Bouddhisme au féminin
Posté : 16 avr.18, 20:14
Article lu sur une revue en ligne dédiée aux femmes pratiquantes du bouddhisme. (toutes traditions)
Tara Choying Lhamo, une bouddhiste autrichienne qui vit en retraite depuis plus de 20 ans – dont plusieurs années dans les grottes de Lapchi, dans l’Himalaya – partage maintenant son expérience et ses connaissances avec le public. C’est en Nouvelle Zélande que l’interview qui suit a été enregistrée.
Lhamo est disciple de Chetsang Rinpoche et Garchen Rinpoche – tous deux maîtres de la lignée Drikung Kagyu du bouddhisme tibétain.
« Tara Choying Lhamo a passé huit premières années dans une communauté monastique avec son enseignant au Népal, après quoi elle s’est retirée dans les grottes de haute montagne en bordure du Tibet. Ces grottes sont si éloignées qu’il faut un voyage de six jours pour atteindre la civilisation. Elle a rappelé que les retraites ne sont pas considérées comme une poursuite égoïste dans la tradition bouddhiste. Au lieu de cela, c’est la recherche d’une «pratique spirituelle profonde pour aller plus loin dans votre conscience », qui est « magnifique »
Passer toutes ces années en retraite pourrait sembler une perspective terrifiante pour certains, mais Lhamo a expliqué que c’était possible en considérant ses pensées négatives comme quelque chose à contempler et non comme quelque chose de mal, en suivant les principes de la pleine conscience (mindfulness). Au cours de ses retraites, elle a pu « lentement démanteler les sentiments de jalousie, d’attachement à l’ego, d’avidité et d’orgueil à mesure que les « modes de comportements habituels» et la pression de la vie profane disparaissaient.» (Otago Daily Times)
L’interview-exposé dure près de deux heures, nous avons traduit ci-dessous de larges extraits :
L’accident
J’ai été confronté à la mort et au sens de l’existence de manière brutale quand, à l’âge de onze ans, j’ai eu un très grave accident dans lequel mon beau père est mort, j’ai passé des mois à l’hôpital et j’ai subi des opérations et des soins pendant quatre à cinq ans. Je me demandais pourquoi tout cette souffrance ? Par la suite, devenue adolescente j’ai fait beaucoup d’activités, du ski, du théatre, etc. Je voulais devenir médecin en reconnaissance pour ceux qui m’avaient sauvé la vie. À l’âge de dix huit ans, je suis partie un an aux Etats Unis pour parfaire mon anglais, j’y ai étudié l’histoire des religions, c’est le bouddhisme qui me parlait le plus. C’est alors que j’ai commencé à avoir un questionnement sur le sens de l’existence.
Le déclic
Un jour, j’ai été entendre un lama tibétain qui parlait de l’éveil et de la motivation de s’éveiller pour aider tous les êtres, cela a résonné profondément en moi et j’ai décidé de partir en Asie chercher des réponses. J’ai utilisé l’argent de l’accident pour me consacrer durant trois années à des recherches et des études au Népal. Entretemps j’avais commencé à Vienne l’étude du tibétain, tout cet univers me semblait familier et facile. J’ai pris refuge, plus rien d’autre ne m’intéressait, j’ai rencontré un autre lama qui m’a invité à un pélerinage dans des lieux bouddhiques. Ce lama était un mahasiddha, c’est-à-dire quelqu’un qui a passé beaucoup de temps en retraite et en pratiques intensives. Il vivait au Népal, j’ai décidé de rester et d’étudier auprès de lui.
Quand je voyais la souffrance de pauvres gens handicapés qui mendiaient, j’étais bouleversée. Je voulais les aider, mon lama me dit qu’aider par la charité est une aide temporaire et que le bouddhisme s’attaque aux racines mêmes de la souffrance, que nous créons notre propre monde et que c’est nous-même qui devons nous guérir de nos propres négativités.
Son cheminement
« Le but est la pleine conscience (mindfulness) et il y a des méthodes différentes pour y arriver, le bouddhisme tibetain estime qu’il faut exercer l’esprit de différentes manières avant de se lancer dans la méditation, d’où les purifications par des prosternations, des mantras, etc…
Toutes les méthodes de la voie des tantras visent à créer un état de pleine conscience.
Le programme consiste en quatre sessions par jour, on se lève à 3H30, une première session dure jusqu’au petit déjeuner, une autre jusqu’au déjeuner et deux autres après déjeuner de manière à en venir à établir en soi un état permanent de pleine conscience. Pour moi, avant d’en arriver à la méditation pure, sans support, il m’a fallu 5 ans.
J’ai eu la chance que mon lama n’était pas à la tête d’un monastère avec des moines à s’occuper, il avait un assistant et un autre disciple et il nous enseignait directement, nous mangions ensemble.
On parle souvent de la retraite de 3 ans, ce n’est pas une question de durée, mais il y a tout un programme à effectuer, pour moi, cela m’a pris sept ans parce que mon lama voulait que ce soit fait à la manière traditionnelle avec les textes en tibétain.
Il y a des contemplations sur l’opportunité rare et précieuse d’avoir une naissance humaine, sur la responsabilité que nous avons de notre vie, sur l’impermanence, sur la nature de la souffrance et son origine.
Travailler sur l’esprit était déjà suffisamment difficile, je bénéficiais de bonnes conditions pratiques dans la maison du lama, la nourriture était préparée pour moi. En 1995, nous avons commencé à chercher un lieu plus à l’écart, dans les montagnes et nous avons trouvé un endroit à la frontière du Tibet, les gens du lieu nous ont aidé à bâtir un lieu de retraite, j’y restai jusqu’en 2000, cinq ans, c’était plus ou moins solitaire, il y avait quelqu’un qui s’occupait de moi si j’avais besoin de quelque chose.
Le Tibet – Lapchi
Je savais qu’il y avait un endroit appelé Lapchi dans l’Himalaya où Milarepa avait médité et atteint l’éveil, un lieu où d’innombrables yogis s’étaient établis là et j’étais très désireuse d’y aller. Mais au début, je n’avais pas la capacité d’être en totale solitude. J’aurai eu peur et aussi j’avais encore trop de préoccupations concernant la nourriture et d’autres questions pratiques. Donc ce lieu de retraite dans la montagne était une étape préparatoire pour que les choses deviennent plus simples.
L’été des deux dernières années (de cette retraite de cinq ans), j’allais à Lapchi, c’était alors en totale solitude, une fois quitté Katmandou, il faut marcher six jours, dans une zone de la frontière dont l’accès est limité, à travers la montagne, on traverse la frontière du Tibet, on arrive à Lapchi. Le village le plus proche est à deux jours de marche. Il y a un minuscule monastère dans la vallée et dans la montagne, des grottes. Au début j’y suis restée pendant l’été, car c’était déjà assez difficile, j’ai appris à faire du feu, l’été il pleut, tout est humide.
Vu la difficulté d’allumer un feu, l’été de la première année, je ne mangeai rien de chaud et me contentai de tsampa (farine d’orge grillée ajoutée à du thé et du beurre), en ce qui me concerne, au lieu de thé chaud, c’était simplement de l’eau froide. Le deuxième été, j’amenai du riz complet et je réussis à faire cuire du riz, puis je réussis vraiment à faire du feu et je pouvais cuire des pâtes, des lentilles, il fallait amener toute la nourriture depuis Katmandou, des choses qui se gardaient longtemps pour six mois ou un an. Nous avions des porteurs qui nous aidaient à porter la nourriture.
La troisième année, je pensais rester l’été seulement, mais il y avait un vieux lama qui déclara qu’il allait rester l’hiver en retraite dans le petit monastère dans la vallée (et on remonte dans les hauteurs l’été). Je me suis dit, si il reste, je dois être capable de rester aussi.
Ce premier hiver, il y avait ce vieux lama, un moine et moi, nous étions trois dans ce « centre de retraite ». Vous savez qu’il n’y a aucun autre être humain à la ronde. J’avais peur, je me demandai si je n’avais pas fait une erreur de rester.
Je restai deux années consécutives : été-hiver-été-hiver, puis je reçus une lettre de mon lama qui me demandait de venir à Katmandou parce que ma mère ne m’avait pas vu depuis cinq ans et s’inquiétait, elle avait écrit au lama en disant où est ma fille. Je retournai 3 mois en Autriche, ce qui s’est révélé très perturbant pour moi parce que je n’étais pas prête à être exposée à nouveau au monde. Comme je n’arrivais pas gérer cette situation, je n’étais pas très gentille avec les gens.
De retour dans les montagnes, je restai une année complète de l’automne à l’automne, et là l’un de mes trois principaux enseignants, un lama qui est à la tête de notre tradition, m’a dit que je devais quitter Lapchi et continuer ma pratique dans le monde extérieur à nouveau.
Durant les treize années précédentes, j’avais passé neuf à dix ans de pratique solitaire intensive et j’avais le sentiment que je devais arrêter un peu. Quand on va vraiment profondément dans le subconscient, on arrive à un point où tout est tranquille, clarifié mais il y a toujours des impuretés profondément enfouies que l’on ne peut voir que quand elles se manifestent au grand jour dans des conditions extérieures.
Mon lama me dit de quitter Lapchi, de sortir de retraite. J’avais des difficultés, je demandai trois fois à mon lama: « s’il vous plait laissez-moi retourner en retraite », mais il me répondit : « pas maintenant », c’est important pour vous d’affronter des situations avec les autres et d’arriver à les surmonter. À partir de ce moment-là, j’ai été en retraite la moitié de l’année, et l’autre moitié, en contact avec les autres. Mon lama me demandait de faire des traductions, c’était un autre cycle de formation.
Lorsqu’on n’est pas en retraite, on doit poursuivre les pratiques qui dépendent du chemin que l’on suit, mantra, visualisations, méditation, etc. On le fait quand on peut, pour moi, c’était en général le matin jusque midi. Dernièrement, je suis allée en Autriche pour voir ma mère qui était malade, je faisais ma pratique jusqu’à midi, parfois le soir aussi une ou deux heures.
La réalisation
Je suis allée en Autriche souvent en 2012 pendant 2 ans quand mon père était malade. J’ai été opérée d’une hanche et d’un genou.
Maintenant, je suis souvent en Europe, ce n’est plus difficile pour moi désormais, je peux gérer ce changement très facilement parce que ma pratique est suffisamment profonde, tout est vu comme illusoire, on est plus détaché de ce qui arrive, on peut le gérer parce que cela n’est plus important où qu’on soit, et ce qu’on fait.
Question : comme voyez vous la souffrance maintenant ?
Quand je suis ici (en Occident), je vois avec une grande clarté la souffrance mentale. En Inde et au Népal, la souffrance est plus basique comme la nourriture, les soins. Ici tout est facile dans les pays riches. Ayant moi-même suivi ce chemin et ayant atteint un certain état de paix, de joie, de bonheur, un bonheur intérieur qui ne dépend pas de là où je suis, de ce que je fais, de ce que je mange, de là où je dors, c’est juste une joie stable qu’on trouve en soi-même et l’ayant trouvé, je me dis, c’est si facile, pourquoi tout le monde ne le fait pas et soit heureux ?
Ici, les conditions extérieures sont magnifiques, les gens devraient commencer à se focaliser davantage sur l’intérieur d’eux-mêmes. Toute la vie en Occident est tournée vers l’extérieur.
Témoigner
Pendant deux ans, une amie m’a demandé de façon répétée de prendre la parole pour parler de mon expérience, j’ai toujours refusé, je répondais : de quoi puis-je parler, j’ai juste suivi mon chemin et je suis toujours sur mon chemin, c’est simplement ma vie, mais elle insistait : ton expérience m’a tellement inspirée, c’est inspirant pour les gens de simplement entendre le récit de ta vie. Aussi quand j’étais en Autriche pour m’occuper de ma mère malade, j’ai pensé : la motivation première de mon chemin, c’est d’aider les autres, alors j’aiderai, je ne sais pas de quoi je vais parler, mais je vais parler.
Question : vous avez dû avoir des moments difficiles, qu’est-ce que vous avez fait ?
Bien sûr, il y a eu des moments d’énormes difficultés, j’ai beaucoup pleuré. Pourquoi, parce que nous devons affronter notre fonctionnement mental habituel dont nous n’avons même pas conscience tant que nous sommes dans notre vie quotidienne, nous mangeons, nous rencontrons des amis, nous écoutons de la musique, on se lève le matin, etc.. mais au moment où tout cela n’est plus là, quand on est en retraite, on se dit : « qu’est-ce qui se passe ? où sont mes conversations, mes livres, mes sorties, mes ceci, mes cela.. » C’est très difficile. Et aussi le fait qu’on a grandi dans notre monde occidental avec notre mode de vie confortable, c’est difficile d’aller dans un pays comme le Népal, pauvre, avec la saleté, l’eau, les maladies, la nourriture… et en haut dans les montagnes, rien à manger, l’eau qui gèle dans la chambre.
Au plan physique vous devez affronter beaucoup de difficultés, mais encore plus les difficultés qui viennent du mental et des émotions. Quand on est seule, tout cela surgit, et par la méditation, la pratique, on va de plus en plus profondément en soi-même, ce qui est formidable d’un côté et n’est jamais ennuyeux, on peut suivre ce chemin indéfiniment et il ne va pas se répéter parce qu’on découvre de nouvelles choses sur lesquelles travailler, mais en même temps, c’est très dur. Mais, comme mon lama me l’a expliqué, le principal est de comprendre toute cette souffrance qui vient principalement de notre façon habituelle de fonctionner, et aussi de nos pensées, de notre façon de réagir très automatique, de voir surgir de fortes émotions, tout le chemin est en fait un chemin de developpement de la conscience attentive (mindfulness), c’est comme une bataille contre nos automatismes.
Certaines personnes disent ce n’est pas naturel, bien sûr ce n’est pas naturel, notre façon de fonctionner parait si familière, combattre notre propre nature, mais ce n’est pas notre nature, il s’agit seulement de se débarrasser de nos vieilles façons de fonctionner, c’est alors seulement que nous découvrons notre vraie nature, libre, dans ce moment, dans cette situation, sentir ce qui se passe, être en contact avec ce moment.
Je dirai que ma vie est devenue plus facile, depuis disons 2005, 2007, 2008, 2010… maintenant, la plus grande partie de ces façons automatiques de fonctionner ont disparu et ma vie et mon esprit sont devenus plus faciles et pleins de joie. Mais il y a quinze ans, c’était vraiment une lutte.
Question : est-ce que vous êtes libre ou y a-t-il encore des choses à surmonter ?
À un niveau basique, je dirai que je suis assez libre. Je peux revenir au moment où cette expérience a commencé en 2001 où l’esprit est juste dans un état sans pensée, on est simplement assis, simplement clair.
Depuis ce moment, je n’ai plus autant de pensées. J’utilise mon cerveau quand j’ai besoin de penser, autrement, c’est juste blanc, clair, joyeux, un esprit spacieux. Et si vous n’avez pas beaucoup de pensées, vous n’avez pas d’émotions parce que les émotions qui viennent des pensées diminuent naturellement, et à l’opposé, la compassion surgit naturellement. La compassion de sentir la souffrance des autres … La compassion grandit : si seulement je pouvais donner mon esprit à tout le monde, mais je ne peux pas.
L’essence du chemin, c’est de commencer à développer la vigilance attentive (mindfulness) ce qui revient à ce que j’ai déjà dit, principalement se libérer de nos vieilles façons de fonctionner automatiques. Nous ne sommes pas conscients de ce que nous disons, faisons, pensons. La plupart du temps, nous ne savons pas ce que nous pensons, et très souvent, nous ne savons pas ce que nous disons. On se dit, mais je n’ai jamais dit ça. Et oui, on l’a dit ! Et ça arrive souvent, parce qu’on n’est pas conscient. C’est un point des plus important, en fait c’est tout le chemin.
Si on veut atteindre un lieu intérieur de paix, de bonheur, de compassion et de bienveillance, il faut développer une conscience attentive dans toutes les situations de la vie. Et cela nous pouvons le faire dans toutes les situations de notre vie, il s’agit seulement de se reprendre ou de s’interroger : qu’est ce qui se passe (en moi) ?
Par exemple quand vous marchez dans la rue. Récemment, à un ami, en Autriche, un jeune homme, je demandai : es tu conscient que tu es en train de marcher, il me regarda et dit : non, pourquoi ? Nous devons nous rappeler encore et encore d’être dans un état de conscience vigilante, quoi que nous fassions. Regardons dans ce moment ce que je suis en train de dire, comment est-ce que je bouge. Nous oublions tout le temps. Nous pouvons utiliser la technologie pour venir à notre aide, une sonnerie à chaque heure pour nous rappeler de revenir à maintenant.
Pour être aidé, il est bénéfique le matin au réveil de s’asseoir pendant quelques minutes et essayer de concentrer le mental sur notre motivation : qu’est-ce que je veux faire et comment je veux être et faire de même le soir, s’asseoir et regarder : que s’est-il passé aujourd’hui, comment ai-je réagi dans certaines situations et voir, ce n’était pas très bien, et vouloir être plus conscient, plus attentif, vouloir changer. C’est une pratique très importante et bénéfique et aussi pratiquer la patience.
La pratique nécessite une présence attentive, si quelqu’un me met en colère, je dois être consciente de ce qui se passe en moi, vouloir être patiente, généreuse, bienveillante, plus disciplinée, essayer de ne pas blesser les autres, être attentif à ne pas blesser les autres par ce que nous disons ou faisons.
Question : la science parle désormais de la nature ultime des choses comme étant vide ?
Oui, la science en est venu à voir que les objets sont vides et qu’ils sont en fait de l’énergie pure… Mais il faut faire attention, le chemin demande de se purifier de nos négativités, de développer les aspects positifs, plus on va profond dans la compréhension et la vision intuitive, simultanément la compassion grandit. Ce n’est pas quelque chose qu’on étudie, il y a une grande différence entre comprendre quelque chose et réellement l’expérimenter. Nous pouvons comprendre la vacuité par des écrits philosophiques, mais si nous ne pratiquons pas…
La nature vide des phénomènes ne peut pas être comprise par le mental, elle ne peut qu’être expérimentée. On peut dire que notre nature est comme un ciel sans limites, ni haut ni bas, ni gauche ou droite, ni centre, ni extérieur ni intérieur, vide d’objets.
On peut imaginer des choses, on peut penser à des choses qui ont un sens mais si on l’expérimente pas, l’autre coté qui est sagesse et compassion n’est pas là.
Plus on l’expérimente, plus la compassion grandit pour les autres, sinon on reste attaché aux pensées et aux émotions négatives et à la souffrance, ce qui n’est pas nécessaire du tout.
Quand la science commence à prouver cela, le côté de la compassion manque. Tout est vide, votre frère n’est pas là, personne n’est réellement là, alors on peut juste blesser un autre, prendre ce qu’on veut, faire ce qu’on veut. Laisser les gens dans l’ignorance par la publicité, le business, etc.
Question : Est-il indispensable d’être en retraite solitaire comme vous ?
Ce n’est pas nécessaire de passer son temps dans la solitude. Si on a une forte aspiration d’arriver à s’éveiller, alors on peut avoir besoin de solitude. Cela dépend de la force de notre aspiration à atteindre les moments d’éveil. Comme j’étais très motivée, je suis allée en solitude, mais si vous ne ressentez pas cette urgence, vous pouvez être attentive (là où vous êtes.)
L’essentiel c’est de développer la conscience attentive (mindfulness). Toute la technologie à notre disposition maintenant peut être mal utilisée, il faut l’utiliser consciemment.
Question : Vous ne dites pas ma compassion grandit, mais, vous parlez de façon impersonnelle : la compassion croît. D’où la compassion vient-elle ?
La compassion vient de l’Un que nous sommes, bien que nous nous voyions comme des individus. Quand on parle de la nature de l’esprit, dans le bouddhisme on parle de la nature de Bouddha qui se trouve dans tous les êtres, dans le christianisme on pourrait dire Dieu, la nature de Dieu en toutes choses, toute chose est finalement pure, embrassant tout, la vacuité de laquelle tout a surgi, mais l’essence, la base de tout, comme le dit la physique quantique, cette énergie qui englobe toutes choses est compassion. C’est seulement notre individualité à laquelle nous nous accrochons qui nous fait souffrir. L’individualité est seulement au niveau extérieur, mais notre nature est l’Un, l’unité, la compassion surgit naturellement, on veut que tout le monde connaisse cet état.
Question : Cela fait-il une différence d’aller dans tel ou tel endroit ?
Oui, l’endroit où nous nous trouvons peut faire une différence. Si nous sommes avec des maitres qui irradient la compassion, on se sentira naturellement plus en paix, le bouddhisme dit même que pratiquer là où des maitres ont vécu ou des boddhisattvas comme Jésus, c’est l’équivalent de pratiquer sept ans en un endroit non aussi propice – si nous avons la possibilité de choisir.
Question : Comment réagissez vous désormais aux négativités qui viennent à vous ?
S’il y a des négativités, j’éprouve seulement de la compassion parce que je sens : qu’est-ce qui se passe dans cette personne, combien de confusion, combien de difficultés il ou elle doit avoir dans sa vie, combien la conscience attentive manque. Des fois, apparemment sans raison, quelqu’un devient agressif, je me sens immédiatement triste et compatissante pour cette personne et j’aimerai l’aider.
Si on répond à l’agressivité par la compassion, alors rapidement les gens sortent de leur agressivité. Ce qui fait une réelle différence. Si on peut changer même un peu l’état de cette personne, cela aura un impact autour d’elle, pour le bénéfice de toute la société.
Question : Avez-vous été malade pendant vos retraites ?
Je n’ai jamais sérieusement été malade sauf au début de mon séjour en Inde comme tout le monde. Durant mes retraites, avant d’aller dans le centre de retraite en solitude, j’ai eu un parasite, cela a été un problème pendant un an et mon lama me donnait des produits issus de la médecine traditionnelle que j’essayais : ayur veda, médecine indienne, tibétaine, rien n’aidait, au point que mon lama me dit que peut-être je devais retourner dans mon pays mais alors, mon autre lama avec qui j’avais eu une autre connexion plus tard, me dit : ne pars pas, il fit une sorte de prédiction : retourne à ta retraite, pratique, arrête de courir chez les docteurs, arrête de prendre tous ces médicaments. La solitude, les prières et ta pratique, va !
Alors je ne sais pas comment, mais c’est passé. Après toutes ces années assise dans le froid des montagnes, après l’accident que j’avais eu et de ne pas avoir pris soin de mon corps pendant vingt ans, j’ai eu des problèmes, mais j’avais la totale certitude que si l’esprit est clair, stable, la souffrance extérieure n’est plus la même, parce que notre principale souffrance est dans l’esprit. On cherche toujours le bonheur extérieurement, et on a la souffrance aussi.
Trois fois, j’ai connu des moments particulièrement difficiles, je pleurais tout le temps, perdue dans l’obscurité intérieure, mais je n’ai jamais perdu ma foi dans le symbole du Bouddha, et dans mon enseignant. La première fois, j’ai même pensé à me tuer, mais je me suis dit : ça ne va pas aider, et après ? dans la prochaine vie le problème va revenir en pire, ce n’est pas une solution, et il n’y a rien d’autre à faire que de traverser cette souffrance. Tout est impermanent, cette souffrance aussi. C’est bien de sentir que ça ne va pas durer toujours et si je passe à travers cette épreuve, elle ne va pas durer toujours. Je n’ai jamais perdu la foi, juste s’asseoir et lâcher prise.
Notre commentaire : Tara Choying Lhamo n’a pas de titre de rimpoche ou de tulku (bien qu’à l’évidence, elle ait retrouvé une pratique venant de vies antérieures). Le Tibétain qui l’a aidé et soutenu s’est trouvé être un yogi et non un monastique, du coup elle n’a pas été confrontée – en tout cas pour ce qu’elle en a dit – à la misogynie et au formatage de la culture monastique tibétaine, sans compter qu’elle est venue au Népal, 30 ans après Jetsunma Tenzin Palmo, ce qui a sûrement fait une énorme différence.
https://www.bouddhismeaufeminin.org/tara-choying-lhamo/
Tara Choying Lhamo, une bouddhiste autrichienne qui vit en retraite depuis plus de 20 ans – dont plusieurs années dans les grottes de Lapchi, dans l’Himalaya – partage maintenant son expérience et ses connaissances avec le public. C’est en Nouvelle Zélande que l’interview qui suit a été enregistrée.
Lhamo est disciple de Chetsang Rinpoche et Garchen Rinpoche – tous deux maîtres de la lignée Drikung Kagyu du bouddhisme tibétain.
« Tara Choying Lhamo a passé huit premières années dans une communauté monastique avec son enseignant au Népal, après quoi elle s’est retirée dans les grottes de haute montagne en bordure du Tibet. Ces grottes sont si éloignées qu’il faut un voyage de six jours pour atteindre la civilisation. Elle a rappelé que les retraites ne sont pas considérées comme une poursuite égoïste dans la tradition bouddhiste. Au lieu de cela, c’est la recherche d’une «pratique spirituelle profonde pour aller plus loin dans votre conscience », qui est « magnifique »
Passer toutes ces années en retraite pourrait sembler une perspective terrifiante pour certains, mais Lhamo a expliqué que c’était possible en considérant ses pensées négatives comme quelque chose à contempler et non comme quelque chose de mal, en suivant les principes de la pleine conscience (mindfulness). Au cours de ses retraites, elle a pu « lentement démanteler les sentiments de jalousie, d’attachement à l’ego, d’avidité et d’orgueil à mesure que les « modes de comportements habituels» et la pression de la vie profane disparaissaient.» (Otago Daily Times)
L’interview-exposé dure près de deux heures, nous avons traduit ci-dessous de larges extraits :
L’accident
J’ai été confronté à la mort et au sens de l’existence de manière brutale quand, à l’âge de onze ans, j’ai eu un très grave accident dans lequel mon beau père est mort, j’ai passé des mois à l’hôpital et j’ai subi des opérations et des soins pendant quatre à cinq ans. Je me demandais pourquoi tout cette souffrance ? Par la suite, devenue adolescente j’ai fait beaucoup d’activités, du ski, du théatre, etc. Je voulais devenir médecin en reconnaissance pour ceux qui m’avaient sauvé la vie. À l’âge de dix huit ans, je suis partie un an aux Etats Unis pour parfaire mon anglais, j’y ai étudié l’histoire des religions, c’est le bouddhisme qui me parlait le plus. C’est alors que j’ai commencé à avoir un questionnement sur le sens de l’existence.
Le déclic
Un jour, j’ai été entendre un lama tibétain qui parlait de l’éveil et de la motivation de s’éveiller pour aider tous les êtres, cela a résonné profondément en moi et j’ai décidé de partir en Asie chercher des réponses. J’ai utilisé l’argent de l’accident pour me consacrer durant trois années à des recherches et des études au Népal. Entretemps j’avais commencé à Vienne l’étude du tibétain, tout cet univers me semblait familier et facile. J’ai pris refuge, plus rien d’autre ne m’intéressait, j’ai rencontré un autre lama qui m’a invité à un pélerinage dans des lieux bouddhiques. Ce lama était un mahasiddha, c’est-à-dire quelqu’un qui a passé beaucoup de temps en retraite et en pratiques intensives. Il vivait au Népal, j’ai décidé de rester et d’étudier auprès de lui.
Quand je voyais la souffrance de pauvres gens handicapés qui mendiaient, j’étais bouleversée. Je voulais les aider, mon lama me dit qu’aider par la charité est une aide temporaire et que le bouddhisme s’attaque aux racines mêmes de la souffrance, que nous créons notre propre monde et que c’est nous-même qui devons nous guérir de nos propres négativités.
Son cheminement
« Le but est la pleine conscience (mindfulness) et il y a des méthodes différentes pour y arriver, le bouddhisme tibetain estime qu’il faut exercer l’esprit de différentes manières avant de se lancer dans la méditation, d’où les purifications par des prosternations, des mantras, etc…
Toutes les méthodes de la voie des tantras visent à créer un état de pleine conscience.
Le programme consiste en quatre sessions par jour, on se lève à 3H30, une première session dure jusqu’au petit déjeuner, une autre jusqu’au déjeuner et deux autres après déjeuner de manière à en venir à établir en soi un état permanent de pleine conscience. Pour moi, avant d’en arriver à la méditation pure, sans support, il m’a fallu 5 ans.
J’ai eu la chance que mon lama n’était pas à la tête d’un monastère avec des moines à s’occuper, il avait un assistant et un autre disciple et il nous enseignait directement, nous mangions ensemble.
On parle souvent de la retraite de 3 ans, ce n’est pas une question de durée, mais il y a tout un programme à effectuer, pour moi, cela m’a pris sept ans parce que mon lama voulait que ce soit fait à la manière traditionnelle avec les textes en tibétain.
Il y a des contemplations sur l’opportunité rare et précieuse d’avoir une naissance humaine, sur la responsabilité que nous avons de notre vie, sur l’impermanence, sur la nature de la souffrance et son origine.
Travailler sur l’esprit était déjà suffisamment difficile, je bénéficiais de bonnes conditions pratiques dans la maison du lama, la nourriture était préparée pour moi. En 1995, nous avons commencé à chercher un lieu plus à l’écart, dans les montagnes et nous avons trouvé un endroit à la frontière du Tibet, les gens du lieu nous ont aidé à bâtir un lieu de retraite, j’y restai jusqu’en 2000, cinq ans, c’était plus ou moins solitaire, il y avait quelqu’un qui s’occupait de moi si j’avais besoin de quelque chose.
Le Tibet – Lapchi
Je savais qu’il y avait un endroit appelé Lapchi dans l’Himalaya où Milarepa avait médité et atteint l’éveil, un lieu où d’innombrables yogis s’étaient établis là et j’étais très désireuse d’y aller. Mais au début, je n’avais pas la capacité d’être en totale solitude. J’aurai eu peur et aussi j’avais encore trop de préoccupations concernant la nourriture et d’autres questions pratiques. Donc ce lieu de retraite dans la montagne était une étape préparatoire pour que les choses deviennent plus simples.
L’été des deux dernières années (de cette retraite de cinq ans), j’allais à Lapchi, c’était alors en totale solitude, une fois quitté Katmandou, il faut marcher six jours, dans une zone de la frontière dont l’accès est limité, à travers la montagne, on traverse la frontière du Tibet, on arrive à Lapchi. Le village le plus proche est à deux jours de marche. Il y a un minuscule monastère dans la vallée et dans la montagne, des grottes. Au début j’y suis restée pendant l’été, car c’était déjà assez difficile, j’ai appris à faire du feu, l’été il pleut, tout est humide.
Vu la difficulté d’allumer un feu, l’été de la première année, je ne mangeai rien de chaud et me contentai de tsampa (farine d’orge grillée ajoutée à du thé et du beurre), en ce qui me concerne, au lieu de thé chaud, c’était simplement de l’eau froide. Le deuxième été, j’amenai du riz complet et je réussis à faire cuire du riz, puis je réussis vraiment à faire du feu et je pouvais cuire des pâtes, des lentilles, il fallait amener toute la nourriture depuis Katmandou, des choses qui se gardaient longtemps pour six mois ou un an. Nous avions des porteurs qui nous aidaient à porter la nourriture.
La troisième année, je pensais rester l’été seulement, mais il y avait un vieux lama qui déclara qu’il allait rester l’hiver en retraite dans le petit monastère dans la vallée (et on remonte dans les hauteurs l’été). Je me suis dit, si il reste, je dois être capable de rester aussi.
Ce premier hiver, il y avait ce vieux lama, un moine et moi, nous étions trois dans ce « centre de retraite ». Vous savez qu’il n’y a aucun autre être humain à la ronde. J’avais peur, je me demandai si je n’avais pas fait une erreur de rester.
Je restai deux années consécutives : été-hiver-été-hiver, puis je reçus une lettre de mon lama qui me demandait de venir à Katmandou parce que ma mère ne m’avait pas vu depuis cinq ans et s’inquiétait, elle avait écrit au lama en disant où est ma fille. Je retournai 3 mois en Autriche, ce qui s’est révélé très perturbant pour moi parce que je n’étais pas prête à être exposée à nouveau au monde. Comme je n’arrivais pas gérer cette situation, je n’étais pas très gentille avec les gens.
De retour dans les montagnes, je restai une année complète de l’automne à l’automne, et là l’un de mes trois principaux enseignants, un lama qui est à la tête de notre tradition, m’a dit que je devais quitter Lapchi et continuer ma pratique dans le monde extérieur à nouveau.
Durant les treize années précédentes, j’avais passé neuf à dix ans de pratique solitaire intensive et j’avais le sentiment que je devais arrêter un peu. Quand on va vraiment profondément dans le subconscient, on arrive à un point où tout est tranquille, clarifié mais il y a toujours des impuretés profondément enfouies que l’on ne peut voir que quand elles se manifestent au grand jour dans des conditions extérieures.
Mon lama me dit de quitter Lapchi, de sortir de retraite. J’avais des difficultés, je demandai trois fois à mon lama: « s’il vous plait laissez-moi retourner en retraite », mais il me répondit : « pas maintenant », c’est important pour vous d’affronter des situations avec les autres et d’arriver à les surmonter. À partir de ce moment-là, j’ai été en retraite la moitié de l’année, et l’autre moitié, en contact avec les autres. Mon lama me demandait de faire des traductions, c’était un autre cycle de formation.
Lorsqu’on n’est pas en retraite, on doit poursuivre les pratiques qui dépendent du chemin que l’on suit, mantra, visualisations, méditation, etc. On le fait quand on peut, pour moi, c’était en général le matin jusque midi. Dernièrement, je suis allée en Autriche pour voir ma mère qui était malade, je faisais ma pratique jusqu’à midi, parfois le soir aussi une ou deux heures.
La réalisation
Je suis allée en Autriche souvent en 2012 pendant 2 ans quand mon père était malade. J’ai été opérée d’une hanche et d’un genou.
Maintenant, je suis souvent en Europe, ce n’est plus difficile pour moi désormais, je peux gérer ce changement très facilement parce que ma pratique est suffisamment profonde, tout est vu comme illusoire, on est plus détaché de ce qui arrive, on peut le gérer parce que cela n’est plus important où qu’on soit, et ce qu’on fait.
Question : comme voyez vous la souffrance maintenant ?
Quand je suis ici (en Occident), je vois avec une grande clarté la souffrance mentale. En Inde et au Népal, la souffrance est plus basique comme la nourriture, les soins. Ici tout est facile dans les pays riches. Ayant moi-même suivi ce chemin et ayant atteint un certain état de paix, de joie, de bonheur, un bonheur intérieur qui ne dépend pas de là où je suis, de ce que je fais, de ce que je mange, de là où je dors, c’est juste une joie stable qu’on trouve en soi-même et l’ayant trouvé, je me dis, c’est si facile, pourquoi tout le monde ne le fait pas et soit heureux ?
Ici, les conditions extérieures sont magnifiques, les gens devraient commencer à se focaliser davantage sur l’intérieur d’eux-mêmes. Toute la vie en Occident est tournée vers l’extérieur.
Témoigner
Pendant deux ans, une amie m’a demandé de façon répétée de prendre la parole pour parler de mon expérience, j’ai toujours refusé, je répondais : de quoi puis-je parler, j’ai juste suivi mon chemin et je suis toujours sur mon chemin, c’est simplement ma vie, mais elle insistait : ton expérience m’a tellement inspirée, c’est inspirant pour les gens de simplement entendre le récit de ta vie. Aussi quand j’étais en Autriche pour m’occuper de ma mère malade, j’ai pensé : la motivation première de mon chemin, c’est d’aider les autres, alors j’aiderai, je ne sais pas de quoi je vais parler, mais je vais parler.
Question : vous avez dû avoir des moments difficiles, qu’est-ce que vous avez fait ?
Bien sûr, il y a eu des moments d’énormes difficultés, j’ai beaucoup pleuré. Pourquoi, parce que nous devons affronter notre fonctionnement mental habituel dont nous n’avons même pas conscience tant que nous sommes dans notre vie quotidienne, nous mangeons, nous rencontrons des amis, nous écoutons de la musique, on se lève le matin, etc.. mais au moment où tout cela n’est plus là, quand on est en retraite, on se dit : « qu’est-ce qui se passe ? où sont mes conversations, mes livres, mes sorties, mes ceci, mes cela.. » C’est très difficile. Et aussi le fait qu’on a grandi dans notre monde occidental avec notre mode de vie confortable, c’est difficile d’aller dans un pays comme le Népal, pauvre, avec la saleté, l’eau, les maladies, la nourriture… et en haut dans les montagnes, rien à manger, l’eau qui gèle dans la chambre.
Au plan physique vous devez affronter beaucoup de difficultés, mais encore plus les difficultés qui viennent du mental et des émotions. Quand on est seule, tout cela surgit, et par la méditation, la pratique, on va de plus en plus profondément en soi-même, ce qui est formidable d’un côté et n’est jamais ennuyeux, on peut suivre ce chemin indéfiniment et il ne va pas se répéter parce qu’on découvre de nouvelles choses sur lesquelles travailler, mais en même temps, c’est très dur. Mais, comme mon lama me l’a expliqué, le principal est de comprendre toute cette souffrance qui vient principalement de notre façon habituelle de fonctionner, et aussi de nos pensées, de notre façon de réagir très automatique, de voir surgir de fortes émotions, tout le chemin est en fait un chemin de developpement de la conscience attentive (mindfulness), c’est comme une bataille contre nos automatismes.
Certaines personnes disent ce n’est pas naturel, bien sûr ce n’est pas naturel, notre façon de fonctionner parait si familière, combattre notre propre nature, mais ce n’est pas notre nature, il s’agit seulement de se débarrasser de nos vieilles façons de fonctionner, c’est alors seulement que nous découvrons notre vraie nature, libre, dans ce moment, dans cette situation, sentir ce qui se passe, être en contact avec ce moment.
Je dirai que ma vie est devenue plus facile, depuis disons 2005, 2007, 2008, 2010… maintenant, la plus grande partie de ces façons automatiques de fonctionner ont disparu et ma vie et mon esprit sont devenus plus faciles et pleins de joie. Mais il y a quinze ans, c’était vraiment une lutte.
Question : est-ce que vous êtes libre ou y a-t-il encore des choses à surmonter ?
À un niveau basique, je dirai que je suis assez libre. Je peux revenir au moment où cette expérience a commencé en 2001 où l’esprit est juste dans un état sans pensée, on est simplement assis, simplement clair.
Depuis ce moment, je n’ai plus autant de pensées. J’utilise mon cerveau quand j’ai besoin de penser, autrement, c’est juste blanc, clair, joyeux, un esprit spacieux. Et si vous n’avez pas beaucoup de pensées, vous n’avez pas d’émotions parce que les émotions qui viennent des pensées diminuent naturellement, et à l’opposé, la compassion surgit naturellement. La compassion de sentir la souffrance des autres … La compassion grandit : si seulement je pouvais donner mon esprit à tout le monde, mais je ne peux pas.
L’essence du chemin, c’est de commencer à développer la vigilance attentive (mindfulness) ce qui revient à ce que j’ai déjà dit, principalement se libérer de nos vieilles façons de fonctionner automatiques. Nous ne sommes pas conscients de ce que nous disons, faisons, pensons. La plupart du temps, nous ne savons pas ce que nous pensons, et très souvent, nous ne savons pas ce que nous disons. On se dit, mais je n’ai jamais dit ça. Et oui, on l’a dit ! Et ça arrive souvent, parce qu’on n’est pas conscient. C’est un point des plus important, en fait c’est tout le chemin.
Si on veut atteindre un lieu intérieur de paix, de bonheur, de compassion et de bienveillance, il faut développer une conscience attentive dans toutes les situations de la vie. Et cela nous pouvons le faire dans toutes les situations de notre vie, il s’agit seulement de se reprendre ou de s’interroger : qu’est ce qui se passe (en moi) ?
Par exemple quand vous marchez dans la rue. Récemment, à un ami, en Autriche, un jeune homme, je demandai : es tu conscient que tu es en train de marcher, il me regarda et dit : non, pourquoi ? Nous devons nous rappeler encore et encore d’être dans un état de conscience vigilante, quoi que nous fassions. Regardons dans ce moment ce que je suis en train de dire, comment est-ce que je bouge. Nous oublions tout le temps. Nous pouvons utiliser la technologie pour venir à notre aide, une sonnerie à chaque heure pour nous rappeler de revenir à maintenant.
Pour être aidé, il est bénéfique le matin au réveil de s’asseoir pendant quelques minutes et essayer de concentrer le mental sur notre motivation : qu’est-ce que je veux faire et comment je veux être et faire de même le soir, s’asseoir et regarder : que s’est-il passé aujourd’hui, comment ai-je réagi dans certaines situations et voir, ce n’était pas très bien, et vouloir être plus conscient, plus attentif, vouloir changer. C’est une pratique très importante et bénéfique et aussi pratiquer la patience.
La pratique nécessite une présence attentive, si quelqu’un me met en colère, je dois être consciente de ce qui se passe en moi, vouloir être patiente, généreuse, bienveillante, plus disciplinée, essayer de ne pas blesser les autres, être attentif à ne pas blesser les autres par ce que nous disons ou faisons.
Question : la science parle désormais de la nature ultime des choses comme étant vide ?
Oui, la science en est venu à voir que les objets sont vides et qu’ils sont en fait de l’énergie pure… Mais il faut faire attention, le chemin demande de se purifier de nos négativités, de développer les aspects positifs, plus on va profond dans la compréhension et la vision intuitive, simultanément la compassion grandit. Ce n’est pas quelque chose qu’on étudie, il y a une grande différence entre comprendre quelque chose et réellement l’expérimenter. Nous pouvons comprendre la vacuité par des écrits philosophiques, mais si nous ne pratiquons pas…
La nature vide des phénomènes ne peut pas être comprise par le mental, elle ne peut qu’être expérimentée. On peut dire que notre nature est comme un ciel sans limites, ni haut ni bas, ni gauche ou droite, ni centre, ni extérieur ni intérieur, vide d’objets.
On peut imaginer des choses, on peut penser à des choses qui ont un sens mais si on l’expérimente pas, l’autre coté qui est sagesse et compassion n’est pas là.
Plus on l’expérimente, plus la compassion grandit pour les autres, sinon on reste attaché aux pensées et aux émotions négatives et à la souffrance, ce qui n’est pas nécessaire du tout.
Quand la science commence à prouver cela, le côté de la compassion manque. Tout est vide, votre frère n’est pas là, personne n’est réellement là, alors on peut juste blesser un autre, prendre ce qu’on veut, faire ce qu’on veut. Laisser les gens dans l’ignorance par la publicité, le business, etc.
Question : Est-il indispensable d’être en retraite solitaire comme vous ?
Ce n’est pas nécessaire de passer son temps dans la solitude. Si on a une forte aspiration d’arriver à s’éveiller, alors on peut avoir besoin de solitude. Cela dépend de la force de notre aspiration à atteindre les moments d’éveil. Comme j’étais très motivée, je suis allée en solitude, mais si vous ne ressentez pas cette urgence, vous pouvez être attentive (là où vous êtes.)
L’essentiel c’est de développer la conscience attentive (mindfulness). Toute la technologie à notre disposition maintenant peut être mal utilisée, il faut l’utiliser consciemment.
Question : Vous ne dites pas ma compassion grandit, mais, vous parlez de façon impersonnelle : la compassion croît. D’où la compassion vient-elle ?
La compassion vient de l’Un que nous sommes, bien que nous nous voyions comme des individus. Quand on parle de la nature de l’esprit, dans le bouddhisme on parle de la nature de Bouddha qui se trouve dans tous les êtres, dans le christianisme on pourrait dire Dieu, la nature de Dieu en toutes choses, toute chose est finalement pure, embrassant tout, la vacuité de laquelle tout a surgi, mais l’essence, la base de tout, comme le dit la physique quantique, cette énergie qui englobe toutes choses est compassion. C’est seulement notre individualité à laquelle nous nous accrochons qui nous fait souffrir. L’individualité est seulement au niveau extérieur, mais notre nature est l’Un, l’unité, la compassion surgit naturellement, on veut que tout le monde connaisse cet état.
Question : Cela fait-il une différence d’aller dans tel ou tel endroit ?
Oui, l’endroit où nous nous trouvons peut faire une différence. Si nous sommes avec des maitres qui irradient la compassion, on se sentira naturellement plus en paix, le bouddhisme dit même que pratiquer là où des maitres ont vécu ou des boddhisattvas comme Jésus, c’est l’équivalent de pratiquer sept ans en un endroit non aussi propice – si nous avons la possibilité de choisir.
Question : Comment réagissez vous désormais aux négativités qui viennent à vous ?
S’il y a des négativités, j’éprouve seulement de la compassion parce que je sens : qu’est-ce qui se passe dans cette personne, combien de confusion, combien de difficultés il ou elle doit avoir dans sa vie, combien la conscience attentive manque. Des fois, apparemment sans raison, quelqu’un devient agressif, je me sens immédiatement triste et compatissante pour cette personne et j’aimerai l’aider.
Si on répond à l’agressivité par la compassion, alors rapidement les gens sortent de leur agressivité. Ce qui fait une réelle différence. Si on peut changer même un peu l’état de cette personne, cela aura un impact autour d’elle, pour le bénéfice de toute la société.
Question : Avez-vous été malade pendant vos retraites ?
Je n’ai jamais sérieusement été malade sauf au début de mon séjour en Inde comme tout le monde. Durant mes retraites, avant d’aller dans le centre de retraite en solitude, j’ai eu un parasite, cela a été un problème pendant un an et mon lama me donnait des produits issus de la médecine traditionnelle que j’essayais : ayur veda, médecine indienne, tibétaine, rien n’aidait, au point que mon lama me dit que peut-être je devais retourner dans mon pays mais alors, mon autre lama avec qui j’avais eu une autre connexion plus tard, me dit : ne pars pas, il fit une sorte de prédiction : retourne à ta retraite, pratique, arrête de courir chez les docteurs, arrête de prendre tous ces médicaments. La solitude, les prières et ta pratique, va !
Alors je ne sais pas comment, mais c’est passé. Après toutes ces années assise dans le froid des montagnes, après l’accident que j’avais eu et de ne pas avoir pris soin de mon corps pendant vingt ans, j’ai eu des problèmes, mais j’avais la totale certitude que si l’esprit est clair, stable, la souffrance extérieure n’est plus la même, parce que notre principale souffrance est dans l’esprit. On cherche toujours le bonheur extérieurement, et on a la souffrance aussi.
Trois fois, j’ai connu des moments particulièrement difficiles, je pleurais tout le temps, perdue dans l’obscurité intérieure, mais je n’ai jamais perdu ma foi dans le symbole du Bouddha, et dans mon enseignant. La première fois, j’ai même pensé à me tuer, mais je me suis dit : ça ne va pas aider, et après ? dans la prochaine vie le problème va revenir en pire, ce n’est pas une solution, et il n’y a rien d’autre à faire que de traverser cette souffrance. Tout est impermanent, cette souffrance aussi. C’est bien de sentir que ça ne va pas durer toujours et si je passe à travers cette épreuve, elle ne va pas durer toujours. Je n’ai jamais perdu la foi, juste s’asseoir et lâcher prise.
Notre commentaire : Tara Choying Lhamo n’a pas de titre de rimpoche ou de tulku (bien qu’à l’évidence, elle ait retrouvé une pratique venant de vies antérieures). Le Tibétain qui l’a aidé et soutenu s’est trouvé être un yogi et non un monastique, du coup elle n’a pas été confrontée – en tout cas pour ce qu’elle en a dit – à la misogynie et au formatage de la culture monastique tibétaine, sans compter qu’elle est venue au Népal, 30 ans après Jetsunma Tenzin Palmo, ce qui a sûrement fait une énorme différence.
https://www.bouddhismeaufeminin.org/tara-choying-lhamo/