Clarification sur la preuve anselmienne de l'existence de Dieu
Posté : 10 juil.20, 07:11
Bonjour ici je lance un fil de discussion sur la preuve anselmienne qui est de toutes les preuves la plus mal compris. J'y développerai les trois principales objections et y répondrai à chacune d'elles. Mon objectif ici est de voir s'il n'y aurait pas quelque chose que j'aurai pu manquer au niveau des objections, cependant veuilliez prendre note que les répétitions des objections énumérées ici ainsi que les railleries ne seront pas pris en compte par ma personne. Il est aussi à noter que beaucoup ont discuté sur la preuve anselmienne de l'existence de Dieu mais en réalité très peu d'entre-eux l'ont véritablement lu! Je vous invite donc à y jeter un coup d’œil par vous-même l'ouvrage étant disponible ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Proslogion
Les trois critiques les plus connues de la preuve anselmienne sont celles de:
Gaunilo, un moine à qui l'ouvrage était en particulier dédié, sa critique est une parodie de la preuve et donc n'est pas tellement importante à traiter. Mais néanmoins puisque l'argument est très mal compris il est nécessaire d'y répondre pour le bénéfice de tous.
Saint Thomas d'Aquin, docteur des docteurs de la Sainte Église Catholique et Apostolique, sa critique est de loin la plus pertinente bien qu'il ne s'agisse pas en bonne et due forme d'une réfutation on est forcé de la prendre en considération et considérer que l'argument n'est pas aussi triomphant que le croyant Saint Anselme.
La critique kantienne, Kant n'a pas lu Saint Anselme et ne sait probablement même pas de qui il s'agit, la critique kantienne est faite contre Descartes qui a un argument similaire mais bien moins fort que celui de Saint Anselme. Puisque la critique kantienne et l'argument ontologique sont des poncifs très répandus il est nécessaire d'expliquer en quoi Kant ne réfute pas la preuve anselmienne et en quoi celle-ci n'est pas concernée par la critique kantienne.
Tout d'abord il est nécessaire de rappeler le contexte métaphysique particulier dans lequel évolue Saint Anselme.
Le Moyen-Âge est philosophiquement dominé par l'augustinisme, doctrine philosophique de Saint Augustin qui faisait autorité en Occident comme le plus grand de tous les docteurs de l'Église. L'augustinisme découle d'une sorte de néoplatonisation de la pensée chrétienne, l'augustinisme n'est pas spécialement néoplatonicien mais il est très certainement grandement influencé par celui-ci. Dans ce courant on y retrouve le principe des idéaux, ce qui existe dans la pensé existe aussi dans la réalité et donc si on arrive à concevoir quelque chose dans la pensée c'est que cela existe aussi dans la réalité. Par exemple si j'arrive à imaginer l'idée d'une licorne avec un cheval et une corne j'amalgame l'idée du cheval et de la corne qui existent véritablement dans la réalité. Le néoplatonisme réfléchit en terme de causalité comme la pensée aristotélicienne, il ne peut exister quelque chose en actualité qui ne fut pas d'abord puissance et donc les pensées sont des actualités analysées de ce point de vue puisqu'elles existent en puissance dans la nature de l'homme et l'homme est une lui-même une actualité d'une puissance qui existait aussi dans la réalité avant sa formation, et ainsi de suite jusqu'à la cause première. Et c'est ainsi que l'on démontre l'existence des idéaux. Mais la force de la preuve anselmienne ne repose pas du tout sur l'existence des idéaux et des universaux, la force de la preuve anselmienne réside dans le fait que l'on ne peut pas concevoir l'inexistence de Dieu. Même un athée est forcé de reconnaître son existence bien qu'il refuse d'y croire et c'est justement ce que nous allons traiter ici je vais exposer les chapitre 2 et 3 du Proslogion (svp ne pas vous sentir vexés par le terme insensé).
CHAPITRE. II.
Mon Dieu, vous qui donnez l'intelligence à la foi, faites que je comprenne, autant que vous le jugez utile, que vous existez comme nous le croyons, et que vous êtes tel que nous vous croyons. La foi nous dit que vous êtes l'être par excellence, l'être au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir. « L'insensé a dit dans son cœur : II n'y a point de Dieu ; » a-t-il dit vrai ? la foi nous trompe-t-elle quand elle affirme l'existence de la divinité ? non, certes. L'insensé lui-même, en entendant parler d'un être supérieur à tous les autres et au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir, comprend nécessairement ce qu'il entend ; or, ce qu'il comprend existe dans son esprit, bien qu'il en ignore l'existence extérieure. Car autre chose est l'existence d'un objet dans l'intelligence, autre chose la notion de l'existence de cet objet. Ainsi quand un peintre médite un tableau qu'il va bientôt jeter sur la toile, ce tableau existe déjà dans son esprit ; mais l'artiste n'a pas encore l'idée de l'existence réelle d'une œuvre qu'il n'a pas encore enfantée; il ne peut avoir cette idée que lorsque l'œuvre conçue dans son imagination prend une forme et s'incarne, pour ainsi dire, sous son pinceau. Dès lors cette œuvre existe à la fois et dans l'esprit de l'artiste et dans la réalité. L'insensé lui-même est donc forcé d'avouer qu'il existe, du moins dans l'intelligence, quelque chose au-dessus de laquelle la pensée ne peut rien concevoir, puisqu'on entendant parler de cet être suprême, quel qu'il soit, il comprend ce qu'il entend, et que tout ce qui est compris existe dans l'intelligence. Or, cet être suprême au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir ne saurait exister dans l'intelligence seule ; car, en supposant que cela soit, rien n'empêche de le concevoir comme existant aussi dans la réalité, ce qui est un mode d'existence supérieur au premier. Si donc l'être suprême existait dans l'intelligence seule, il y aurait quelque chose que la pensée pourrait concevoir au-dessus de lui ; il ne serait plus l'être par excellence, ce qui implique contradiction. Il existe donc sans aucun doute, et dans l'intelligence et dans la réalité, un être au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir.
CHAPITRE III.
Cet être suprême existe si bien qu'il est impossible de concevoir sa non-existence. En effet, on peut avoir l'idée de quelque chose qui existe nécessairement et d'une manière absolue; or ce mode d'existence est supérieur à celui qui caractérise les êtres contingents. Si donc on pouvait concevoir la non-existence de l'être suprême et faire de lui un être contingent, la pensée serait libre de concevoir au-dessus de lui quelque chose dont l'existence serait nécessaire ; par conséquent il ne serait plus l'être par excellence, ce qui implique contradiction. Il existe donc un être suprême, et cet être suprême existe si bien que la pensée ne peut concevoir sa non-existence. C'est vous qui êtes cet être par excellence, mon Seigneur et mon Dieu; et vous existez avec tant de plénitude et de vérité qu'il est impossible de comprendre que vous n'existiez point; et c'est justice. Si la pensée humaine pouvait avoir l'idée d'un être supérieur à vous, la créature s'élèverait au-dessus du Créateur et le jugerait du haut de son orgueil, conséquence absurde et monstrueuse qui détruit la supposition dont elle est née. Tous les êtres, excepté vous, n'ont qu'une existence accidentelle et incomplète, puisque la pensée peut les supposer anéantis ; seul vous avez la pleine et véritable existence, puis-que vous êtes l'être nécessaire et absolu. Pourquoi donc « l'insensé » a-t-il dit dans son cœur : « Dieu n'existe point, » quand la raison affirme que vous êtes le seul être qui possédiez l'existence véritable et complète ? Pourquoi, si ce n'est parce qu'il est privé de raison, parce qu'il est « insensé? »
Je vous invite à bien lire attentivement, et relire plusieurs fois, l'argument qui est en deux version différente, la première est la plus connue mais la seconde version est un clarification de la première
Maintenant abordons les objections les plus courantes
Gaunilo
Gaunilo a parodier l'argument, à son avis cela ne prouve pas du tout l'existence de Dieu et il utilise l'exemple d'une île pour montrer que selon lui avec une telle logique on peut prouver l'existence de n'importe quoi:
Il existe une île selon laquelle il n'en existe pas de plus grande et si j'en imagine une plus grande alors je viens de montrer qu'il ne peut en exister une plus grande.
En quoi est-ce que le contre-argument d'une telle nature est toujours voué à l'échec?
1 D'abord l'idée d'une île selon laquelle il ne peut en exister une plus grande est une antinomie, par ses attributs intrinsèques l'île a une limite et dès lors de tout ce qui existe avec une limite on peut en imaginer une version encore plus grande.
2 Toute substance contingente est limité par nature, il est donc impossible d'apposer le raisonnement à une telle substance puisque l'argument consiste à démontrer l'impossibilité de concevoir l'inexistence d'une substance plus grande en attributs que Dieu.
Je ne m'étendrai pas pas plus longtemps sur ce type d'objection puisqu'il montre en lui-même que celui qu'il l'utilise ne comprend tout simplement pas l'argument et donc il est inutile de s'y attarder plus, d'ailleurs je ne répondrai à personne qui croira pouvoir utiliser ce contre-argument, tout ce que j'ai à vous dire c'est débrouillez-vous pour au moins comprendre l'argument et on en discutera par la suite.
Saint Thomas d'Aquin
Notre grand docteur a soulevé les objections les plus pertinentes il est donc nécessaire ici d'y répondre.
1 Il n'est pas admis que chacun a la même définition de la nature de Dieu comme quoi il s'agit de l'être selon lequel on ne peut en concevoir un plus grand.
Réponse simple:
Il n'est pas nécessaire à la cohérence de l'argument que Dieu ait une telle définition, on a tout simplement à y retirer le terme et parler de prouver l'existence d'un être selon lequel il n'existe rien de plus grand.
2 Même si chacun partage cette définition de Dieu, il n'est pas admis que l'on arrive à comprendre ce que signifie l'être selon lequel rien de plus grand puisse exister, cela apparaît plutôt comme une vue de l'esprit
Réponse rapide
Le succès de l'argument ne repose pas sur la capacité de concevoir ce que signifie l'être selon lequel rien de plus grand puisse exister mais sur l'impossibilité de concevoir sa non-existence.
3 Les preuves a priori ne sont pas de véritables preuves, il faut privilégier l'existence du réel.
Objection forte, mais encore une fois le succès de l'argument ne repose pas sur la métaphysique et la théorie des formes de Platon mais sur l'impossibilité de concevoir l'inexistence de Dieu. Je note toutefois qu'il s'agisse du seul contre-argument qui diminue la force de cet argument.
Kant
Kant n'a pas lu Saint Anselme, il répond à Descartes et pour cette raison je vais tout simplement démontrer en quoi la preuve anselmienne n'est pas concernée par la critique kantienne.
1 Kant nous dit que l'existence n'est pas un attribut.
Il faut d'abord noter qu'il s'agit ici d'une objection de type métaphysique et donc si on adhère à la théorie des formes de Platon elle ne tient pas mais pour le bien de la clarification je vais y répondre brièvement.
D'abord Kant tombe dans le piège de Saint Anselme, même si dans les faits il ne s'y attarde pas vraiment.
Si selon lui l'existence n'est pas un attribut alors on peut concevoir un être encore plus grand qui aurait l'existence comme un attribut.
Ensuite, il est à noter que dans le cas où l'existence ne serait pas un attribut cela ne concernerait SEULEMENT que les substance contingente et donc on en revient un peu à la critique de Gaunilo, en aucun temps un être nécessaire qui est son propre acte d'existence n'aurait pas l'existence comme attribut.
Mais je comprends tout de même le point de Kant, tout de fois il est nécessaire de rappeler que Kant n'était pas un catholique mais un luthérien, il ne concevait donc pas Dieu de la même façon que nous.
Les protestants comprennent Dieu comme une substance absolument simple et transcendante et donc sans attributs. Les protestants considèrent que les attributs de Dieu sont surajoutés par l'Homme et ne reflètent en rien sa nature.
Dans le catholicisme on a au contraire une autre façon de voir les choses, on distingue l'essence et les attributs, il existe deux écoles
1 La plus influente, la distinction est virtuelle, l'essence et les attributs sont une seule et même chose mais on les distingue dans notre esprit car dans l'essence elles se fondent en une unité absolue de sorte que le bonté de Dieu est sa sagesse, sa sagesse sa miséricorde et sa miséricorde sa sagesse.
2 La moins influente, la distinction est formelle (représenté par le scotisme chez les catholiques et le palamisme chez les orthodoxes), c'est à dire que Dieu choisit lui-même ses attributs, il s'agit d'une primauté de la volonté sur tout le reste, cette école est particulièrement problématique et c'est pour cette raison qu'elle est très impopulaire.
La critique kantienne serait pertinente dans la cas d'une distinction formelle entre l'essence et les attributs car en effet l'existence ne serait pas un attributs que il y aurait primat de la volonté sur les attributs et on ne pourrait justifier le rejet de la critique kantienne comme par exemple chez les protestants qui ont une vision un peu similaire au scotisme.
Dans le cas de la distinction virtuelle entre l'essence et les attributs la critique kantienne est absolument impertinente car l'existence est bel et bien un attribut chez une être nécessaire et c'est bien ce qui le différencie des êtres contingents qui n'ont pas l'existence comme attribut intrinsèque.
Voilà cela conclut ma clarification sur la preuve anselmienne de l'existence de Dieu, je voudrais encore une fois rappeler le point fondamental de cette preuve
1 Si vous n'adhérez pas à la théorie des formes de Platon ou encore à un quelconque dérivé du néoplatonisme il ne s'agit pas en effet d'une preuve mais plutôt d'un argument qui empêche de concevoir rationnellement l'inexistence de Dieu.
2 Le succès de l'argument ne repose pas sur sa vérité empirique mais sur sa cohérence interne.
3 Il existe une version beaucoup plus forte de cet argument que l'on appelle l'argument ontologique modal formulé par le philosophe Alvin Plantinga si jamais vous n'êtes pas vraiment convaincu par l'argument.
En commentaire finale je dois avouer que la preuve anselmienne de l'existence de Dieu est tout sauf convaincante, néanmoins sa cohérence interne est suffisante pour le besoin de l'exercice, si je suis d'accord pour dire que c'est loin d'être le meilleur argument à présenter à un athée je suis quand même d'avis que ça reste un argument extrêmement solide tout de même.
Je vous invite à me proposer d'autres objections si jamais vous pensez qu'il en existe d'autres, cependant sachez que je ne répondrai pas aux parodies ou aux accusations d'argument circulaire, car s'en n'est pas un. Une substance nécessaire est par définition son propre acte d'existence et si on dit que Dieu n'existe pas et que la nature est nécessaire alors elle est elle-même son propre acte d'existence comme le serait Dieu, ce n'est pas un argument circulaire c'est simplement une caractéristique intrinsèque d'une substance nécessaire.
Voilà
Les trois critiques les plus connues de la preuve anselmienne sont celles de:
Gaunilo, un moine à qui l'ouvrage était en particulier dédié, sa critique est une parodie de la preuve et donc n'est pas tellement importante à traiter. Mais néanmoins puisque l'argument est très mal compris il est nécessaire d'y répondre pour le bénéfice de tous.
Saint Thomas d'Aquin, docteur des docteurs de la Sainte Église Catholique et Apostolique, sa critique est de loin la plus pertinente bien qu'il ne s'agisse pas en bonne et due forme d'une réfutation on est forcé de la prendre en considération et considérer que l'argument n'est pas aussi triomphant que le croyant Saint Anselme.
La critique kantienne, Kant n'a pas lu Saint Anselme et ne sait probablement même pas de qui il s'agit, la critique kantienne est faite contre Descartes qui a un argument similaire mais bien moins fort que celui de Saint Anselme. Puisque la critique kantienne et l'argument ontologique sont des poncifs très répandus il est nécessaire d'expliquer en quoi Kant ne réfute pas la preuve anselmienne et en quoi celle-ci n'est pas concernée par la critique kantienne.
Tout d'abord il est nécessaire de rappeler le contexte métaphysique particulier dans lequel évolue Saint Anselme.
Le Moyen-Âge est philosophiquement dominé par l'augustinisme, doctrine philosophique de Saint Augustin qui faisait autorité en Occident comme le plus grand de tous les docteurs de l'Église. L'augustinisme découle d'une sorte de néoplatonisation de la pensée chrétienne, l'augustinisme n'est pas spécialement néoplatonicien mais il est très certainement grandement influencé par celui-ci. Dans ce courant on y retrouve le principe des idéaux, ce qui existe dans la pensé existe aussi dans la réalité et donc si on arrive à concevoir quelque chose dans la pensée c'est que cela existe aussi dans la réalité. Par exemple si j'arrive à imaginer l'idée d'une licorne avec un cheval et une corne j'amalgame l'idée du cheval et de la corne qui existent véritablement dans la réalité. Le néoplatonisme réfléchit en terme de causalité comme la pensée aristotélicienne, il ne peut exister quelque chose en actualité qui ne fut pas d'abord puissance et donc les pensées sont des actualités analysées de ce point de vue puisqu'elles existent en puissance dans la nature de l'homme et l'homme est une lui-même une actualité d'une puissance qui existait aussi dans la réalité avant sa formation, et ainsi de suite jusqu'à la cause première. Et c'est ainsi que l'on démontre l'existence des idéaux. Mais la force de la preuve anselmienne ne repose pas du tout sur l'existence des idéaux et des universaux, la force de la preuve anselmienne réside dans le fait que l'on ne peut pas concevoir l'inexistence de Dieu. Même un athée est forcé de reconnaître son existence bien qu'il refuse d'y croire et c'est justement ce que nous allons traiter ici je vais exposer les chapitre 2 et 3 du Proslogion (svp ne pas vous sentir vexés par le terme insensé).
CHAPITRE. II.
Mon Dieu, vous qui donnez l'intelligence à la foi, faites que je comprenne, autant que vous le jugez utile, que vous existez comme nous le croyons, et que vous êtes tel que nous vous croyons. La foi nous dit que vous êtes l'être par excellence, l'être au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir. « L'insensé a dit dans son cœur : II n'y a point de Dieu ; » a-t-il dit vrai ? la foi nous trompe-t-elle quand elle affirme l'existence de la divinité ? non, certes. L'insensé lui-même, en entendant parler d'un être supérieur à tous les autres et au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir, comprend nécessairement ce qu'il entend ; or, ce qu'il comprend existe dans son esprit, bien qu'il en ignore l'existence extérieure. Car autre chose est l'existence d'un objet dans l'intelligence, autre chose la notion de l'existence de cet objet. Ainsi quand un peintre médite un tableau qu'il va bientôt jeter sur la toile, ce tableau existe déjà dans son esprit ; mais l'artiste n'a pas encore l'idée de l'existence réelle d'une œuvre qu'il n'a pas encore enfantée; il ne peut avoir cette idée que lorsque l'œuvre conçue dans son imagination prend une forme et s'incarne, pour ainsi dire, sous son pinceau. Dès lors cette œuvre existe à la fois et dans l'esprit de l'artiste et dans la réalité. L'insensé lui-même est donc forcé d'avouer qu'il existe, du moins dans l'intelligence, quelque chose au-dessus de laquelle la pensée ne peut rien concevoir, puisqu'on entendant parler de cet être suprême, quel qu'il soit, il comprend ce qu'il entend, et que tout ce qui est compris existe dans l'intelligence. Or, cet être suprême au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir ne saurait exister dans l'intelligence seule ; car, en supposant que cela soit, rien n'empêche de le concevoir comme existant aussi dans la réalité, ce qui est un mode d'existence supérieur au premier. Si donc l'être suprême existait dans l'intelligence seule, il y aurait quelque chose que la pensée pourrait concevoir au-dessus de lui ; il ne serait plus l'être par excellence, ce qui implique contradiction. Il existe donc sans aucun doute, et dans l'intelligence et dans la réalité, un être au-dessus duquel la pensée ne peut rien concevoir.
CHAPITRE III.
Cet être suprême existe si bien qu'il est impossible de concevoir sa non-existence. En effet, on peut avoir l'idée de quelque chose qui existe nécessairement et d'une manière absolue; or ce mode d'existence est supérieur à celui qui caractérise les êtres contingents. Si donc on pouvait concevoir la non-existence de l'être suprême et faire de lui un être contingent, la pensée serait libre de concevoir au-dessus de lui quelque chose dont l'existence serait nécessaire ; par conséquent il ne serait plus l'être par excellence, ce qui implique contradiction. Il existe donc un être suprême, et cet être suprême existe si bien que la pensée ne peut concevoir sa non-existence. C'est vous qui êtes cet être par excellence, mon Seigneur et mon Dieu; et vous existez avec tant de plénitude et de vérité qu'il est impossible de comprendre que vous n'existiez point; et c'est justice. Si la pensée humaine pouvait avoir l'idée d'un être supérieur à vous, la créature s'élèverait au-dessus du Créateur et le jugerait du haut de son orgueil, conséquence absurde et monstrueuse qui détruit la supposition dont elle est née. Tous les êtres, excepté vous, n'ont qu'une existence accidentelle et incomplète, puisque la pensée peut les supposer anéantis ; seul vous avez la pleine et véritable existence, puis-que vous êtes l'être nécessaire et absolu. Pourquoi donc « l'insensé » a-t-il dit dans son cœur : « Dieu n'existe point, » quand la raison affirme que vous êtes le seul être qui possédiez l'existence véritable et complète ? Pourquoi, si ce n'est parce qu'il est privé de raison, parce qu'il est « insensé? »
Je vous invite à bien lire attentivement, et relire plusieurs fois, l'argument qui est en deux version différente, la première est la plus connue mais la seconde version est un clarification de la première
Maintenant abordons les objections les plus courantes
Gaunilo
Gaunilo a parodier l'argument, à son avis cela ne prouve pas du tout l'existence de Dieu et il utilise l'exemple d'une île pour montrer que selon lui avec une telle logique on peut prouver l'existence de n'importe quoi:
Il existe une île selon laquelle il n'en existe pas de plus grande et si j'en imagine une plus grande alors je viens de montrer qu'il ne peut en exister une plus grande.
En quoi est-ce que le contre-argument d'une telle nature est toujours voué à l'échec?
1 D'abord l'idée d'une île selon laquelle il ne peut en exister une plus grande est une antinomie, par ses attributs intrinsèques l'île a une limite et dès lors de tout ce qui existe avec une limite on peut en imaginer une version encore plus grande.
2 Toute substance contingente est limité par nature, il est donc impossible d'apposer le raisonnement à une telle substance puisque l'argument consiste à démontrer l'impossibilité de concevoir l'inexistence d'une substance plus grande en attributs que Dieu.
Je ne m'étendrai pas pas plus longtemps sur ce type d'objection puisqu'il montre en lui-même que celui qu'il l'utilise ne comprend tout simplement pas l'argument et donc il est inutile de s'y attarder plus, d'ailleurs je ne répondrai à personne qui croira pouvoir utiliser ce contre-argument, tout ce que j'ai à vous dire c'est débrouillez-vous pour au moins comprendre l'argument et on en discutera par la suite.
Saint Thomas d'Aquin
Notre grand docteur a soulevé les objections les plus pertinentes il est donc nécessaire ici d'y répondre.
1 Il n'est pas admis que chacun a la même définition de la nature de Dieu comme quoi il s'agit de l'être selon lequel on ne peut en concevoir un plus grand.
Réponse simple:
Il n'est pas nécessaire à la cohérence de l'argument que Dieu ait une telle définition, on a tout simplement à y retirer le terme et parler de prouver l'existence d'un être selon lequel il n'existe rien de plus grand.
2 Même si chacun partage cette définition de Dieu, il n'est pas admis que l'on arrive à comprendre ce que signifie l'être selon lequel rien de plus grand puisse exister, cela apparaît plutôt comme une vue de l'esprit
Réponse rapide
Le succès de l'argument ne repose pas sur la capacité de concevoir ce que signifie l'être selon lequel rien de plus grand puisse exister mais sur l'impossibilité de concevoir sa non-existence.
3 Les preuves a priori ne sont pas de véritables preuves, il faut privilégier l'existence du réel.
Objection forte, mais encore une fois le succès de l'argument ne repose pas sur la métaphysique et la théorie des formes de Platon mais sur l'impossibilité de concevoir l'inexistence de Dieu. Je note toutefois qu'il s'agisse du seul contre-argument qui diminue la force de cet argument.
Kant
Kant n'a pas lu Saint Anselme, il répond à Descartes et pour cette raison je vais tout simplement démontrer en quoi la preuve anselmienne n'est pas concernée par la critique kantienne.
1 Kant nous dit que l'existence n'est pas un attribut.
Il faut d'abord noter qu'il s'agit ici d'une objection de type métaphysique et donc si on adhère à la théorie des formes de Platon elle ne tient pas mais pour le bien de la clarification je vais y répondre brièvement.
D'abord Kant tombe dans le piège de Saint Anselme, même si dans les faits il ne s'y attarde pas vraiment.
Si selon lui l'existence n'est pas un attribut alors on peut concevoir un être encore plus grand qui aurait l'existence comme un attribut.
Ensuite, il est à noter que dans le cas où l'existence ne serait pas un attribut cela ne concernerait SEULEMENT que les substance contingente et donc on en revient un peu à la critique de Gaunilo, en aucun temps un être nécessaire qui est son propre acte d'existence n'aurait pas l'existence comme attribut.
Mais je comprends tout de même le point de Kant, tout de fois il est nécessaire de rappeler que Kant n'était pas un catholique mais un luthérien, il ne concevait donc pas Dieu de la même façon que nous.
Les protestants comprennent Dieu comme une substance absolument simple et transcendante et donc sans attributs. Les protestants considèrent que les attributs de Dieu sont surajoutés par l'Homme et ne reflètent en rien sa nature.
Dans le catholicisme on a au contraire une autre façon de voir les choses, on distingue l'essence et les attributs, il existe deux écoles
1 La plus influente, la distinction est virtuelle, l'essence et les attributs sont une seule et même chose mais on les distingue dans notre esprit car dans l'essence elles se fondent en une unité absolue de sorte que le bonté de Dieu est sa sagesse, sa sagesse sa miséricorde et sa miséricorde sa sagesse.
2 La moins influente, la distinction est formelle (représenté par le scotisme chez les catholiques et le palamisme chez les orthodoxes), c'est à dire que Dieu choisit lui-même ses attributs, il s'agit d'une primauté de la volonté sur tout le reste, cette école est particulièrement problématique et c'est pour cette raison qu'elle est très impopulaire.
La critique kantienne serait pertinente dans la cas d'une distinction formelle entre l'essence et les attributs car en effet l'existence ne serait pas un attributs que il y aurait primat de la volonté sur les attributs et on ne pourrait justifier le rejet de la critique kantienne comme par exemple chez les protestants qui ont une vision un peu similaire au scotisme.
Dans le cas de la distinction virtuelle entre l'essence et les attributs la critique kantienne est absolument impertinente car l'existence est bel et bien un attribut chez une être nécessaire et c'est bien ce qui le différencie des êtres contingents qui n'ont pas l'existence comme attribut intrinsèque.
Voilà cela conclut ma clarification sur la preuve anselmienne de l'existence de Dieu, je voudrais encore une fois rappeler le point fondamental de cette preuve
1 Si vous n'adhérez pas à la théorie des formes de Platon ou encore à un quelconque dérivé du néoplatonisme il ne s'agit pas en effet d'une preuve mais plutôt d'un argument qui empêche de concevoir rationnellement l'inexistence de Dieu.
2 Le succès de l'argument ne repose pas sur sa vérité empirique mais sur sa cohérence interne.
3 Il existe une version beaucoup plus forte de cet argument que l'on appelle l'argument ontologique modal formulé par le philosophe Alvin Plantinga si jamais vous n'êtes pas vraiment convaincu par l'argument.
En commentaire finale je dois avouer que la preuve anselmienne de l'existence de Dieu est tout sauf convaincante, néanmoins sa cohérence interne est suffisante pour le besoin de l'exercice, si je suis d'accord pour dire que c'est loin d'être le meilleur argument à présenter à un athée je suis quand même d'avis que ça reste un argument extrêmement solide tout de même.
Je vous invite à me proposer d'autres objections si jamais vous pensez qu'il en existe d'autres, cependant sachez que je ne répondrai pas aux parodies ou aux accusations d'argument circulaire, car s'en n'est pas un. Une substance nécessaire est par définition son propre acte d'existence et si on dit que Dieu n'existe pas et que la nature est nécessaire alors elle est elle-même son propre acte d'existence comme le serait Dieu, ce n'est pas un argument circulaire c'est simplement une caractéristique intrinsèque d'une substance nécessaire.
Voilà