Le Conseil d’État suspend l'interdiction du burkini
La plus haute juridiction administrative s'est prononcée vendredi sur la légalité des arrêtés pris par certaines communes.
Le débat sur l'interdiction du burkini dans lequel se sont engouffré les politiques français indigne jusqu'à l'étranger. Ici, une manifestation devant l'ambassade de France à Londres. (jeudi 25 août 2016)
Le débat sur l'interdiction du burkini dans lequel se sont engouffré les politiques français indigne jusqu'à l'étranger. Ici, une manifestation devant l'ambassade de France à Londres.
Le burkini peut-il être interdit sur les plages françaises au nom du respect de «l'ordre public»? La plus haute juridiction administrative du pays a tranché vendredi le débat, qui enflamme la France, divise le gouvernement et suscite l'indignation à l'étranger.
Saisi du dossier, le Conseil d’État français a suspendu vendredi l'arrêté anti-burkini pris par la commune de Villeneuve-Loubet, sur la Côte d'Azur. Il a souligné avec insistance que toute interdiction de ces tenues de bain islamiques très couvrantes devait s'appuyer sur des «risques avérés» pour l'ordre public.
Dans cette décision de dernier recours, qui fera autorité pour toutes les juridictions administratives de France, le Conseil d'Etat rappelle à tous les maires qui ont invoqué le principe de laïcité qu'ils ne peuvent se fonder sur «d'autres considérations» que l'ordre public, «le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence» pour interdire l'accès aux plages.
Le secrétaire général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a salué une «décision de bon sens», une «victoire du droit, de la sagesse».
«Cette décision va permettre de décrisper la situation, qui était marquée par une tension très forte parmi nos compatriotes musulmans, notamment chez les femmes», a-t-il réagi auprès de l'AFP. «C'est une victoire du droit, de la sagesse, de nature à favoriser le vivre-ensemble dans notre pays», a-t-il ajouté.
Prudence
S'exprimant jeudi pour la première fois sur le sujet, le président François Hollande s'est bien gardé de s'avancer: il a appelé à ne céder ni à la «provocation» ni à la «stigmatisation», mettant en avant le «grand enjeu» de «la vie en commun» dans le pays qui compte la plus importante communauté musulmane d'Europe.
La décision de la haute juridiction administrative sera aussi regardée avec intérêt au niveau international, où la polémique française sur ces tenues de bain couvrant le corps des cheveux aux chevilles, est suivie avec une certaine consternation.
La justice française a «l'occasion d'annuler une interdiction discriminatoire qui se fonde sur, et qui nourrit, les préjugés et l'intolérance», a estimé dans un communiqué John Dalhuisen, directeur du programme Europe d'Amnesty International.
Des photos du contrôle mardi par quatre policiers municipaux d'une femme voilée, mais pas en burkini, sur une plage de Nice, publiées en Une du New York Times, avaient suscité un immense émoi. La presse allemande avait évoqué une «guerre de religion» et le maire de Londres Sadiq Khan estimé que «personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter».
Récurrent
Le burkini s'inscrit dans un débat récurrent en France sur la place de l'islam, émaillé de polémiques et de lois. Le pays a été le premier en Europe à interdire, en 2010, le voile intégral dans tout l'espace public. Le foulard islamique avait auparavant, en 2004, été banni dans les écoles, collèges et lycées publics.
Les arrêtés municipaux vont encore plus loin. Sans mentionner le terme de «burkini», ils exigent le port sur les plages de tenues respectueuses «des bonnes mœurs et de la laïcité», mais ce sont bien les tenues de bain islamiques qui sont visées.
Plusieurs maires ont fondé leur décision sur la nécessité de garantir «l'ordre public», menacé selon eux par des tenues «manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse». Et ils ont fait valoir le contexte particulièrement tendu sur le littoral méditerranéen, depuis le sanglant attentat djihadiste, qui a fait 86 morts à Nice le 14 juillet.
Inquiétudes
Inacceptable pour la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), dont l'avocat Me Patrice Spinosi a dénoncé jeudi une «atteinte à la liberté de conscience et de religion». Mercredi, le Conseil français du culte musulman (CFCM) avait lui fait part au gouvernement de la «forte émotion et forte inquiétude» des musulmans de France.
A dix mois de l'élection présidentielle et dans un pays qui s'enflamme régulièrement sur la place de l'islam, la classe politique s'est engouffrée dans le débat.
L'ex-président français Nicolas Sarkozy, candidat aux primaires de la droite, a réaffirmé jeudi son rejet du burkini, qu'il a qualifié de «provocation», et proposé de prohiber aussi les signes religieux dans les entreprises, les administrations, les universités.
Le parti d'extrême droite Front national a dans la foulée demandé d'étendre à l'ensemble de l'espace public l'interdiction du port du voile.
Danger pour la gauche
Au sein du gouvernement, la question divise. Deux ministres ont condamné les décisions des maires, à contre-courant de la position du chef du gouvernement Manuel Valls qui les soutient au nom de l'ordre public.
Féministe et opposée au burkini, la ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem a estimé que «la prolifération» des arrêtés n'était «pas la bienvenue», tandis que sa collègue de la Santé, Marisol Touraine, y voyait une «stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays».
Ces arrêtés «ne sont pas une dérive» a rétorqué M. Valls, pour qui il n'est toutefois pas question de légiférer.