Dialogue avec Karim Hanifi
Posté : 01 avr.19, 16:32
Dialogue avec Karim Hanifi I/1
« Le débat autour de l’exégèse moderne n’est pas en son fond un débat entre historiens, mais un débat philosophique. Ce n’est qu’à ce niveau qu’il peut se mener correctement; autrement, on en reste à un combat dans le brouillard. »
J. Ratzinger, Schriftauslegung im Widerstreit, in id., Herausgegeben von Joseph Ratzinger (Quaestiones disputatae 117) Herder, Freiburg im Breisgau, 1989, 15-44. = L’interprétation de la Bible en conflit. Problème des fondements et de l’orientation de l’exégèse contemporaine. Texte français publié dans R. Guardini, H. de Lubac, H. Urs von Balthasar, J. Ratzinger, I. de la Potterie, L’exégèse chrétienne aujourd’hui, Fayard, Paris, 2000, 67-109, 93.
Cf JP II dans l’encyclique Fides et Ratio : « Ceux qui se consacrent à l’étude des saintes Écritures doivent toujours avoir présent à l’esprit que les diverses méthodologies herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique : il convient de l’examiner avec discernement avant de l’appliquer aux textes sacrés. »
Jean-Paul II, Fides et Ratio (1998) § 55.
« Il est donc urgent que l’on s’interroge également du point de vue philosophique sur le rapport qui existe entre le fait et sa signification, rapport qui constitue le sens spécifique de l’histoire. »
(FR § 94)
Prologue
Edward Saïd, la connaissance, c’est le pouvoir, et étudier un objet, c’est en établir le contrôle.
L’homme est la somme d’une double dimension : physique et spirituelle, et en réaction aux dérives spirituelles du catholicisme, l’ère dite moderne, hérité des philosophies de l’Antiquité, sous l’impulsion des mouvements humanistes avec pour point d’orgue, la Révolution française, vont procéder à un déséquilibre inversé.
Cette tare accouchera des grandes idéologies modernistes à l’instar du darwinisme qui se basent sur une méthode d’investigation purement matérialiste.
Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la domination hégémonique de l’Occident qui impose son mode de vie aux autres civilisations.
L’étude occidentale et moderne de l’histoire, désignée communément (en dépit de sa diversité interne) par la méthode historico-critique trouve ses origines à l’époque de la Renaissance et de l’approche critique des sources de l’histoire et de la religion qui s’est ensuite développée en Allemagne aux XVIIIe et XIXe siècles. Maintenir une perspective « historique critique » dans l’étude du passé signifie qu’il n’est pas possible d’accepter ce que les sources historiques nous disent sans leur poser des questions. Au lieu de cela, nous les interrogeons et essayons d’établir leur fiabilité en fonction d’un ensemble d’hypothèses sur le fonctionnement de la société humaine. La redécouverte de l’héritage antique a donné aux érudits européens un sentiment de distance historique par rapport au passé et a révélé les changements historiques subis par des textes anciens comme la Bible.
Les historiens grecs et romains exprimaient un scepticisme cosmopolite que les esprits européens trouvèrent irrésistible. La redécouverte de la philosophie antique n’a pas parallèlement alimenté de nouveaux débats sur la métaphysique et la théologie autant qu’elle a pu conduire à une focalisation sur l’étude des règles régissant le monde matériel. Tandis que la Réforme protestante a pour sa part démantelé le monopole de l’Église en matière d’interprétation des Écritures, ce qui a finalement abouti à une vision de la Bible comme étant un produit historique lié à son propre contexte plutôt qu’à la manifestation infaillible, intemporelle et littérale de la vérité.![bronze [3]](./images/smilies/bronze.gif)
Les racines de la méthode historico-critique remontent à une période comprise entre le XIVe et le XVIe siècle, lorsque des humanistes italiens et français ont réintroduit l’héritage gréco-romain grâce à des manuscrits provenant du monde musulman et de Byzance. Cela a amené les spécialistes d’Europe occidentale à adopter une nouvelle perspective concernant leur rapport à leur patrimoine culturel. L’Europe occidentale s’est toujours considérée comme l’héritière de la tradition romaine, invoquant sans cesse le droit et la littérature romains comme des exemples.
La renaissance de la philosophie, ou l’idée que la vérité métaphysique ne pouvait être atteinte que par la raison, conduisit, en Angleterre au dix-septième siècle, au développement du déisme et à la croyance en un Dieu rationnel connaissable par la raison. Si la vérité pouvait être connue de l’extérieur des Écritures, soit par la raison, soit par l’inspiration, et si cette Écriture elle-même semblait de plus en plus perçue comme le produit historique d’une tradition déformée de l’Église, la Bible était-elle encore véritablement ce vase intemporel de la vérité universelle ? Le canon biblique était un développement historique, et ses significations particulières étaient liées à la vision du monde de ses publics d’origine. La Bible n’était plus le seul « entrepôt » de vérité pour l’humanité. Au contraire, il ne s’agissait que d’une étape dans le cheminement de l’Homme vers une plus grande vérité philosophique qui se frayait un chemin à travers l’histoire.
Outre un doute a priori sur la fiabilité textuelle et la construction humaine de l’orthodoxie religieuse, la méthode historico-critique reposait sur d’autres fondements méthodologiques. L’un des autres principes centraux de la méthode historico-critique était donc le principe d’analogie (parfois improprement qualifiée d’uniformitarisme) traduisant l’idée selon laquelle, bien que les cultures puissent différer considérablement d’un lieu à l’autre et d’une époque à l’autre, les sociétés humaines fonctionnent toujours essentiellement de la même manière.
Outre le principe d’analogie et la détection des anachronismes pour identifier les informations historiquement peu fiables, la méthode historico-critique s’est également appuyée sur un outil souvent appelé le principe de dissemblance. Ce principe stipule qu’un élément qui semble contredire ou défier l’orthodoxie est probablement vrai à l’origine, puisqu’aucune personne engagée dans la construction ou la défense de cette orthodoxie n’aurait pu l’inventer. Dans l’étude de la Bible, ces courants de pensée ont conduit au développement, en Allemagne et au cours des premières décennies du XXe siècle, de ce qu’on a appelé la critique formelle.
Cette méthode de critique combinait le doute présumé quant à l’intégrité des textes avec la conviction de la critique moderne que la construction de ces mêmes textes était affectée ou déterminée par des intérêts profanes.
Du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle, les divers courants de pensée européens (scientifiques, historiques et religieux) ont convergé pour former une vision du monde qui nous est immédiatement familière aujourd’hui. Cette vision, qualifiée de positiviste, soutenait que grâce à leurs méthodes scientifiques et à la rigueur de leur savoir, les humains étaient en mesure d’écarter l’ignorance et la superstition et de révéler la vérité sur leur environnement et leur passé. Seule la vérité ainsi découverte méritait d’être suivie. Bien que l’on en ait eu un aperçu dès la Renaissance et à l’époque de la Révolution française, l’un des piliers essentiels du positivisme était la notion de progrès qui devait conduire nécessairement à l’amélioration de la civilisation humaine. Les historiens qui appliquèrent la méthode historico-critique pensaient que des éléments ou des témoignages d’acteurs historiques étaient crédibles à la triple condition que « ce qu’ils disent d’eux-mêmes est à leur désavantage, lorsque leurs récits ressemblent à la vérité et ne contredisent pas l’ordre de la nature ».
Les hypothèses et critères constituant la méthode historico-critique utilisée par les historiens européens et américains peuvent être donc résumés de la manière suivante :
1) Une présomption de doute sur l’authenticité ou la fiabilité d’un texte ou d’une information historique.
2) Un scepticisme général à l’égard des récits orthodoxes présentés dans ces sources historiques.
3) La conviction que, en analysant les sources historiques et en utilisant les méthodes décrites précédemment, un chercheur pourra distinguer les sources fiables des sources peu fiables en identifiant quelles parties du texte ont servi quels intérêts et quels agendas historiques.
Le développement de la méthode historico-critique aurait donc également des conséquences immédiates sur la question de l’authentification des sources dans la tradition islamique. Au XIXe siècle en particulier, des savants français et britanniques commencèrent à enquêter sur la vie de Muhammad et sur les origines de l’islam dans le contexte de la mise en place de politiques coloniales et des efforts pour dominer les populations musulmanes. Pour les savants allemands spécialisés dans l’antiquité proche-orientale, l’étude de l’islam était en quelque sorte une sous-catégorie des études bibliques. Mais, il est à souligner que cette recherche des origines de l’islam et de ses sources écrites s’effectuait dans le cadre d’un univers mental marqué par le projet de domination musulmane, fusse-t-il bien intentionné. À titre d’exemple, c’est dans ce contexte qu’était fièrement annoncé, en 1902 au cours d’une conférence orientaliste allemande, les assertions suivantes : « Les ténèbres de l’Antiquité ont été illuminées » ou encore « la lumière a été projetée dans les forêts obscures » de l’Inde, de l’Afrique et du Moyen-Orient par des Européens déterminés à dévoiler les origines et les développements de ces religions et de ces peuples.
Le livre influent de Theodor Nöldeke sur les origines du Coran, en 1860, caractérisait en ce sens « la nouvelle confiance de l’Europe dans sa connaissance supérieure des textes et des traditions orientales ». Plus important, ces orientalistes formulaient une supposition déterminante : ce qui s’était révélé vrai du christianisme et de la Bible devait l’être également de toutes les autres religions et de tous les autres textes sacrés. Bientôt, les méthodes des spécialistes de la Bible étaient appliquées à la tradition arabo-islamique.[4]
L’influence de la méthode historico-critique sur les chercheurs musulmans réformistes
Une approche conventionnelle, illustrée par le professeur de théologie Johann Semler (décédé en 1791), fut que la véritable fonction de la Bible était de transmettre une vérité spirituelle, et non un fait historique ou scientifique. La première étape historique de l’étude d’un texte consistait à mettre en doute sa fiabilité et à déterminer son authenticité. En d’autres termes, le paramètre par défaut pour les spécialistes était de douter de la fiabilité historique des documents transmis. Au moment même où la révolution scientifique scellait l’hypothèse selon laquelle les miracles ou l’implication directe de Dieu ne pouvaient être appelés à expliquer l’histoire et les Écritures, les historiens européens faisaient du mot d’ordre du poète romain Horace « Ne laissez aucun dieu intervenir (nec deus intersit) » leur devise.[5]
Aussi savante qu’elle puisse paraitre, la méthode orientaliste historico-critique, dont rappelons-le l’hypercritique n’est qu’une dérive, n’est que la matérialisation de ce fait anthropologique. Elle est donc viciée à la base, sauf que, nourrie par un profond complexe d’infériorité, une frange active des défenseurs de la cause musulmane, a, tant bien que mal, en sachant que nul n’échappe à sa condition, adapté ses méthodes aléatoires aux sources islamiques. Des ténors de l’interreligieux, tels que Karim Hanifi, revisitent l’Histoire de l’Islam qu’ils passent au peigne fin sous couvert de la défense du culte face aux attaques islamophobes. Karim opère un véritable dépeçage en bonne et du forme du patrimoine historique en nous entrainant ainsi vers une véritable amnésie collective grâce à l’outil approprié de la critique du hadîth qu’il met au service de son énergie faramineuse, voire quasi hors-norme, en matière d’étude comparée pour décourager ses détracteurs, notamment du côté des musulmans dans les rangs desquels le zèle religieux est plus prononcé que chez nos pauvres catholiques. Notre « sheïkhcheur », comme il plait à s’appeler lui-même, teinte son discours d’une cohérence imparable. Et, il y arrive avec brio, sauf que sa démarche, aussi rigoureuse soit-elle, ne lui accorde en rien un label de viabilité. Bien au contraire, comme nous allons le démontrer, celle-ci revêt des lacunes irréversibles, malgré les terribles efforts qu’il entreprend pour les maquiller.
Après, on peut comprendre que ses vidéos rassurent et réconfortent nombre de musulmans occidentalisés en manque de mentor, sauf qu’elles cachent de terribles enjeux invisibles qui échappent à ses âmes apeurées, et peut-être à Karim lui-même. C’est en tout cas, tout le mal qu’on lui souhaite !
Paradoxalement, peut-être bien malgré lui, Karim se réapproprie la méthode historico-critique,[6] qui, à la base fut destinée à ébranler les convictions catholiques, pour défendre la… Bible contre les assauts qui l’assaillent de toute part, comme pour donner des gages de son objectivité. À cette fin, il utilise cette fameuse méthode pour éliminer tous les éléments islamiques qui ne sont pas biblo-compatible, et dans une mesure plus large, qui ne sont pas adaptés à l’air du temps.
À suivre…
Par : Karim Zentici
http://mizab.over-blog.com/
Voir : http://mizab.over-blog.com/2018/04/la-c ... tie-1.html
Voir : http://mizab.over-blog.com/2018/04/l-ec ... tie-1.html
http://www.mizane.info/angles-morts-les ... du-hadith/
[4] http://www.mizane.info/le-christiano-ce ... -critique/
[5] Idem.
[6] Malheureusement, mon vieil ami Hassan Chahdi est tombé dans le même travers méthodologique en vendant son âme à l’orientalisme, que Dieu aie pitié d’elle !
https://www.college-de-france.fr/site/f ... -11h30.htm
« Le débat autour de l’exégèse moderne n’est pas en son fond un débat entre historiens, mais un débat philosophique. Ce n’est qu’à ce niveau qu’il peut se mener correctement; autrement, on en reste à un combat dans le brouillard. »
J. Ratzinger, Schriftauslegung im Widerstreit, in id., Herausgegeben von Joseph Ratzinger (Quaestiones disputatae 117) Herder, Freiburg im Breisgau, 1989, 15-44. = L’interprétation de la Bible en conflit. Problème des fondements et de l’orientation de l’exégèse contemporaine. Texte français publié dans R. Guardini, H. de Lubac, H. Urs von Balthasar, J. Ratzinger, I. de la Potterie, L’exégèse chrétienne aujourd’hui, Fayard, Paris, 2000, 67-109, 93.
Cf JP II dans l’encyclique Fides et Ratio : « Ceux qui se consacrent à l’étude des saintes Écritures doivent toujours avoir présent à l’esprit que les diverses méthodologies herméneutiques ont, elles aussi, à leur base une conception philosophique : il convient de l’examiner avec discernement avant de l’appliquer aux textes sacrés. »
Jean-Paul II, Fides et Ratio (1998) § 55.
« Il est donc urgent que l’on s’interroge également du point de vue philosophique sur le rapport qui existe entre le fait et sa signification, rapport qui constitue le sens spécifique de l’histoire. »
(FR § 94)
Prologue
Edward Saïd, la connaissance, c’est le pouvoir, et étudier un objet, c’est en établir le contrôle.
L’homme est la somme d’une double dimension : physique et spirituelle, et en réaction aux dérives spirituelles du catholicisme, l’ère dite moderne, hérité des philosophies de l’Antiquité, sous l’impulsion des mouvements humanistes avec pour point d’orgue, la Révolution française, vont procéder à un déséquilibre inversé.
![trophy [1]](./images/smilies/trophy.gif)
![silver [2]](./images/smilies/silver.gif)
L’étude occidentale et moderne de l’histoire, désignée communément (en dépit de sa diversité interne) par la méthode historico-critique trouve ses origines à l’époque de la Renaissance et de l’approche critique des sources de l’histoire et de la religion qui s’est ensuite développée en Allemagne aux XVIIIe et XIXe siècles. Maintenir une perspective « historique critique » dans l’étude du passé signifie qu’il n’est pas possible d’accepter ce que les sources historiques nous disent sans leur poser des questions. Au lieu de cela, nous les interrogeons et essayons d’établir leur fiabilité en fonction d’un ensemble d’hypothèses sur le fonctionnement de la société humaine. La redécouverte de l’héritage antique a donné aux érudits européens un sentiment de distance historique par rapport au passé et a révélé les changements historiques subis par des textes anciens comme la Bible.
Les historiens grecs et romains exprimaient un scepticisme cosmopolite que les esprits européens trouvèrent irrésistible. La redécouverte de la philosophie antique n’a pas parallèlement alimenté de nouveaux débats sur la métaphysique et la théologie autant qu’elle a pu conduire à une focalisation sur l’étude des règles régissant le monde matériel. Tandis que la Réforme protestante a pour sa part démantelé le monopole de l’Église en matière d’interprétation des Écritures, ce qui a finalement abouti à une vision de la Bible comme étant un produit historique lié à son propre contexte plutôt qu’à la manifestation infaillible, intemporelle et littérale de la vérité.
![bronze [3]](./images/smilies/bronze.gif)
Les racines de la méthode historico-critique remontent à une période comprise entre le XIVe et le XVIe siècle, lorsque des humanistes italiens et français ont réintroduit l’héritage gréco-romain grâce à des manuscrits provenant du monde musulman et de Byzance. Cela a amené les spécialistes d’Europe occidentale à adopter une nouvelle perspective concernant leur rapport à leur patrimoine culturel. L’Europe occidentale s’est toujours considérée comme l’héritière de la tradition romaine, invoquant sans cesse le droit et la littérature romains comme des exemples.
La renaissance de la philosophie, ou l’idée que la vérité métaphysique ne pouvait être atteinte que par la raison, conduisit, en Angleterre au dix-septième siècle, au développement du déisme et à la croyance en un Dieu rationnel connaissable par la raison. Si la vérité pouvait être connue de l’extérieur des Écritures, soit par la raison, soit par l’inspiration, et si cette Écriture elle-même semblait de plus en plus perçue comme le produit historique d’une tradition déformée de l’Église, la Bible était-elle encore véritablement ce vase intemporel de la vérité universelle ? Le canon biblique était un développement historique, et ses significations particulières étaient liées à la vision du monde de ses publics d’origine. La Bible n’était plus le seul « entrepôt » de vérité pour l’humanité. Au contraire, il ne s’agissait que d’une étape dans le cheminement de l’Homme vers une plus grande vérité philosophique qui se frayait un chemin à travers l’histoire.
Outre un doute a priori sur la fiabilité textuelle et la construction humaine de l’orthodoxie religieuse, la méthode historico-critique reposait sur d’autres fondements méthodologiques. L’un des autres principes centraux de la méthode historico-critique était donc le principe d’analogie (parfois improprement qualifiée d’uniformitarisme) traduisant l’idée selon laquelle, bien que les cultures puissent différer considérablement d’un lieu à l’autre et d’une époque à l’autre, les sociétés humaines fonctionnent toujours essentiellement de la même manière.
Outre le principe d’analogie et la détection des anachronismes pour identifier les informations historiquement peu fiables, la méthode historico-critique s’est également appuyée sur un outil souvent appelé le principe de dissemblance. Ce principe stipule qu’un élément qui semble contredire ou défier l’orthodoxie est probablement vrai à l’origine, puisqu’aucune personne engagée dans la construction ou la défense de cette orthodoxie n’aurait pu l’inventer. Dans l’étude de la Bible, ces courants de pensée ont conduit au développement, en Allemagne et au cours des premières décennies du XXe siècle, de ce qu’on a appelé la critique formelle.
Cette méthode de critique combinait le doute présumé quant à l’intégrité des textes avec la conviction de la critique moderne que la construction de ces mêmes textes était affectée ou déterminée par des intérêts profanes.
Du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle, les divers courants de pensée européens (scientifiques, historiques et religieux) ont convergé pour former une vision du monde qui nous est immédiatement familière aujourd’hui. Cette vision, qualifiée de positiviste, soutenait que grâce à leurs méthodes scientifiques et à la rigueur de leur savoir, les humains étaient en mesure d’écarter l’ignorance et la superstition et de révéler la vérité sur leur environnement et leur passé. Seule la vérité ainsi découverte méritait d’être suivie. Bien que l’on en ait eu un aperçu dès la Renaissance et à l’époque de la Révolution française, l’un des piliers essentiels du positivisme était la notion de progrès qui devait conduire nécessairement à l’amélioration de la civilisation humaine. Les historiens qui appliquèrent la méthode historico-critique pensaient que des éléments ou des témoignages d’acteurs historiques étaient crédibles à la triple condition que « ce qu’ils disent d’eux-mêmes est à leur désavantage, lorsque leurs récits ressemblent à la vérité et ne contredisent pas l’ordre de la nature ».
Les hypothèses et critères constituant la méthode historico-critique utilisée par les historiens européens et américains peuvent être donc résumés de la manière suivante :
1) Une présomption de doute sur l’authenticité ou la fiabilité d’un texte ou d’une information historique.
2) Un scepticisme général à l’égard des récits orthodoxes présentés dans ces sources historiques.
3) La conviction que, en analysant les sources historiques et en utilisant les méthodes décrites précédemment, un chercheur pourra distinguer les sources fiables des sources peu fiables en identifiant quelles parties du texte ont servi quels intérêts et quels agendas historiques.
Le développement de la méthode historico-critique aurait donc également des conséquences immédiates sur la question de l’authentification des sources dans la tradition islamique. Au XIXe siècle en particulier, des savants français et britanniques commencèrent à enquêter sur la vie de Muhammad et sur les origines de l’islam dans le contexte de la mise en place de politiques coloniales et des efforts pour dominer les populations musulmanes. Pour les savants allemands spécialisés dans l’antiquité proche-orientale, l’étude de l’islam était en quelque sorte une sous-catégorie des études bibliques. Mais, il est à souligner que cette recherche des origines de l’islam et de ses sources écrites s’effectuait dans le cadre d’un univers mental marqué par le projet de domination musulmane, fusse-t-il bien intentionné. À titre d’exemple, c’est dans ce contexte qu’était fièrement annoncé, en 1902 au cours d’une conférence orientaliste allemande, les assertions suivantes : « Les ténèbres de l’Antiquité ont été illuminées » ou encore « la lumière a été projetée dans les forêts obscures » de l’Inde, de l’Afrique et du Moyen-Orient par des Européens déterminés à dévoiler les origines et les développements de ces religions et de ces peuples.
Le livre influent de Theodor Nöldeke sur les origines du Coran, en 1860, caractérisait en ce sens « la nouvelle confiance de l’Europe dans sa connaissance supérieure des textes et des traditions orientales ». Plus important, ces orientalistes formulaient une supposition déterminante : ce qui s’était révélé vrai du christianisme et de la Bible devait l’être également de toutes les autres religions et de tous les autres textes sacrés. Bientôt, les méthodes des spécialistes de la Bible étaient appliquées à la tradition arabo-islamique.[4]
L’influence de la méthode historico-critique sur les chercheurs musulmans réformistes
Une approche conventionnelle, illustrée par le professeur de théologie Johann Semler (décédé en 1791), fut que la véritable fonction de la Bible était de transmettre une vérité spirituelle, et non un fait historique ou scientifique. La première étape historique de l’étude d’un texte consistait à mettre en doute sa fiabilité et à déterminer son authenticité. En d’autres termes, le paramètre par défaut pour les spécialistes était de douter de la fiabilité historique des documents transmis. Au moment même où la révolution scientifique scellait l’hypothèse selon laquelle les miracles ou l’implication directe de Dieu ne pouvaient être appelés à expliquer l’histoire et les Écritures, les historiens européens faisaient du mot d’ordre du poète romain Horace « Ne laissez aucun dieu intervenir (nec deus intersit) » leur devise.[5]
Aussi savante qu’elle puisse paraitre, la méthode orientaliste historico-critique, dont rappelons-le l’hypercritique n’est qu’une dérive, n’est que la matérialisation de ce fait anthropologique. Elle est donc viciée à la base, sauf que, nourrie par un profond complexe d’infériorité, une frange active des défenseurs de la cause musulmane, a, tant bien que mal, en sachant que nul n’échappe à sa condition, adapté ses méthodes aléatoires aux sources islamiques. Des ténors de l’interreligieux, tels que Karim Hanifi, revisitent l’Histoire de l’Islam qu’ils passent au peigne fin sous couvert de la défense du culte face aux attaques islamophobes. Karim opère un véritable dépeçage en bonne et du forme du patrimoine historique en nous entrainant ainsi vers une véritable amnésie collective grâce à l’outil approprié de la critique du hadîth qu’il met au service de son énergie faramineuse, voire quasi hors-norme, en matière d’étude comparée pour décourager ses détracteurs, notamment du côté des musulmans dans les rangs desquels le zèle religieux est plus prononcé que chez nos pauvres catholiques. Notre « sheïkhcheur », comme il plait à s’appeler lui-même, teinte son discours d’une cohérence imparable. Et, il y arrive avec brio, sauf que sa démarche, aussi rigoureuse soit-elle, ne lui accorde en rien un label de viabilité. Bien au contraire, comme nous allons le démontrer, celle-ci revêt des lacunes irréversibles, malgré les terribles efforts qu’il entreprend pour les maquiller.
Après, on peut comprendre que ses vidéos rassurent et réconfortent nombre de musulmans occidentalisés en manque de mentor, sauf qu’elles cachent de terribles enjeux invisibles qui échappent à ses âmes apeurées, et peut-être à Karim lui-même. C’est en tout cas, tout le mal qu’on lui souhaite !
Paradoxalement, peut-être bien malgré lui, Karim se réapproprie la méthode historico-critique,[6] qui, à la base fut destinée à ébranler les convictions catholiques, pour défendre la… Bible contre les assauts qui l’assaillent de toute part, comme pour donner des gages de son objectivité. À cette fin, il utilise cette fameuse méthode pour éliminer tous les éléments islamiques qui ne sont pas biblo-compatible, et dans une mesure plus large, qui ne sont pas adaptés à l’air du temps.
À suivre…
Par : Karim Zentici
http://mizab.over-blog.com/
![trophy [1]](./images/smilies/trophy.gif)
![silver [2]](./images/smilies/silver.gif)
![bronze [3]](./images/smilies/bronze.gif)
[4] http://www.mizane.info/le-christiano-ce ... -critique/
[5] Idem.
[6] Malheureusement, mon vieil ami Hassan Chahdi est tombé dans le même travers méthodologique en vendant son âme à l’orientalisme, que Dieu aie pitié d’elle !
https://www.college-de-france.fr/site/f ... -11h30.htm