée pour éviter que le message soit dévoyé. C’est une communauté fermée car l’adhésion à la secte n’a été ouverte que de 1017 à 1043, excluant depuis en principe toute conversion ou apostasie. Les Druzes croient en la réincarnation des âmes au sein de leur propre communauté. Ses vies successives permettent au croyant de gagner son salut et d’attendre le retour du messie Al-Hakim à la fin des temps. Religion à l’origine musulmane, elle rejette la charia et ses obligations rituelles, elle n’a ni liturgie, ni lieux spécifiques de culte (seuls les initiés, les sages se réunissent tous les jeudis dans les majlis, « les assemblées » pour prier et méditer). Croyants et visiteurs peuvent aussi se recueillir dans des sanctuaires, où reposent des personnes initiées ou illustres de la communauté. Et on peut suivre une initiation pour accéder à la connaissance de la doctrine.
D’abord installés à Hama, Alep et Damas, les Druzes se réfugient dès le 12° siècle dans le Mont-Liban pour échapper aux persécutions du pouvoir officiel et de l’islam orthodoxe. Et à partir du 14° siècle, avec la dynastie Maa’n, ils fondent l’émirat du Liban et connaissent leur apogée sous le règne de Fakhreddine II, le « prince druze du Liban » ( 1590-1635). Il joua un rôle important pour créer un état indépendant, moderne, prospère et en paix au coeur de l’empire ottoman. Sous son règne, les Druzes et les Maronites du Mont-Liban vécurent dans une atmosphère de tolérance mutuelle. En 1635, le pouvoir ottoman, irrité par ses succès, le condamne à mort.
Sa disparition annonce une longue période de déclin de la communauté druze, de dissensions internes et de conflits très violents avec les maronites, attisés notamment par l’émir Bechir II (1788-1850),
druze maronite converti, par les ottomans et par les puissances étrangères.
Guerre civile, massacres et flambées de violence ne cessent qu’à partir de 1860 quand une nouvelle administration est mise en place par l’empire ottoman, confirmant la prédominance politique des Maronites dans la région mais acceptée malgré tout par les Druzes.
A partir de l’indépendance du Liban en 1943, la communauté druze, bien que minoritaire, joue un rôle politique plus important grâce à son chef Kamal Joumblatt qui fonde le Parti Socialiste Progressiste en 1949 pour tenter de dépasser les clivages communautaires.
Soutenant la résistance palestinienne pendant la guerre civile mais s’opposant à l’intervention militaire syrienne au Liban, Kamal Joumblatt est assassiné en 1977. Et en 1983, c’est la deuxième guerre civile entre les Druzes et les Chrétiens après le retrait des Israéliens du Mont-Liban: ce sont cette fois les Chrétiens qui sont obligés de fuir leurs villages pour échapper aux massacres. Les Druzes sortent cependant très affaiblis de ce conflit malgré leur victoire militaire. Et la région du Chouf a souffert du départ massif des Maronites notamment sur le plan économique.
Aujourd’hui, formant une communauté minoritaire , encore relativement fermée, quasi unie derrière Walid Joumblatt, les Druzes tentent de défendre l’unité et l’indépendance du Liban au sein des forces du 14 mars.
Vous pouvez lire « Les Druzes, vivre avec l’avenir » de Abbas El Halabi aux éditions dar An-Nahar
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Druzisme
Druzisme
Ecrit le 11 juil.16, 06:12Le premier forum tunisien qui a inspiré les forums de religion Recherche "les religions font peu de bien et beaucoup de mal" Voltaire
Re: Druzisme
Ecrit le 12 juil.16, 07:11Les minorités religieuses du Moyen-Orient sont à la fois ancestrales, fascinantes, et menacées. L’exode des Chrétiens d’Irak, mal considérés par les islamistes sunnites comme par les chiites identitaires au pouvoir, est pleinement avéré. Le passage de Daech est un désastre pour pratiquement toutes les confessions, et même des sunnites qui sont persécutés ou tués pour le moindre écart. Les Druzes, l’une des minorités qui vit en Irak, Syrie, et Israël, vit dans un état de tension. Trop peu nombreux pour s’imposer, les Druzes doivent toujours composer. En Israël, encore moins nombreux qu’ailleurs, ils ont particulièrement bien réussi à s’israélianiser. Pour des raisons de commodité de nos déplacements, Décalage Diplo commence sa série sur les minorités moyen-orientales en Galilée. D’autres reportages suivront, dès que logistiquement
https://youtu.be/2YxrjLZEri0
Les druzes d'Israël plus nationalistes que les juifs
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L'assassinat en Israël d'un sous-officier druze, en février, par un officier palestinien de Cisjordanie, a remis au devant de l'actualité cette communauté discrète, très impliquée dans la vie israélienne.
La compréhension du conflit israélo-palestinien passe par la connaissance des populations qui composent l'Etat d'Israël. Les minorités sont importantes et jouent souvent un rôle primordial au sein de la communauté israélienne. Nous commencerons cette enquête par l'une des minorités musulmanes: les Druzes.
Les Druzes, professant une religion musulmane hétérodoxe, sont installés au sud du Liban (350.000), au sud de la Syrie (700.000) dans le djebel Druze et au nord d'Israël en Galilée (120.000). Leur religion, fondée sur l'initiation philosophique, est considérée comme une branche ismaélienne du courant musulman du chiisme. Mais cette secte, ayant abandonné certains préceptes islamiques, s'est transformée en religion à part en se distinguant des autres musulmans avec lesquels les relations sont souvent houleuses. Leur doctrine est dérivée de l'ismaélisme et constitue une synthèse du mysticisme musulman et de la pensée coranique. Courant monothéiste par excellence, il insiste sur l'unité absolue de Dieu.
Religion discrète
La religion, qui ne comporte ni liturgie et ni lieux de culte, reste très secrète et n'est révélée aux fidèles qu'après divers degrés d'initiation. Cette discrétion était imposée en raison des exactions qu'on subies les membres de cette communauté de la part des autres musulmans et même des chrétiens. De simples locaux abritent les lieux de prière, sans minaret, sans fioritures ni décorations murales et il n'existe aucune hiérarchie religieuse parmi les imams. Les Druzes, rejetant la Charia et les obligations rituelles qui en découlent comme le jeûn du ramadan, sont devenus suspects à la fois aux yeux des chiites et à ceux des sunnites. Bien que ces petites communautés soient disséminées autour de plusieurs frontières, elles représentent une société écoutée par les gouvernements dont ils dépendent. Leur propension à la révolte et leur esprit d'indépendance leur permet de constituer un groupe de pression efficace.
L'assassinat en Israël d'un sous-officier druze, le 10 février, dans un attentat perpétré au couteau par un officier palestinien de Cisjordanie, a remis au devant de l'actualité cette communauté discrète, très impliquée dans la vie israélienne. Le chef du village druze de la victime a été éprouvé par la mort de l'un des siens, mais cela n'atteint en rien ses convictions sur la mission confiée à toute sa communauté. Il nous a déclaré sans aucune ambigüité que «notre village a malheureusement donné un grand nombre de ses fils pour la sécurité de l'Etat d'Israël. Même s'il y a parfois chez nous des controverses avec les autorités, en raison de certaines discriminations, nous continuerons à nous engager dans les rangs de Tsahal et à apporter notre contribution à l'Etat dans lequel nous vivons et nous prions pour sa pérennité».
Nous voulions comprendre l'état d'esprit de ces druzes dont le nationalisme pro-israélien est souvent exacerbé et comment ils existaient comme minorité dans le paysage d'Israël. Tsahal nous a autorisés à interroger, en exclusivité, le lieutenant colonel druze Safwan, 41 ans, qui a accepté de répondre à nos questions en toute indépendance. C'est une démarche rare car l'armée impose toujours le secret à ses hommes et elle n'aime pas que les journalistes s'infiltrent dans le quotidien de ses bases. Les druzes, qui bénéficient de la nationalité israélienne, sont admis dans l'armée pour servir au titre du service militaire légal ou en tant que soldats de carrière. Safwan m'a reçu dans sa base de Galilée qu'il commande en temps de paix tout en étant à la tête d'un régiment de réservistes en période de guerre.
Slate.fr: Votre religion est peu connue en Europe...
Safwan: Les druzes ont fait scission de l'islam en 1017 à partir d'Egypte pour se disperser ensuite dans différents pays car ils ont été alors persécutés. Ils ont vécu dans une société fermée, réservée uniquement aux druzes, surtout pour des raisons de sécurité. Notre religion se distingue des autres parce que les conversions ne sont pas admises et que la monogamie est exigée. L'absence de prosélytisme nous rend pacifiques car nous voulons rester dans notre milieu sans chercher à faire venir à nous de nouveaux adeptes. Nos religieux ne peuvent le devenir qu'après une longue période de probation, sorte d'examen, et après une enquête approfondie sur leur passé qui doit être irréprochable. A ce moment seulement, ils reçoivent les clefs secrètes de nos dogmes et de nos pratiques.
Comment expliquer votre nationalisme qui étonne en Europe? A peine 10% des druzes échappent au service au service militaire alors que ce pourcentage atteint 30% chez les juifs.
Les druzes sont installés dans plusieurs autres pays du Proche-Orient. Notre religion nous impose d'être fidèles, loyaux et reconnaissants envers le pays qui nous héberge. La règle est de ne pas couper la branche sur laquelle nous sommes et pour cela, nous devons nous intégrer sans cependant nous assimiler. A l'opposé des Kurdes, nous n'avons aucune aspiration à créer un Etat druze, donc nous ne risquons pas de susciter un quelconque conflit avec nos hôtes. En tant que minorité dans un Etat démocratique, nous tenons à être forts et notre doctrine nous impose de donner beaucoup de nous-mêmes à notre pays. C'est ce qui marque notre lien à Israël. De même qu'un druze syrien est attaché à son pays, moi je suis loyal vis-à-vis d'Israël. Nous sommes égaux en droit et en devoir. Mais sans fausse modestie, je tiens à dire que les druzes sont des gens courageux qui défendent les frontières de l'Etat qui les héberge. A titre d'exemple, je vous rappelle que les druzes ont éjecté les Français de Syrie en 1925 à la suite d'une révolution parce qu'ils défendaient l'intégrité de leur territoire. C'est vrai, nous sommes très attachés à la notion de territoire et si vous nous en donnez un, nous le protègerons quoi qu'il nous en coûte et surtout, nous le respecterons sans faire de mal à personne. Cela explique pourquoi les druzes s'engagent militairement pour défendre leur pays qui peut être la Syrie ou Israël. Cela explique aussi pourquoi les druzes du Golan, annexé par les Israéliens, restent attachés à leur appartenance à la Syrie, sans aucune motivation politique.
Quelles sont vos relations avec les druzes des autres pays?
Nous avons des relations avec les druzes de Syrie et du Liban parce que nous avons des liens familiaux. Nos déplacements étaient nombreux et les échanges de populations sur la base individuelle ont toujours fonctionné avant la fermeture des frontières en 1948. A titre personnel d'ailleurs, je m'efforce de reconstituer l'origine de mes racines très éparpillées. Nous sommes cependant autorisés, tous les ans, à rendre visite à nos familles de l'étranger car le maintien de ces relations est primordial pour nous. Nous espérons fortement être un pont menant à la paix entre les peuples qui se combattent, mais les druzes ont leurs propres préoccupations nationales selon l'endroit où ils vivent. Il y a bien sûr des écarts dans nos niveaux de vie mais cela dépend essentiellement de la situation économique nationale.
Y a-t-il une discrimination perceptible touchant votre communauté?
Il n'y a aucune discrimination car il n'est pas marqué sur mon front que je suis druze et mon physique ressemble à celui de l'Israélien moyen. Regardez la photo de ma femme, elle ressemble à une Italienne. Depuis la création de l'Etat, beaucoup de changements ont été opérés pour contrer la différence. En particulier, en 1987 quand je me suis engagé, j'ai été incorporé dans un régiment réservé aux druzes. Aujourd'hui, cela ne se fait plus. Les conscrits druzes peuvent être intégrés à tout régiment sans distinction, selon la spécialité qu'ils choisissent: fantassin, tankiste, pilote ou marin. Je dirais plutôt que l'armée agit comme un modèle pour nous et pour l'Etat. Nous n'avons pas à nous plaindre de notre situation durant ces soixante années d'existence du pays. Le temps a fait les choses et, si je me réfère aux Etats-Unis, il leur a fallu plus de deux siècles pour choisir un président noir. Nous, nous avons déjà commencé puisque nous avons à présent des généraux.
Il y a eu pourtant des manifestations druzes récemment.
Les manifestations sont légales et sont le reflet de notre démocratie. Les étudiants et les religieux juifs manifestent aussi et il est normal que chaque catégorie, les druzes inclus, cherche à défendre ses intérêts particuliers. La recherche de nouveaux avantages est un droit et nous en usons sans que cela soit interprété comme une attaque contre l'Etat mais contre une politique spécifique du gouvernement. Nous sommes très démocrates et nous avons appris à utiliser les outils de la démocratie pour défendre nos intérêts catégoriels. Mais, dans ces manifestations, il s'agissait essentiellement de revendications locales.
On vous accuse en Europe d'être les «harkis» d'Israël chargés de faire le sale travail...
Je m'insurge en faux contre cette affirmation, d'autant plus que je connais le problème qui a fait l'objet de ma thèse de maîtrise de sciences politiques qui portait sur la guerre d'Algérie.
Contrairement aux harkis qui étaient des simples soldats, sans nationalité française, souvent enrôlés de force et commandés par des officiers français, moi je suis un colonel druze qui commande des Israéliens, juifs et non juifs sans distinction. Les druzes sont à tous les échelons militaires, du soldat au général. Nous faisons certes aussi du sale boulot mais pas plus que les autres militaires.
Votre connaissance parfaite de la langue arabe vous porte à effectuer des missions que les juifs ne peuvent pas effectuer.
C'est une fausse idée. Il y a beaucoup de juifs en provenance des pays orientaux qui parlent parfaitement l'arabe. J'ai même connu un juif qui a vécu un an dans notre village, dans une immersion totale, pour se familiariser avec notre langue. Les missions sont distribuées en fonction des critères personnels du militaire et non pas de son appartenance à telle ou telle communauté. Ce n'est pas la connaissance de l'arabe qui compte, mais la capacité à réaliser des missions spécifiques et tendues. Je ne peux pas accepter la critique disant que nous faisons un sale travail sous prétexte que nous parlons la langue des Palestiniens.
Vous êtes pourtant mal perçus quand vous vous déplacez dans les villages arabes.
Il y a beaucoup d'idées fausses qui circulent à savoir, par exemple, que la police des frontières est uniquement constituée de druzes parce qu'ils parlent l'arabe alors qu'elle comporte aussi des Russes. En revanche, je comprends la situation du jeune arabe qui se présente aux frontières, face à un soldat qui parle sa langue. Il est naturellement en droit de se poser la question de savoir pourquoi celui-ci a choisi, selon lui, le mauvais bord. Les Palestiniens sont des étrangers pour nous et comme je vous l'ai expliqué, nous avons à défendre nos intérêts et nos options nationales. Je fais encore partie d'une génération qui parle avec un accent mais mes enfants ont un langage qui ne se distingue plus des juifs parce qu'ils étudient dans les écoles israéliennes bien que nous ayons dans nos villages nos propres écoles qui enseignent les deux langues. Nos enfants sont complètement assimilés dans le pays; leur tenue ressemble à toutes les tenues des jeunes occidentaux mais, à l'exception des religieuses en forte minorité qui portent un petit voile, les autres préfèrent le jeans.
Quelles sont les activités des druzes en Israël en dehors de l'armée?
Ma femme a fait, dans le cadre de ses études, une enquête dans ce domaine. Dans les années 1960, les druzes étaient essentiellement des agriculteurs et à 5% des militaires. Aujourd'hui, 30% des druzes travaillent dans la défense nationale, 30% dans les professions libérales et le reste dans les services et l'agriculture.
Ces chiffres sont-ils dus à une discrimination positive?
Nous refusons toute discrimination positive car nous voulons atteindre nos postes en fonction de nos compétences et non par un piston ou par un coup de pouce de la loi. C'est plus sain pour la compétition. Si nous ne sommes pas capables d'être médecins, aucun intérêt de nous faciliter la tâche qui fera de nous de mauvais professionnels. A la rigueur, l'éducation nationale peut aider financièrement certains villages moins développés pour favoriser les études des enfants mais, en aucun cas, nous ne voulons de diplômes au rabais.
Et votre représentation dans les institutions politiques et civiles?
Nous avons trois druzes sur 120 députés soit 2,5% ; or nous représentons 1,5% de la population totale donc, de ce point de vue, nous n'avons pas à nous plaindre. Israël est un pays qui est aussi bien le nôtre que celui des juifs. Nous avons des consuls et des ambassadeurs druzes à l'étranger et je vous étonnerais en vous disant que dans mon village, Daliat Hacarmel, des dirigeants ont constitué une agence druze sioniste. Certains voient ici une contradiction car les termes sont antagonistes, mais pas nous.
Pourquoi une proportion importante de druzes s'enrôle dans l'armée?
Notre conviction est que nous voulons et nous devons êtres forts pour nous défendre parce que l'histoire de notre persécution nous l'impose. Par ailleurs, l'officier a une image de marque très importante dans notre communauté; elle symbolise la force. Certes, depuis quelques années, les ingénieurs high-tech ont supplanté les soldats dans cette vision et la carrière militaire est abandonnée au profit des industries. Mais chaque fois qu'un grave danger se fait jour ou qu'une perspective de guerre apparait, la proportion de militaires a tendance à s'élever parce que nous restons vigilants pour notre situation et celle de notre pays. L'officier a un statut social élevé chez nous, il inspire le respect et la fierté de nos parents et il est un gage pour notre sécurité car nous avons toujours à l'esprit que nous pouvons à nouveau être persécutés. L'armée n'est nullement pour nous un lieu de travail, mais un endroit où la réussite personnelle peut s'affirmer au mieux. Ce n'est pas la faible solde des soldats qui peut nous encourager à rejoindre l'armée, mais l'espérance de gravir rapidement l'échelle sociale.
En France, on parle beaucoup du problème de la burqa ou du voile...
En Israël, il n'y a aucune loi qui s'intéresse à la tenue de ses citoyens. Nous subissons comme en occident le développement de la mode moderne, mais cela n'empêche pas les druzes de s'habiller comme ils le veulent, à la rigueur selon nos traditions. Vous avez aussi bien des filles avec des jeans déchirés à la mode que d'autres, religieuses, avec le voile. Seuls les religieux portent la tenue traditionnelle druze et ils représentent à peine 10% de notre population et, comme tous les religieux, ils sont d'ailleurs exemptés d'armée. Il y a une adéquation totale entre la jeunesse occidentale et la jeunesse druze mais nous mettons cependant un bémol car il existe une certaine ligne rouge à ne pas dépasser au sein de notre village. Les mini-jupes et autres tenues dénudées ne font pas partie de notre éducation.
Justement, pourquoi vivez-vous entre vous, dans des villages druzes?
Il faut d'abord rappeler que, dans l'Histoire, nous avons été toujours persécutés par les autres musulmans et cela explique que nos villages ont été construits au sommet de collines ou de montagnes, comme Daliat Hacarmel. Mais, par ailleurs, nous devons nous retrouver et sauvegarder nos traditions. Nous sommes très sensibles au culte de la famille et des parents et nous avons besoin de cette proximité sans pour cela être accusés de créer une ségrégation. Dans nos villages, nous sommes proches de nos lieux de culte et de nos lieux de plaisir et comme vous ne l'ignorez pas, nous tenons à nous marier entre nous. Il est rare qu'un ou une druze n'épouse pas quelqu'un de sa communauté. Ceux qui vont vivre temporairement dans les villes, pour suivre des études ou pour y travailler, reviennent toujours s'installer dans leur village pour y retrouver une protection morale et physique. Mais nous n'oublions jamais d'où nous venons.
Quelle profession souhaitez-vous pour votre fils?
Je lui ai donné les outils pour décider. Je veux d'abord qu'il fasse des études, mais son rêve, et le mien bien sûr, serait de le voir devenir pilote de chasse à l'armée, l'élite de l'élite. Il étudie actuellement à Haïfa comme tous les jeunes, mais je suis convaincu qu'il reviendra vivre à Dalia près de nous. Il est important que vous compreniez notre mentalité. L'intégration est nécessaire, mais elle doit être à double sens. Vous devez d'abord le vouloir mais vous ne pouvez rien faire si l'Etat ne veut pas. Pour que cela intervienne il faut que les deux parties consentent à faire l'effort de le vouloir. C'est une histoire de couple entre l'Etat et vous et cela marche bien pour nous en Israël.
Avez-vous des relations sociales avec les juifs?
Nous avons des femmes et des hommes médecins, ingénieurs, professeurs ou avocats qui sont en contact professionnel avec les autres communautés. Nous nous mêlons à eux, mais nous ne nous marions qu'entre druzes. Les mariages mixtes sont très rares parce que nous n'acceptons pas la conversion et le seul cas éventuel est la conversion d'un druze au judaïsme et pas l'inverse. Le mariage mixte ne facilite pas la vie et il est extrêmement rare car le prix à payer est trop élevé. En revanche, j'ai d'excellentes relations avec mon supérieur juif. Nos familles se fréquentent, nos enfants partent en vacances ensemble. Ils viennent dîner à ma table comme je vais à la leur. La mixité communautaire commence à l'école et se développe pendant le service militaire où nous apprenons à nous connaître. Les filles druzes ne font pas le service militaire, mais elles ont la possibilité de faire un service civil. Elles veulent toutes le faire car elles obtiennent alors une certaine liberté en sortant de chez elles tout en restant attachées fermement aux traditions.
***
Notre entretien s'est terminé avec la photo traditionnelle, mais sans la question difficile des relations entre druzes et arabes. Il ne fallait pas enfreindre ce tabou. Elle a été certes abordée de manière incidente mais, depuis la scission de 1017, la haine alterne avec les menaces et les persécutions faisant de ce problème une plaie non cicatrisée. La réponse aurait été triviale et il n'y avait aucune raison pour ressasser un contentieux qui perdure d'autant plus que les druzes de Palestine ont pris fait et cause pour les Israéliens. Ils refusent par ailleurs la qualification d'arabes qui représente, pour eux, une injure manifeste. Les druzes ne veulent pas être considérés comme des arabes. Mais cet entretien nous a permis de comprendre pourquoi les druzes du Liban ou de Syrie n'ont aucune sympathie pour Israël. En fait, ils n'agissent pas au nom d'une appartenance à une même communauté, comme les juifs par exemple, mais en tant que nationalistes chargés de soutenir leur pays respectif, même si des membres de leurs familles combattent par ailleurs aux côtés des juifs.
Jacques Benillouche
http://www.slate.fr/sites/default/files ... Druzes.jpg
Photo: Des soldats israéliens portant le cercueil du sous-officier druze Ihab Chattib poignardé en Cisjordanie. Gil Cohen Magen / Reuters
Jacques Benillouche
https://youtu.be/2YxrjLZEri0
Les druzes d'Israël plus nationalistes que les juifs
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L'assassinat en Israël d'un sous-officier druze, en février, par un officier palestinien de Cisjordanie, a remis au devant de l'actualité cette communauté discrète, très impliquée dans la vie israélienne.
La compréhension du conflit israélo-palestinien passe par la connaissance des populations qui composent l'Etat d'Israël. Les minorités sont importantes et jouent souvent un rôle primordial au sein de la communauté israélienne. Nous commencerons cette enquête par l'une des minorités musulmanes: les Druzes.
Les Druzes, professant une religion musulmane hétérodoxe, sont installés au sud du Liban (350.000), au sud de la Syrie (700.000) dans le djebel Druze et au nord d'Israël en Galilée (120.000). Leur religion, fondée sur l'initiation philosophique, est considérée comme une branche ismaélienne du courant musulman du chiisme. Mais cette secte, ayant abandonné certains préceptes islamiques, s'est transformée en religion à part en se distinguant des autres musulmans avec lesquels les relations sont souvent houleuses. Leur doctrine est dérivée de l'ismaélisme et constitue une synthèse du mysticisme musulman et de la pensée coranique. Courant monothéiste par excellence, il insiste sur l'unité absolue de Dieu.
Religion discrète
La religion, qui ne comporte ni liturgie et ni lieux de culte, reste très secrète et n'est révélée aux fidèles qu'après divers degrés d'initiation. Cette discrétion était imposée en raison des exactions qu'on subies les membres de cette communauté de la part des autres musulmans et même des chrétiens. De simples locaux abritent les lieux de prière, sans minaret, sans fioritures ni décorations murales et il n'existe aucune hiérarchie religieuse parmi les imams. Les Druzes, rejetant la Charia et les obligations rituelles qui en découlent comme le jeûn du ramadan, sont devenus suspects à la fois aux yeux des chiites et à ceux des sunnites. Bien que ces petites communautés soient disséminées autour de plusieurs frontières, elles représentent une société écoutée par les gouvernements dont ils dépendent. Leur propension à la révolte et leur esprit d'indépendance leur permet de constituer un groupe de pression efficace.
L'assassinat en Israël d'un sous-officier druze, le 10 février, dans un attentat perpétré au couteau par un officier palestinien de Cisjordanie, a remis au devant de l'actualité cette communauté discrète, très impliquée dans la vie israélienne. Le chef du village druze de la victime a été éprouvé par la mort de l'un des siens, mais cela n'atteint en rien ses convictions sur la mission confiée à toute sa communauté. Il nous a déclaré sans aucune ambigüité que «notre village a malheureusement donné un grand nombre de ses fils pour la sécurité de l'Etat d'Israël. Même s'il y a parfois chez nous des controverses avec les autorités, en raison de certaines discriminations, nous continuerons à nous engager dans les rangs de Tsahal et à apporter notre contribution à l'Etat dans lequel nous vivons et nous prions pour sa pérennité».
Nous voulions comprendre l'état d'esprit de ces druzes dont le nationalisme pro-israélien est souvent exacerbé et comment ils existaient comme minorité dans le paysage d'Israël. Tsahal nous a autorisés à interroger, en exclusivité, le lieutenant colonel druze Safwan, 41 ans, qui a accepté de répondre à nos questions en toute indépendance. C'est une démarche rare car l'armée impose toujours le secret à ses hommes et elle n'aime pas que les journalistes s'infiltrent dans le quotidien de ses bases. Les druzes, qui bénéficient de la nationalité israélienne, sont admis dans l'armée pour servir au titre du service militaire légal ou en tant que soldats de carrière. Safwan m'a reçu dans sa base de Galilée qu'il commande en temps de paix tout en étant à la tête d'un régiment de réservistes en période de guerre.
Slate.fr: Votre religion est peu connue en Europe...
Safwan: Les druzes ont fait scission de l'islam en 1017 à partir d'Egypte pour se disperser ensuite dans différents pays car ils ont été alors persécutés. Ils ont vécu dans une société fermée, réservée uniquement aux druzes, surtout pour des raisons de sécurité. Notre religion se distingue des autres parce que les conversions ne sont pas admises et que la monogamie est exigée. L'absence de prosélytisme nous rend pacifiques car nous voulons rester dans notre milieu sans chercher à faire venir à nous de nouveaux adeptes. Nos religieux ne peuvent le devenir qu'après une longue période de probation, sorte d'examen, et après une enquête approfondie sur leur passé qui doit être irréprochable. A ce moment seulement, ils reçoivent les clefs secrètes de nos dogmes et de nos pratiques.
Comment expliquer votre nationalisme qui étonne en Europe? A peine 10% des druzes échappent au service au service militaire alors que ce pourcentage atteint 30% chez les juifs.
Les druzes sont installés dans plusieurs autres pays du Proche-Orient. Notre religion nous impose d'être fidèles, loyaux et reconnaissants envers le pays qui nous héberge. La règle est de ne pas couper la branche sur laquelle nous sommes et pour cela, nous devons nous intégrer sans cependant nous assimiler. A l'opposé des Kurdes, nous n'avons aucune aspiration à créer un Etat druze, donc nous ne risquons pas de susciter un quelconque conflit avec nos hôtes. En tant que minorité dans un Etat démocratique, nous tenons à être forts et notre doctrine nous impose de donner beaucoup de nous-mêmes à notre pays. C'est ce qui marque notre lien à Israël. De même qu'un druze syrien est attaché à son pays, moi je suis loyal vis-à-vis d'Israël. Nous sommes égaux en droit et en devoir. Mais sans fausse modestie, je tiens à dire que les druzes sont des gens courageux qui défendent les frontières de l'Etat qui les héberge. A titre d'exemple, je vous rappelle que les druzes ont éjecté les Français de Syrie en 1925 à la suite d'une révolution parce qu'ils défendaient l'intégrité de leur territoire. C'est vrai, nous sommes très attachés à la notion de territoire et si vous nous en donnez un, nous le protègerons quoi qu'il nous en coûte et surtout, nous le respecterons sans faire de mal à personne. Cela explique pourquoi les druzes s'engagent militairement pour défendre leur pays qui peut être la Syrie ou Israël. Cela explique aussi pourquoi les druzes du Golan, annexé par les Israéliens, restent attachés à leur appartenance à la Syrie, sans aucune motivation politique.
Quelles sont vos relations avec les druzes des autres pays?
Nous avons des relations avec les druzes de Syrie et du Liban parce que nous avons des liens familiaux. Nos déplacements étaient nombreux et les échanges de populations sur la base individuelle ont toujours fonctionné avant la fermeture des frontières en 1948. A titre personnel d'ailleurs, je m'efforce de reconstituer l'origine de mes racines très éparpillées. Nous sommes cependant autorisés, tous les ans, à rendre visite à nos familles de l'étranger car le maintien de ces relations est primordial pour nous. Nous espérons fortement être un pont menant à la paix entre les peuples qui se combattent, mais les druzes ont leurs propres préoccupations nationales selon l'endroit où ils vivent. Il y a bien sûr des écarts dans nos niveaux de vie mais cela dépend essentiellement de la situation économique nationale.
Y a-t-il une discrimination perceptible touchant votre communauté?
Il n'y a aucune discrimination car il n'est pas marqué sur mon front que je suis druze et mon physique ressemble à celui de l'Israélien moyen. Regardez la photo de ma femme, elle ressemble à une Italienne. Depuis la création de l'Etat, beaucoup de changements ont été opérés pour contrer la différence. En particulier, en 1987 quand je me suis engagé, j'ai été incorporé dans un régiment réservé aux druzes. Aujourd'hui, cela ne se fait plus. Les conscrits druzes peuvent être intégrés à tout régiment sans distinction, selon la spécialité qu'ils choisissent: fantassin, tankiste, pilote ou marin. Je dirais plutôt que l'armée agit comme un modèle pour nous et pour l'Etat. Nous n'avons pas à nous plaindre de notre situation durant ces soixante années d'existence du pays. Le temps a fait les choses et, si je me réfère aux Etats-Unis, il leur a fallu plus de deux siècles pour choisir un président noir. Nous, nous avons déjà commencé puisque nous avons à présent des généraux.
Il y a eu pourtant des manifestations druzes récemment.
Les manifestations sont légales et sont le reflet de notre démocratie. Les étudiants et les religieux juifs manifestent aussi et il est normal que chaque catégorie, les druzes inclus, cherche à défendre ses intérêts particuliers. La recherche de nouveaux avantages est un droit et nous en usons sans que cela soit interprété comme une attaque contre l'Etat mais contre une politique spécifique du gouvernement. Nous sommes très démocrates et nous avons appris à utiliser les outils de la démocratie pour défendre nos intérêts catégoriels. Mais, dans ces manifestations, il s'agissait essentiellement de revendications locales.
On vous accuse en Europe d'être les «harkis» d'Israël chargés de faire le sale travail...
Je m'insurge en faux contre cette affirmation, d'autant plus que je connais le problème qui a fait l'objet de ma thèse de maîtrise de sciences politiques qui portait sur la guerre d'Algérie.
Contrairement aux harkis qui étaient des simples soldats, sans nationalité française, souvent enrôlés de force et commandés par des officiers français, moi je suis un colonel druze qui commande des Israéliens, juifs et non juifs sans distinction. Les druzes sont à tous les échelons militaires, du soldat au général. Nous faisons certes aussi du sale boulot mais pas plus que les autres militaires.
Votre connaissance parfaite de la langue arabe vous porte à effectuer des missions que les juifs ne peuvent pas effectuer.
C'est une fausse idée. Il y a beaucoup de juifs en provenance des pays orientaux qui parlent parfaitement l'arabe. J'ai même connu un juif qui a vécu un an dans notre village, dans une immersion totale, pour se familiariser avec notre langue. Les missions sont distribuées en fonction des critères personnels du militaire et non pas de son appartenance à telle ou telle communauté. Ce n'est pas la connaissance de l'arabe qui compte, mais la capacité à réaliser des missions spécifiques et tendues. Je ne peux pas accepter la critique disant que nous faisons un sale travail sous prétexte que nous parlons la langue des Palestiniens.
Vous êtes pourtant mal perçus quand vous vous déplacez dans les villages arabes.
Il y a beaucoup d'idées fausses qui circulent à savoir, par exemple, que la police des frontières est uniquement constituée de druzes parce qu'ils parlent l'arabe alors qu'elle comporte aussi des Russes. En revanche, je comprends la situation du jeune arabe qui se présente aux frontières, face à un soldat qui parle sa langue. Il est naturellement en droit de se poser la question de savoir pourquoi celui-ci a choisi, selon lui, le mauvais bord. Les Palestiniens sont des étrangers pour nous et comme je vous l'ai expliqué, nous avons à défendre nos intérêts et nos options nationales. Je fais encore partie d'une génération qui parle avec un accent mais mes enfants ont un langage qui ne se distingue plus des juifs parce qu'ils étudient dans les écoles israéliennes bien que nous ayons dans nos villages nos propres écoles qui enseignent les deux langues. Nos enfants sont complètement assimilés dans le pays; leur tenue ressemble à toutes les tenues des jeunes occidentaux mais, à l'exception des religieuses en forte minorité qui portent un petit voile, les autres préfèrent le jeans.
Quelles sont les activités des druzes en Israël en dehors de l'armée?
Ma femme a fait, dans le cadre de ses études, une enquête dans ce domaine. Dans les années 1960, les druzes étaient essentiellement des agriculteurs et à 5% des militaires. Aujourd'hui, 30% des druzes travaillent dans la défense nationale, 30% dans les professions libérales et le reste dans les services et l'agriculture.
Ces chiffres sont-ils dus à une discrimination positive?
Nous refusons toute discrimination positive car nous voulons atteindre nos postes en fonction de nos compétences et non par un piston ou par un coup de pouce de la loi. C'est plus sain pour la compétition. Si nous ne sommes pas capables d'être médecins, aucun intérêt de nous faciliter la tâche qui fera de nous de mauvais professionnels. A la rigueur, l'éducation nationale peut aider financièrement certains villages moins développés pour favoriser les études des enfants mais, en aucun cas, nous ne voulons de diplômes au rabais.
Et votre représentation dans les institutions politiques et civiles?
Nous avons trois druzes sur 120 députés soit 2,5% ; or nous représentons 1,5% de la population totale donc, de ce point de vue, nous n'avons pas à nous plaindre. Israël est un pays qui est aussi bien le nôtre que celui des juifs. Nous avons des consuls et des ambassadeurs druzes à l'étranger et je vous étonnerais en vous disant que dans mon village, Daliat Hacarmel, des dirigeants ont constitué une agence druze sioniste. Certains voient ici une contradiction car les termes sont antagonistes, mais pas nous.
Pourquoi une proportion importante de druzes s'enrôle dans l'armée?
Notre conviction est que nous voulons et nous devons êtres forts pour nous défendre parce que l'histoire de notre persécution nous l'impose. Par ailleurs, l'officier a une image de marque très importante dans notre communauté; elle symbolise la force. Certes, depuis quelques années, les ingénieurs high-tech ont supplanté les soldats dans cette vision et la carrière militaire est abandonnée au profit des industries. Mais chaque fois qu'un grave danger se fait jour ou qu'une perspective de guerre apparait, la proportion de militaires a tendance à s'élever parce que nous restons vigilants pour notre situation et celle de notre pays. L'officier a un statut social élevé chez nous, il inspire le respect et la fierté de nos parents et il est un gage pour notre sécurité car nous avons toujours à l'esprit que nous pouvons à nouveau être persécutés. L'armée n'est nullement pour nous un lieu de travail, mais un endroit où la réussite personnelle peut s'affirmer au mieux. Ce n'est pas la faible solde des soldats qui peut nous encourager à rejoindre l'armée, mais l'espérance de gravir rapidement l'échelle sociale.
En France, on parle beaucoup du problème de la burqa ou du voile...
En Israël, il n'y a aucune loi qui s'intéresse à la tenue de ses citoyens. Nous subissons comme en occident le développement de la mode moderne, mais cela n'empêche pas les druzes de s'habiller comme ils le veulent, à la rigueur selon nos traditions. Vous avez aussi bien des filles avec des jeans déchirés à la mode que d'autres, religieuses, avec le voile. Seuls les religieux portent la tenue traditionnelle druze et ils représentent à peine 10% de notre population et, comme tous les religieux, ils sont d'ailleurs exemptés d'armée. Il y a une adéquation totale entre la jeunesse occidentale et la jeunesse druze mais nous mettons cependant un bémol car il existe une certaine ligne rouge à ne pas dépasser au sein de notre village. Les mini-jupes et autres tenues dénudées ne font pas partie de notre éducation.
Justement, pourquoi vivez-vous entre vous, dans des villages druzes?
Il faut d'abord rappeler que, dans l'Histoire, nous avons été toujours persécutés par les autres musulmans et cela explique que nos villages ont été construits au sommet de collines ou de montagnes, comme Daliat Hacarmel. Mais, par ailleurs, nous devons nous retrouver et sauvegarder nos traditions. Nous sommes très sensibles au culte de la famille et des parents et nous avons besoin de cette proximité sans pour cela être accusés de créer une ségrégation. Dans nos villages, nous sommes proches de nos lieux de culte et de nos lieux de plaisir et comme vous ne l'ignorez pas, nous tenons à nous marier entre nous. Il est rare qu'un ou une druze n'épouse pas quelqu'un de sa communauté. Ceux qui vont vivre temporairement dans les villes, pour suivre des études ou pour y travailler, reviennent toujours s'installer dans leur village pour y retrouver une protection morale et physique. Mais nous n'oublions jamais d'où nous venons.
Quelle profession souhaitez-vous pour votre fils?
Je lui ai donné les outils pour décider. Je veux d'abord qu'il fasse des études, mais son rêve, et le mien bien sûr, serait de le voir devenir pilote de chasse à l'armée, l'élite de l'élite. Il étudie actuellement à Haïfa comme tous les jeunes, mais je suis convaincu qu'il reviendra vivre à Dalia près de nous. Il est important que vous compreniez notre mentalité. L'intégration est nécessaire, mais elle doit être à double sens. Vous devez d'abord le vouloir mais vous ne pouvez rien faire si l'Etat ne veut pas. Pour que cela intervienne il faut que les deux parties consentent à faire l'effort de le vouloir. C'est une histoire de couple entre l'Etat et vous et cela marche bien pour nous en Israël.
Avez-vous des relations sociales avec les juifs?
Nous avons des femmes et des hommes médecins, ingénieurs, professeurs ou avocats qui sont en contact professionnel avec les autres communautés. Nous nous mêlons à eux, mais nous ne nous marions qu'entre druzes. Les mariages mixtes sont très rares parce que nous n'acceptons pas la conversion et le seul cas éventuel est la conversion d'un druze au judaïsme et pas l'inverse. Le mariage mixte ne facilite pas la vie et il est extrêmement rare car le prix à payer est trop élevé. En revanche, j'ai d'excellentes relations avec mon supérieur juif. Nos familles se fréquentent, nos enfants partent en vacances ensemble. Ils viennent dîner à ma table comme je vais à la leur. La mixité communautaire commence à l'école et se développe pendant le service militaire où nous apprenons à nous connaître. Les filles druzes ne font pas le service militaire, mais elles ont la possibilité de faire un service civil. Elles veulent toutes le faire car elles obtiennent alors une certaine liberté en sortant de chez elles tout en restant attachées fermement aux traditions.
***
Notre entretien s'est terminé avec la photo traditionnelle, mais sans la question difficile des relations entre druzes et arabes. Il ne fallait pas enfreindre ce tabou. Elle a été certes abordée de manière incidente mais, depuis la scission de 1017, la haine alterne avec les menaces et les persécutions faisant de ce problème une plaie non cicatrisée. La réponse aurait été triviale et il n'y avait aucune raison pour ressasser un contentieux qui perdure d'autant plus que les druzes de Palestine ont pris fait et cause pour les Israéliens. Ils refusent par ailleurs la qualification d'arabes qui représente, pour eux, une injure manifeste. Les druzes ne veulent pas être considérés comme des arabes. Mais cet entretien nous a permis de comprendre pourquoi les druzes du Liban ou de Syrie n'ont aucune sympathie pour Israël. En fait, ils n'agissent pas au nom d'une appartenance à une même communauté, comme les juifs par exemple, mais en tant que nationalistes chargés de soutenir leur pays respectif, même si des membres de leurs familles combattent par ailleurs aux côtés des juifs.
Jacques Benillouche
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Photo: Des soldats israéliens portant le cercueil du sous-officier druze Ihab Chattib poignardé en Cisjordanie. Gil Cohen Magen / Reuters
Jacques Benillouche
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