Marx est très favorable au maintien de l'identité juive

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Actualité juive N° 897 du 07/07/05 pages 52,53

<< Marx est très favorable au maintien de l'identité juive >>

Actualité Juive (A.J): Pourquoi ce livre sur Marx ?

Jacques Attali (J.A) : Je cherchais à écrire un livre sur un grand géant du XIXe siècle, après en avoir écrit un sur le grand géant fran- çais du XVIIe siècle, Blaise Pascal. Pour moi,le plus grand géant mon dial du XIXe siècle, c'est Marx parce qu'il a vraiment façonné le X Xe siècle et qu'à mon avis, il va façonner le XXIe. Sa vie en elle-même raconte mieux que toute autre,
l 'histoire du XIXe. Donc par lui, on comprend trois siècles !

A.J. : Comment passe t-on de Biaise Pascal à Marx ?

J.A. : Ce sont des hommes très proches par l'universalité de leur pensée, par le souci de mêler à la fois la philosophie, la science, l 'histoire, la théologie et les mathématiques. Tous les deux étaient fascinés par les mathmatiques. Ils ont aussi été tout le temps malades, souffrant le mar tyre, s'intéressant aux mathématiques pour ne pas penser à la douleur, avec évidemment des traits différents. La théorie de la grâce chez Pascal, c'est un peu la théorie communiste de Marx parce qu'ils partagent l' idée selon laquelle il y a un monde meilleur auquel on peut accéder si l'on est digne du salut.

A.J. : Cela fail penser à la religion...

J.A. : Oui. Marx a inventé la seule religion non théiste de 1 'histoire humaine et ce n'est pas un hasard si des centaines de millions de gens y ont cru et à mon avis croiront à nouveau à la vérité de Marx et non pas aux mensonges qu'on lui a fait dire.

A.J. : Vous pensez qu'il est d'une actualité brulante aujourd'hui ?

J.A. : Disons que je pense qu'il est un outil de la pensée absolument incontournable. Je pense que la plupart des marxistes n'ont pas lu Marx, ont mal lu Marx ou ont truqué Marx. Et qu'aujourd'hui il est un outil pour réfléchir absolument indispensable.

A.J. : Marx pour VOUS,c'est un philosophe, un sociologue, un historien...?

J.A. : Marx est tout à la fois: il est inclassable.

A.J. : Comment présenteriez-vous son rapport
au judaïsme ?

J.A. : Beaucoup plus simple qu'on ne l'a cru en fait. Marx est évidemment très juif par ses origines, puisqu'il est lui-même descendant de rabbins du côté de son père et de sa mère depuis plusieurs générations, même si à cette époque rabbin n'était pas un métier à plein temps. On trouve des rabbins tout au long de sa génération : son oncle était rabbin. Et lui meme n'est pas juif que parce que son père a dû se convertir pour des raisons politiques, la mort dans l'âme. Son père est resté, disons, juif laïque, théiste et pas hostile au judaïsme puisqu'en tant qu'avocat, il a défendu les communautés juives autant qu'il l'a pu. Marx lui-même est très favorable au maintien de l'identité juive puisqu'il a défendu l'idée que les Juifs doivent pouvoir exercer des métiers en restant juifs, comme s'il regrettait que son père ne l'ait pas pu. Mais en même temps, il est très hostile aux religions,qu'il considère comme « l'opium du peuple ».

A.J. : Cette expression n'est pas de lui.

J.A. : Effectivement, il la reprend à un autre Juif qui va jouer un rôle très important dans le judaïsme, puisque c'est le fondateur du sionisme: Moses Hess. Tout le monde croit que l'expression
« L'opium du peuple » est de Marx, mais Marx l'a reprise dans son premier livre. Marx considère que toutes les religions sont
un « opium du peuple » mais qu'en même temps, elles sont un opium qui pousse le peuple à ne pas voir la domination de l'argent. De ce point de vue, il fait un lien entre le judaïsme et l'argent, le judaïsme étant une façon de permettre le triomphe de l'argent, comme toutes les religions. Évidemment, lorsque l'on isole cer- taines phrases de son livre « La question juive » où il va parler du judaïsme, elles peuvent être utilisées de façon antisémite, puis- qu'elles sont un lien direct entre le judaïsme et l'argent. Je m'en suis expliqué longuement dans le livre sur « Le judaïsme et l'argent ».

A.J. : Avec << La question juive >>, Marx symbolise, pour certains, la haine de soi.

J.A. : On ne peut pas dire cela du tout. D'abord parce que c'est un livre qu'il a écrit à vingt-cinq ans, et qu'il n'est pas revenu dessus après. Et parce qu'on ne trouve aucune manifestation d'antisémitisme dans aucun de ses livres ensuite. La seule chose c'est que dans une lettre, il se moque d'un de ses amis en le traitant de « nègre juif », une fois, mais ça fait partie des insultes un peu ironiques. Il n'y a pas d'antisémitisme, d'aucune sorte chez Marx, jamais. Au contraire, il y a tout le temps la défense des Juifs, notamment la défense des Juifs en Palestine. Il a écrit un article dans le New York Times pour dire que les Juifs sont maltraités à Jérusalem, ce qui est quand même unique pendant cette période. Mais il y a simplement quatre pages dans son livre « La question juive » qui, isolées de leur conteste peuvent paraître antisémites.
Il n'y a pas de haine de soi du tout. Il a une passion pour son père, pour la tradition. Il parle tout le temps de son père, il garde toujours sa photo sur lui. Il n'a pas rompu avec sa famille. L'une de ses filles, Eléonore, va rede- venir juive pleinement. Il ne s'est pas opposé du tout à son retour au judaïsme. Marx lui-même, à la fin de sa vie, va se lier très fortement avec Gretz, le premier historien, avec Renan, de l'histoire du peuple juif, avec qui il va avoir de longues conversations et avec qui il va devenir très ami.


A.J. : De Frédéric Guillaume Il en passant par son futur beau-frère, et à Bakounine,Marx a connu l'antisémitisme. Comment réagissait-il à cela ?

J.A. : Il n'y a pas eu beaucoup d'accusations directes, beaucoup par lettres, mais pas publiques de son vivant. Après 1870, il y en a eu davantage. Il est révolté et il s'en moque. Il ne dit jamais « je ne suis pas juif ». Ce la ne l'amène pas à prendre une position particulière. Évidemment, il est à une époque où on l'accuse de tellement de choses, que, pour lui,c'est seulement une accusation parmi d'autres.

A.J. : Quand une personne est juive et le rejoint, vous le précisez.
Pourquoi ?
J.A. : Il est entouré de Juifs partout! Par là, je veux montrer que le XIXème siècle, qui est le siècle des dictatures en Europe, évolue vers la dé- mocratie très largement grâce aux élites marginales, dont beaucoup sont juives, en particulier les élites allemandes, << Die Aufklarung>>, les Lumières allemandes. Tous les grands moteurs de la démocratie allemande qui met du temps à advenir, sont juifs: les grands banquiers, les grands intellectuels, les grands marchands, de Cologne ou de Francfort, sont juifs, alors qu'ils sont très peu nombreux. Et Marx est entouré de Juifs, plus ou moins juifs d'ailleurs: Moses Hess, Heinrich Heine, ses deux meilleurs amis, sont juifs, chacun ayant une relation particulière au judaïsme. Donc, il y a certainement chez Marx un sentiment de connivence
juive que l'on retrouve tout au long de sa vie. Seul Engels n'est pas juif. Marx déteste le religieux comme quelque chose d'obscurantiste. Peut-être d'ailleurs parce qu'il voit que sa mère est dévote : c'est plutôt la dévotion que la foi qu'il rejette.De ce point de vue, il est matérialiste; il ne croit pas en D. mais il a un très grand respect pour le judaïsme en tant que culture.




A.J. : Quel est votre rapport au judaïsme aujourd'hui ?

J.A. : Je suis quelqu'un qui étudie beaucoup. Je suis croyant, mais absolument pas pratiquant dans le sens classique. Je suis passionné par la culture juive que j' étudie le plus
profondément possible, seul, avec un maître. En même temps, j'ai un sen- timent d'identité et d'ap- partenance à ce peuple.

A.J. : Est-ce que vous sa- vez que Shimon Pérès, pour séduire celle qui al- lait devenir sa femme, Sonia, lui lisait des pas- sages du « Capital » ?

J.A. : Non (rires).

Propos recueillis par Robert Sender
En collaboration avec Johana Cohen

[yacoub]

Un juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif
Sartre

[Saint Glinglin]

Ce n'est pas ce que disent les Juifs.