Le chemin périlleux de l'analyse biblique

[Janot]

C'est une pratique très répandue chez certains protestants et groupes chrétiens marginaux, voire sectes : la lecture littérale de la bible, afin d'y trouver une théologie de salut et un éclairage sur le présent et le futur de l'humanité, parfois aussi pour en dégager une morale, et le plus souvent pour tenter de convertir le lecteur à sa foi, à grands coups de citations littérales. Cette pratique constitue les 80% des posts de ce forum ; elle est périlleuse pour plusieurs raisons :

1) Les écrits bibliques ne peuvent pas être compris de façon littérale, sans compréhension approfondie ni recul, sans éclairage socio-historique ni religieux : ils sont trop complexes, attachés à un peuple, une époque, une mentalité précise, et de ce fait ne peuvent être transposés purement et simplement dans notre époque et notre culture. On ne saurait comprendre aujourd'hui le récit de l'Arche de Noé ou de Jonas de façon historique, il est invraisemblable mais a une portée symbolique. Quand Paul demande aux esclaves d'être soumis à leur maître ou aux célibataires de le rester, c'est parce qu'il croit que la fin des temps est imminente. Quand les Juifs pensent qu'un sacrifice d'animal ou d'humain est de nature à leur concilier les bonnes grâces de D.ieu, c'est là une mentalité primitive, aujourd'hui dépassée.

2) Les préoccupations théologiques ou religieuses au sens large reposent sur une conception de Père tout-puissant et autoritaire face à des fils rebelles, les humains, qui auront une belle vie sur terre s'ils obéissent et seront peut-être ressuscités au jour du Jugement : ils sortiront du Sheol, où l'âme sans corps mène une sorte de demi vie : la prédication de Jésus est nettement plus positive et ouverte, plus spirituelle et plus adulte.

3) Les conflits et problématiques religieuses qui apparaissent dans les écrits bibliques sont ceux de leur temps, ils ne peuvent être transposés tels quels dans le nôtre. Quand Paul dit que seule la foi sauve, il se place dans la perspective de la jeune Eglise qui n'a pour se démarquer du judaïsme qui commence à être hostile que la foi en Jésus ressuscité et pour certain chrétiens, Fils de Dieu (les ébionites d'Antioche, chrétiens primitifs, ne croient pas en la divinité de Jésus). Les violentes disputes de Jésus avec les pharisiens sont l'écho direct de celles des années 80, quand les sadducéens, qui avaient le pouvoir réel, ont disparu. Les rédacteurs des évangiles mêlent les deux époques : Jésus dit (on lui fait dire) dans Matthieu : "ils vous flagelleront dans leurs synagogues" : propos absolument impensables à l'époque du Christ (qui est un bon Juif !)

4) La préoccupation religieuse essentielle voire exclusive sur le salut et l'application de la bible fait disparaître les préoccupations de la vie quotidienne qui n'est jamais mentionnée, entraîne un repli schizoïde, voire obsessionnel sur son groupe : une vie d'adulte sain d'esprit et bien inséré dans le tissu social va au-devant d'autrui et fait passer les impératifs de la vie tout court avant des considération théoriques (voire absconses) que l'on croit fondées sur la bible. La prédication de Jésus est pourtant très claire là-dessus : l'esprit avant la lettre.

Voilà pourquoi trop de discussions ici ont un fond malsain, torturé, agressif, immature (on vous donne même la date de la fin du monde !) voulant convaincre l'autre à tout prix, chapelle contre chapelle. On y manque cruellement de connaissances religieuses, culturelles, historiques, linguistiques, exégétiques, philosophiques : tout est pris au premier degré !
Mais la situation peut évoluer, il suffit de le vouloir.

[Estrabolio]

Bravo Janot pour cette splendide analyse !
Seul petit bémol, je reconnais dans votre toute dernière phrase l'homme de foi et je ne partage pas votre espoir de changement
Bonne journée

[Janot]

bah, espérons ! Mais, certes, je n'attends pas de miracle non plus... bonne journée !