1 Non, la main de l'Eternel n'est pas trop courte pour sauver, Ni son oreille trop dure pour entendre. 2 Mais ce sont vos crimes qui mettent une séparation Entre vous et votre Dieu ; Ce sont vos péchés qui vous cachent sa face Et l'empêchent de vous écouter. 3 Car vos mains sont souillées de sang, Et vos doigts de crimes ; Vos lèvres profèrent le mensonge, Votre langue fait entendre l'iniquité.
Ésaïe (59, 1- 3)
Voir : http://mizab.over-blog.com/2019/07/kari ... e-1/4.html
Cette partie est consacrée à montrer du doigt le copinage étroit que Romain Sirugue, alias Karim Hanifi, a tissé avec l'orientalisme occidental. D'ailleurs, je ne le considère plus comme un prédicateur musulman, mais un islamologue d'origine musulmane, voire islamophile, qui est intéressant dans la critique textuelle biblique, même si je ne partage pas ses conclusions, mais dont il faut prendre avec une grande circonspection ses positions sur l'Islam, car orientées sous le prisme de l'Occidentalisme matérialiste.
Pour la petite histoire, sa position sur la crucifixion s'inspire, ou rejoint c’est selon, celle du chercheur chrétien Gabriel Said Reynolds qui lui-même s'inspire d'un Jacob de Serugh, alias Jacques de Saroug, évêque monophysite de Batna de l'Eglise syriaque dans la Mésopotamie préislamique. Je ne sais pas s'il était d'origine juive, mais il était en tout cas bienveillant envers les juifs qu'il réfutait. Notons qu'il ne croyait pas à l'Immaculée Conception. Bref, Karim rejoint l'orientalisme qui vise à séparer le Coran du hadith et de son exégèse en vue de le rendre plus vulnérable, plus malléable, et conciliable avec leurs idées ou les idées qu’ils désirent distiller. En voici la démonstration.
Dans un article datant de 2009, qui correspond à la période à laquelle Karim, déjà, adhérait à l’idée que Jésus fut mort sur la croix, Reynolds couche sa vision de la crucifixion qu’il comprend du texte coranique. Ayant pour titre the Muslim Jesus: dead or alive ?, il explique notamment que : C'est vraisemblablement l'ambiguïté de sūrat al-nisā, (4) 157–8, affirme Reynolds, qui a amené les érudits musulmans à relier la doctrine du rôle eschatologique de Jésus avec une insistance pour qu'il ne soit pas mort. Cependant, comme le souligne Neal Robinson, il n'y a aucune raison a priori de faire un tel lien.
Pour Reynolds, en effet, l’exégèse musulmane octroie à Jésus un rôle eschatologique, contrairement aux enseignements coraniques, pour deux raisons : par sectarisme envers les chrétiens en reprenant leur eschatologie à leur compte, et envers les chiites pour contrer leur credo sur le douzième imam. Reynolds, au même titre que Karim Hanifi, note l’immobilisme en matière exégétique, et condamne le mimétisme des exégètes classiques.
Aux yeux de Reynolds, le quasi-consensus actuel s'explique par le fait de « lire le Coran à travers l'optique du tafsir », et il ajoute cette citation de Lawson : « ce sont les tafsir, et non le Coran, qui nient la crucifixion ».
C’est bien le but, et il est donc curieux, s’étonne Reynolds, de voir Lawson ailleurs insister que la plupart des érudits occidentaux ont « ignoré la tradition exégétique musulmane ».
Au contraire, réfute Reynolds, le problème semble être que les érudits occidentaux se sont bien trop appuyés sur la tradition exégétique musulmane. En effet, si les chercheurs occidentaux n’ont pas la piété des exégètes musulmans classiques, néanmoins, ils n’ont pas souvent partagé la même herméneutique : une lecture fiable du Coran doit être obtenue grâce à une lecture critique de l’exégèse islamique, conclut-il.
L’effet de cette herméneutique est également manifeste dans les efforts des spécialistes modernes pour trouver une explication historique à la négation apparente du Coran de la crucifixion. C’est bien sûr la tradition exégétique islamique - pas le Coran lui-même -, pense-t-il, qui développe un contexte historique pour le Coran, mais la plupart des érudits des pays occidentaux ont fidèlement suivi cette contextualisation. En conséquence, ils ont cherché à expliquer un aspect de la tradition islamique, que le Coran nie la mort, à travers un autre aspect, que le Coran reflète la carrière d’un homme de l’ombre du début du VIIe siècle. En conséquence, ces chercheurs se sont polarisés sur une secte chrétienne qui pourrait avoir vécu à cette époque et qui aurait tenu des vues « docètes ».
Pour cette même raison, poursuit Reynolds, William Montgomery Watt affirme que même un chrétien pourrait accepter la déclaration du Coran sur la crucifixion, « depuis la crucifixion était l'œuvre de soldats romains ; et il est également vrai dans un sens plus profond, puisque la crucifixion n'était pas une victoire pour les juifs en vue de sa résurrection ». En conséquence, Kenneth Cragg fait valoir que l'accent de sūrat al-nisā, (4) 157–8 n'est pas sur la crucifixion elle-même, mais sur l'instinct maléfique des humains, qui croyaient pouvoir déjouer Dieu en tuant son Messager. Ainsi la phrase shubbiha la-hum ne signifie pas que la figure de Jésus leur est apparue, mais plutôt que l'événement a été fait pour apparaître autre que ce qu'il était ; en d'autres termes, Dieu les a dépassés (cf. Q 3.54).
En fait, dans une publication ultérieure, Robinson semble concéder la validité d'une telle interprétation. Dans son Encyclopédie du Quran, article, « Jésus », il écrit que la référence du Coran à la crucifixion pourrait signifier « que même si les Juifs pensaient avoir tué Jésus, les musulmans ne doivent pas penser qu’il est mort, car, du point de vue du Coran, il est vivant avec Dieu comme les martyrs de Uh˙ud (q 3,169) ». Si Robinson reconnaît ici que le Coran ne nie pas la mort de Jésus, son explication de la langue du Coran me semble encore imprécise. Le Coran n'a rien à dire sur le fait que Jésus soit vivant avec Dieu au ciel, comme cela concerne les martyrs (Q 3.169; cf. Q 2.154; 3.157; 4.74; 9.111; 47.4–6).
O. Carré plaide pour « la lecture non docétiste de la crucifixion du Coran et de l'élévation du corps et de l'âme de Jésus, et également, des martyrs ».
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Ainsi, Reynolds s’inscrit dans une perspective déontologique plus large qui consiste à dénuder le Coran de ses liens historiques avec son exégèse, en sombrant dans d’autres difficultés non moins inextricables que celles auxquelles il pensait échapper.
Il est paradoxal que ce soit un chercheur de culture musulmane, en la personne de Hichem Djaït, qui nous mette à nue cette approche biaisée de l’orientalisme militant.
« Il s’agit là d’un fait objectif que l’historien ne peut éluder, affirme l’historien musulman. Loin d’être superficiel, l’impact du christianisme sur l’islam primitif fut profond et fortement intériorisé. Ne pas admettre cette réalité, c’est renoncer à comprendre comment Muhammad a pu apparaître en ce temps et en ces lieux. En un mot ce serait consentir au caractère purement et définitivement divin du fait coranique, et arrêter par conséquent toute recherche historique »[2]
Ainsi, la seule explication rationnelle pour comprendre la genèse du Coran est d’entériner la thèse du plagiat judéo-chrétien. Ce n’est pas très scientifique tout cela, car elle occulte volontairement l’hypothèse que c’est la Révélation qui ait mis au courant Mohammed sur les agissements du paléo-christianisme. Or, cette hypothèse n’est pas moins rationnelle que la précédente, et elle a le mérite de résoudre les énigmes auxquelles fut confrontée la recherche moderne, sauf que cela ne l’arrange absolument pas ; son paradigme biaisé de départ n’admet que la dimension matérielle de l’homme, et elle occulte de manière systématique, et quasiment avec un fanatisme obscurantiste, sa dimension spirituelle.
D’où la conclusion sans appel, celle-là même qui s’impose à Karim Hanifi n’arrivant plus à cacher ses véritables intentions :
« Quelqu’un qui aurait pris miraculeusement l’apparence de Jésus serait mort à sa place, à savoir s'il donnait un compte rendu historique de la crucifixion qui était fondamentalement contraire à ce que les juifs et les chrétiens avaient signalé il y a des centaines d’années auparavant, alors certainement un tel compte-rendu révolutionnaire - le cas échéant – aurait marqué les mémoires et aurait été bien conservé. Bien au contraire, les rapports des mufassirūn sont incohérents et souvent contradictoires. Ils se basent tous sur des exégèses aléatoires. Cela me semble être une raison suffisante pour que les érudits critiques lisent ce passage coranique à la lumière des événements antérieurs (juifs et chrétiens) et non plus tardifs (ex. islamiques). Lorsque le Coran est lu sous cet angle, il devient vite apparent que le passage sur la crucifixion est pleinement conforme à la rhétorique chrétienne anti-juif. »
Le chercheur dominicain Emmanuel Pisani consacre un article dans lequel il expose les raison objective (comprendre matérialiste) de séparer le Coran de son exégèse et du corpus du hadith. Cet écrit est une véritable mine d’or, et, un aveu en mode caché, ce mode d’emploi par excellence afin de comprendre la méthodologie orientaliste pour saper les fondements de l’Islam au nom de l’objectivité scientifique. Je n’en retiens qu’un passage qui est loin d’être le plus éloquent (il faut mettre des virgules après les car, monsieur le dominicain) :
« (…) en prenant en compte la réception d’une notion dans la tradition musulmane, certains articles ne sont-ils pas tributaires d’une vision traditionnelle faisant de ce dictionnaire davantage celui de l’islam que du Coran ? La remarque n’est pas sans importance car un des enjeux du renouvellement des études coraniques est aussi celui du déploiement du sens du texte aujourd’hui figé par des œuvres de référence de la tradition islamique comme la Sîra d’Ibn Ishâq et d’Ibn Hišâm, le Kitâb al-Tabaqât al-kabîr d’Ibn Sa‘ad, al-Fiqh al-akbar d’Abû Hanîfa, le Muwatta’ de al-Mâlik, la Risâla d’al-Šâfi‘î, le Sahîh d’al-Bukhârî, le Sahîh de Muslim ou le Tafsîr d’al-Tabarî.
L’omniprésence de ces ouvrages a fini par rendre les musulmans étrangers à la lecture de leur propre texte sacré, et l’exégèse coranique traditionnelle (tafsîr) a contribué à enfermer la compréhension du Coran dans des schèmes cognitifs propres à des courants théologiques ou à des écoles juridiques dont l’exégète (mufassir) était le représentant. Or, pour l’universitaire tunisien ‘Abd al-Mahîd Šarfî, « c’est une erreur de persister à suivre les Anciens en toutes les options qu’ils ont prises, quand ils ont travaillé à faire passer le message de Muhammad du niveau théorique à celui de l’application. Car ils n’ont compris de ce message que ce que les circonstances historiques leur permettaient de comprendre. Ils l’ont toujours interprété, consciemment ou non, en fonction de leurs intérêts, de leur horizon mental et des luttes profanes dans lesquelles ils étaient totalement impliqués ». En ce sens, un dictionnaire du Coran devrait pouvoir contribuer à procéder à cette prise de distance vis-à-vis des lectures traditionnelles par une extension, un élargissement, un renouvellement du sens et des problématiques au regard du Coran lui-même. Il ne s’agit pas d’ignorer la tradition musulmane ou d’opérer une lecture fondamentaliste, mais de revenir aux fondamentaux du texte appréhendé par une distance critique et de sortir le Coran d’une interprétation figée qui s’en est approprié le sens. »
Pour se délecter de ses autres perles, voir : https://www.cairn.info/revue-d-ethique- ... nu=article
À suivre…
Par : Karim Zentici
http://mizab.over-blog.com/
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