Canon Pali : Le récit de la scie : patience face au propos désagréables
Posté : 06 nov.20, 21:20
MN 21
Kakacūpama Sutta : Le récit de la scie
Un discours au sujet du besoin d'être patient lorsque l'on fait face à des propos désagréables.
Traduction de Christian Maës
Ainsi ai-je entendu.
En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.
A la même époque le vénérable Moliyaphagguna sympathisait avec les nonnes en dépassant les bornes : si un moine critiquait les nonnes en sa présence, il se mettait en colère et manifestait son mécontentement en accusant le moine ; et si un moine critiquait le vénérable Phagguna en présence des nonnes, celles-ci se mettaient en colère et manifestaient leur mécontentement en accusant le moine. Voilà comment le vénérable Phagguna-au-chignon sympathisait avec les nonnes.
Un moine alla trouver le Seigneur. Il salua le Seigneur en arrivant et s’assit convenablement. Une fois bien assis, ce moine dit au Seigneur :
— Seigneur, le vénérable Phagguna-au-chignon sympathise avec les nonnes en dépassant les bornes : si un moine critique ces nonnes en sa présence, il se met en colère et manifeste son mécontentement en accusant le moine. Et si un moine critique le vénérable Phagguna en présence des nonnes, celles-ci se mettent en colère et manifestent leur mécontentement en accusant le moine. Voilà comment le vénérable Phagguna sympathise avec les nonnes.
Le Seigneur appela un autre moine :
— Va, moine, convoquer de ma part le moine Phagguna-au-chignon en lui disant : “Le Seigneur te convoque, ami Phagguna.”
— Bien, Seigneur.
Le moine obéit au Seigneur, alla trouver le vénérable Phagguna et lui dit :
— Le Seigneur te convoque, ami Phagguna.
— Bien, mon ami.
Le vénérable Phagguna obéit au moine, il se rendit auprès du Seigneur qu’il salua en arrivant et il s’assit convenablement.
Quand il fut bien assis, le Seigneur lui demanda :
— Est-il vrai comme on le raconte que toi, Phagguna, tu sympathises avec les nonnes en dépassant les bornes ? On dit de toi, Phagguna, que tu sympathises avec les nonnes ainsi : si un moine critique ces nonnes en ta présence, tu te mets en colère et tu manifestes ton mécontentement en accusant le moine ; et si un moine te critique en présence des nonnes, celles-ci se mettent en colère et manifestent leur mécontentement en accusant le moine. Est-ce bien ainsi, Phagguna, que tu sympathises avec les nonnes ?
— Oui, Seigneur.
— Est-ce avec confiance, Phagguna, que toi, un fils de bonne famille, tu es passé du foyer au sans-foyer ?
— Oui, Seigneur.
— Alors il ne convient pas que tu sympathises avec les nonnes en dépassant les bornes. Par conséquent, Phagguna, si quelqu’un critique ces nonnes en ta présence, tu dois abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être s’altérer, je ne proférerai aucune mauvaise parole, je resterai amical, bienveillant, sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
De plus, Phagguna, si quelqu’un bat ces nonnes en ta présence, s’il les frappe à coups de pierre, de bâton ou d’épée, tu dois là aussi abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être se détériorer, je ne proférerai pas de mauvaises paroles, je resterai amical, bienveillant et sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
De plus, Phagguna, si c’est toi que l’on critique face à face… toi que l’on bat, toi que l’on frappe à coups de pierres, de bâton ou d’épée, tu dois encore abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être s’altérer, je ne proférerai aucune mauvaise parole, je resterai amical, bienveillant, sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
Puis le Seigneur s’adressa aux moines :
— Il y eut cette fois, moines, où mes moines me comblèrent d’aise. Je m’étais adressé à eux pour leur dire : “Je mange en une seule session, moines, et en procédant ainsi, je ne connais pas la maladie, je reste frais et dispos, léger et vigoureux. Vous aussi, moines, mangez en une seule session. En procédant ainsi, vous ne connaîtrez pas non plus la maladie et vous resterez frais et dispos, légers et vigoureux.” Je n’eus pas besoin de répéter cette consigne, il m’avait suffi d’attirer leur attention.
Supposez, moines, qu’il y ait sur le sol uni d’un grand carrefour un char attelé d’un pur-sang et contenant un aiguillon. Si un habile cocher, passé maître dans le dressage des chevaux, y monte, prend les rênes de la main gauche et l’aiguillon de la main droite, il peut faire avancer et reculer le char comme il veut, là où il veut. De même, moines, je n’eus pas besoin de répéter cette consigne aux moines, il avait suffi d’attirer leur attention.
Comme eux, moines, abandonnez le pernicieux et consacrez-vous au bénéfique, c’est ainsi que vous croîtrez dans ce, (manque un mot) que vous y prospérerez et vous vous y épanouirez.
Supposez maintenant, moines, qu’il y ait près d’un hameau ou d’un village un grand bois d’arbres sals envahi de ricin. S’il vient un homme qui veut faire prospérer ce bois, l’assainir et le préserver, il coupe les pousses de sal tordues et chétives, il les porte à l’extérieur, nettoie minutieusement tout l’intérieur du bois et soigne les pousses droites et vigoureuses de façon à faire prospérer le bois, à l’assainir, à le préserver. De même, moines, extirpez le pernicieux et développez le bénéfique, c’est ainsi que vous croîtrez dans ce (manque un mot), que vous y prospérerez et vous vous y épanouirez.
« Il y eut autrefois, moines, dans cette ville de Sâvatthi une noble dame du nom de Sage. Dame Sage jouissait d’une flatteuse réputation : “Dame Sage est gentille, Dame Sage est douce, Dame Sage est paisible.” Or Dame Sage avait une servante, appelée Noire, qui était adroite, industrieuse et soigneuse. Et cette servante eut l’idée suivante : “Ma maîtresse jouit de la flatteuse réputation d’être gentille, douce et calme. Mais ne cacherait-elle pas quelque irritabilité qui ne se manifeste pas tant que je suis soigneuse dans mon travail ? Je vais la mettre à l’épreuve.”
Un matin, moines, la servante Noire se leva tard. Dame Sage l’interpella :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Mécontente et irritée, Dame Sage fronça les sourcils.
Noire pensa alors : “Il semble bien exister chez ma maîtresse une irritabilité cachée qui ne se manifeste pas tant que je suis soigneuse dans mon travail. Je vais la mettre un peu plus à l’épreuve.”
La servante Noire se leva plus tard et Dame Sage l’interpella :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée plus tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Méchante servante qui s’est levée tard ! Mécontente et irritée, Dame Sage laissa sortir une parole de mécontentement.
De nouveau, moines, Noire pensa : “Il est maintenant avéré qu’il existe chez ma maîtresse une irritabilité cachée qui ne se montre pas tant que je suis soigneuse dans mon travail.
Je vais renforcer encore l’épreuve.” La servante Noire se leva donc encore plus tard, et Dame Sage l’interpella de nouveau :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée encore plus tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Méchante servante qui s’est levée encore plus tard ! Mécontente et irritée, Dame Sage prit la chevillette et lui en asséna sur la tête un coup si fort qu’il lui fendit le crâne. Alors, moines, la servante Noire montra au voisinage son crâne fendu et ensanglanté :
— Voyez, mesdames, l’œuvre de la gentille, voyez l’œuvre de la douce, voyez l’œuvre de la paisible. Voyez comment, mécontente et irritée, elle a demandé à son unique servante pourquoi celle-ci s’était levée si tard et comment elle a pris la chevillette pour lui en asséner sur la tête un coup qui lui a fendu le crâne.
Depuis ce temps, moines, Dame Sage souffrit d’une mauvaise réputation : “Dame Sage est violente, Dame Sage est brutale, Dame Sage est coléreuse.”
De même, moines, il y a des moines qui sont tout gentils, tout doux et tout paisibles tant qu’ils n’entendent pas de paroles déplaisantes. Mais c’est lorsque des paroles déplaisantes les atteignent que l’on peut savoir s’ils sont vraiment gentils, doux et paisibles. Je ne qualifie pas de docile le moine qui obéit et parle suavement à seule fin de recevoir le vêtement, la nourriture, le logement et les médicaments contre la maladie. Pourquoi ? Parce qu’il n’est plus docile et ne parle plus suavement s’il ne reçoit pas le vêtement, la nourriture, le logement ou le médicament attendus.
En revanche, le moine qui obéit et qui parle suavement pour vénérer, honorer et respecter le dhamma, celui-là je l’appelle obéissant. Par conséquent, moines, vous devez vous exercer ainsi : “Nous obéirons et nous parlerons suavement pour vénérer le dhamma, l’honorer et le respecter.”
Quand ils vous parlent, moines, les autres peuvent le faire de cinq façons : à temps ou à contre-temps, en accord avec les faits ou en désaccord avec les faits, gentiment ou durement, de façon sensée ou de façon insensée, avec amitié ou avec aversion.
Que les autres vous parlent à temps ou à contre-temps, qu’ils vous parlent en accord avec les faits ou non, qu’ils vous parlent avec gentillesse ou avec dureté, qu’ils vous parlent de façon sensée ou de façon insensée, qu’ils vous parlent avec amitié ou avec aversion, vous, moines, vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune.
Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant ”. Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme peut bien apporter une pelle et un panier en déclarant : “Je vais réduire la terre à néant.” Il peut bien creuser çà et là, disperser la terre çà et là, la jeter çà et là, la lancer çà et là en disant : “Tu n’es plus terre, tu n’es plus terre”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il réduire cette grande terre à néant ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que cette grande terre est profonde, Seigneur, elle est immense, il n’est pas facile de la réduire à néant, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme, moines, peut bien apporter de la laque, de la curcumine, du noir ou de l’écarlate et déclarer : “Je vais peindre une image sur le ciel, je vais la rendre visible”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il peindre une image sur le ciel, la rendre visible ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que le ciel n’est pas matériel, Seigneur, il est invisible, on ne peut pas y peindre une image ni la rendre visible, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme peut bien apporter une torche embrasée et déclarer : “Je vais chauffer le Gange avec cette torche jusqu’à le faire bouillir”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il chauffer le Gange avec sa torche embrasée et le faire bouillir ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que le Gange est profond, Seigneur, il est immense, on ne peut pas le chauffer avec une torche embrasée jusqu’à le faire bouillir, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune.
Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« On peut trouver, moines, une poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas, qui ne craque pas, et un homme peut apporter un archet ou une baguette en déclarant : “De cette poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, entièrement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas, qui ne craque pas, je vais tirer des sons (?), je vais tirer des « sons » (?) au moyen de mon archet ou de ma baguette.” Qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il, au moyen de son archet ou de sa baguette, tirer des sons ou des sons de cette poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas et qui ne craque pas ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que, Seigneur, cette poche en peau de chat est assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, elle ne crisse pas et ne craque pas. Il n’est pas facile d’en tirer des ou des au moyen d’un archet ou d’une baguette, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Et même si de cruels brigands lui tranchaient les membres l’un après l’autre avec une scie à deux poignées, celui qui laisserait l’aversion l’envahir ne mettrait pas mon enseignement en pratique. Là aussi, moines, vous devriez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devriez vous exercer.
Si vous gardez constamment à l’esprit cette image de la scie, moines, voyez-vous une façon de parler, grossière ou subtile, que vous ne puissiez supporter ?
— Certes non, Seigneur.
— Par conséquent, moines, gardez constamment à l’esprit cette image de la scie, ce vous sera bénéfice et bonheur pour longtemps.
Ainsi parla le Seigneur.
Les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et ils s’en réjouirent.
Kakacūpama Sutta : Le récit de la scie
Un discours au sujet du besoin d'être patient lorsque l'on fait face à des propos désagréables.
Traduction de Christian Maës
Ainsi ai-je entendu.
En ce temps-là le Seigneur séjournait, près de Sâvatthi, dans le parc Anâthapiṇḍika du bois Jéta.
A la même époque le vénérable Moliyaphagguna sympathisait avec les nonnes en dépassant les bornes : si un moine critiquait les nonnes en sa présence, il se mettait en colère et manifestait son mécontentement en accusant le moine ; et si un moine critiquait le vénérable Phagguna en présence des nonnes, celles-ci se mettaient en colère et manifestaient leur mécontentement en accusant le moine. Voilà comment le vénérable Phagguna-au-chignon sympathisait avec les nonnes.
Un moine alla trouver le Seigneur. Il salua le Seigneur en arrivant et s’assit convenablement. Une fois bien assis, ce moine dit au Seigneur :
— Seigneur, le vénérable Phagguna-au-chignon sympathise avec les nonnes en dépassant les bornes : si un moine critique ces nonnes en sa présence, il se met en colère et manifeste son mécontentement en accusant le moine. Et si un moine critique le vénérable Phagguna en présence des nonnes, celles-ci se mettent en colère et manifestent leur mécontentement en accusant le moine. Voilà comment le vénérable Phagguna sympathise avec les nonnes.
Le Seigneur appela un autre moine :
— Va, moine, convoquer de ma part le moine Phagguna-au-chignon en lui disant : “Le Seigneur te convoque, ami Phagguna.”
— Bien, Seigneur.
Le moine obéit au Seigneur, alla trouver le vénérable Phagguna et lui dit :
— Le Seigneur te convoque, ami Phagguna.
— Bien, mon ami.
Le vénérable Phagguna obéit au moine, il se rendit auprès du Seigneur qu’il salua en arrivant et il s’assit convenablement.
Quand il fut bien assis, le Seigneur lui demanda :
— Est-il vrai comme on le raconte que toi, Phagguna, tu sympathises avec les nonnes en dépassant les bornes ? On dit de toi, Phagguna, que tu sympathises avec les nonnes ainsi : si un moine critique ces nonnes en ta présence, tu te mets en colère et tu manifestes ton mécontentement en accusant le moine ; et si un moine te critique en présence des nonnes, celles-ci se mettent en colère et manifestent leur mécontentement en accusant le moine. Est-ce bien ainsi, Phagguna, que tu sympathises avec les nonnes ?
— Oui, Seigneur.
— Est-ce avec confiance, Phagguna, que toi, un fils de bonne famille, tu es passé du foyer au sans-foyer ?
— Oui, Seigneur.
— Alors il ne convient pas que tu sympathises avec les nonnes en dépassant les bornes. Par conséquent, Phagguna, si quelqu’un critique ces nonnes en ta présence, tu dois abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être s’altérer, je ne proférerai aucune mauvaise parole, je resterai amical, bienveillant, sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
De plus, Phagguna, si quelqu’un bat ces nonnes en ta présence, s’il les frappe à coups de pierre, de bâton ou d’épée, tu dois là aussi abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être se détériorer, je ne proférerai pas de mauvaises paroles, je resterai amical, bienveillant et sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
De plus, Phagguna, si c’est toi que l’on critique face à face… toi que l’on bat, toi que l’on frappe à coups de pierres, de bâton ou d’épée, tu dois encore abandonner les élans profanes, les pensées profanes, et t’exercer ainsi : “Je ne laisserai pas mon état d’être s’altérer, je ne proférerai aucune mauvaise parole, je resterai amical, bienveillant, sans aversion aucune.” Voilà comment tu dois t’exercer.
Puis le Seigneur s’adressa aux moines :
— Il y eut cette fois, moines, où mes moines me comblèrent d’aise. Je m’étais adressé à eux pour leur dire : “Je mange en une seule session, moines, et en procédant ainsi, je ne connais pas la maladie, je reste frais et dispos, léger et vigoureux. Vous aussi, moines, mangez en une seule session. En procédant ainsi, vous ne connaîtrez pas non plus la maladie et vous resterez frais et dispos, légers et vigoureux.” Je n’eus pas besoin de répéter cette consigne, il m’avait suffi d’attirer leur attention.
Supposez, moines, qu’il y ait sur le sol uni d’un grand carrefour un char attelé d’un pur-sang et contenant un aiguillon. Si un habile cocher, passé maître dans le dressage des chevaux, y monte, prend les rênes de la main gauche et l’aiguillon de la main droite, il peut faire avancer et reculer le char comme il veut, là où il veut. De même, moines, je n’eus pas besoin de répéter cette consigne aux moines, il avait suffi d’attirer leur attention.
Comme eux, moines, abandonnez le pernicieux et consacrez-vous au bénéfique, c’est ainsi que vous croîtrez dans ce, (manque un mot) que vous y prospérerez et vous vous y épanouirez.
Supposez maintenant, moines, qu’il y ait près d’un hameau ou d’un village un grand bois d’arbres sals envahi de ricin. S’il vient un homme qui veut faire prospérer ce bois, l’assainir et le préserver, il coupe les pousses de sal tordues et chétives, il les porte à l’extérieur, nettoie minutieusement tout l’intérieur du bois et soigne les pousses droites et vigoureuses de façon à faire prospérer le bois, à l’assainir, à le préserver. De même, moines, extirpez le pernicieux et développez le bénéfique, c’est ainsi que vous croîtrez dans ce (manque un mot), que vous y prospérerez et vous vous y épanouirez.
« Il y eut autrefois, moines, dans cette ville de Sâvatthi une noble dame du nom de Sage. Dame Sage jouissait d’une flatteuse réputation : “Dame Sage est gentille, Dame Sage est douce, Dame Sage est paisible.” Or Dame Sage avait une servante, appelée Noire, qui était adroite, industrieuse et soigneuse. Et cette servante eut l’idée suivante : “Ma maîtresse jouit de la flatteuse réputation d’être gentille, douce et calme. Mais ne cacherait-elle pas quelque irritabilité qui ne se manifeste pas tant que je suis soigneuse dans mon travail ? Je vais la mettre à l’épreuve.”
Un matin, moines, la servante Noire se leva tard. Dame Sage l’interpella :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Mécontente et irritée, Dame Sage fronça les sourcils.
Noire pensa alors : “Il semble bien exister chez ma maîtresse une irritabilité cachée qui ne se manifeste pas tant que je suis soigneuse dans mon travail. Je vais la mettre un peu plus à l’épreuve.”
La servante Noire se leva plus tard et Dame Sage l’interpella :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée plus tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Méchante servante qui s’est levée tard ! Mécontente et irritée, Dame Sage laissa sortir une parole de mécontentement.
De nouveau, moines, Noire pensa : “Il est maintenant avéré qu’il existe chez ma maîtresse une irritabilité cachée qui ne se montre pas tant que je suis soigneuse dans mon travail.
Je vais renforcer encore l’épreuve.” La servante Noire se leva donc encore plus tard, et Dame Sage l’interpella de nouveau :
— Dis-moi, Noire !
— Quoi donc, madame ?
— Pourquoi t’es-tu levée encore plus tard ?
— Pour rien, madame.
— Pour rien ? Méchante servante qui s’est levée encore plus tard ! Mécontente et irritée, Dame Sage prit la chevillette et lui en asséna sur la tête un coup si fort qu’il lui fendit le crâne. Alors, moines, la servante Noire montra au voisinage son crâne fendu et ensanglanté :
— Voyez, mesdames, l’œuvre de la gentille, voyez l’œuvre de la douce, voyez l’œuvre de la paisible. Voyez comment, mécontente et irritée, elle a demandé à son unique servante pourquoi celle-ci s’était levée si tard et comment elle a pris la chevillette pour lui en asséner sur la tête un coup qui lui a fendu le crâne.
Depuis ce temps, moines, Dame Sage souffrit d’une mauvaise réputation : “Dame Sage est violente, Dame Sage est brutale, Dame Sage est coléreuse.”
De même, moines, il y a des moines qui sont tout gentils, tout doux et tout paisibles tant qu’ils n’entendent pas de paroles déplaisantes. Mais c’est lorsque des paroles déplaisantes les atteignent que l’on peut savoir s’ils sont vraiment gentils, doux et paisibles. Je ne qualifie pas de docile le moine qui obéit et parle suavement à seule fin de recevoir le vêtement, la nourriture, le logement et les médicaments contre la maladie. Pourquoi ? Parce qu’il n’est plus docile et ne parle plus suavement s’il ne reçoit pas le vêtement, la nourriture, le logement ou le médicament attendus.
En revanche, le moine qui obéit et qui parle suavement pour vénérer, honorer et respecter le dhamma, celui-là je l’appelle obéissant. Par conséquent, moines, vous devez vous exercer ainsi : “Nous obéirons et nous parlerons suavement pour vénérer le dhamma, l’honorer et le respecter.”
Quand ils vous parlent, moines, les autres peuvent le faire de cinq façons : à temps ou à contre-temps, en accord avec les faits ou en désaccord avec les faits, gentiment ou durement, de façon sensée ou de façon insensée, avec amitié ou avec aversion.
Que les autres vous parlent à temps ou à contre-temps, qu’ils vous parlent en accord avec les faits ou non, qu’ils vous parlent avec gentillesse ou avec dureté, qu’ils vous parlent de façon sensée ou de façon insensée, qu’ils vous parlent avec amitié ou avec aversion, vous, moines, vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune.
Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant ”. Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme peut bien apporter une pelle et un panier en déclarant : “Je vais réduire la terre à néant.” Il peut bien creuser çà et là, disperser la terre çà et là, la jeter çà et là, la lancer çà et là en disant : “Tu n’es plus terre, tu n’es plus terre”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il réduire cette grande terre à néant ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que cette grande terre est profonde, Seigneur, elle est immense, il n’est pas facile de la réduire à néant, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme, moines, peut bien apporter de la laque, de la curcumine, du noir ou de l’écarlate et déclarer : “Je vais peindre une image sur le ciel, je vais la rendre visible”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il peindre une image sur le ciel, la rendre visible ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que le ciel n’est pas matériel, Seigneur, il est invisible, on ne peut pas y peindre une image ni la rendre visible, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Un homme peut bien apporter une torche embrasée et déclarer : “Je vais chauffer le Gange avec cette torche jusqu’à le faire bouillir”, mais qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il chauffer le Gange avec sa torche embrasée et le faire bouillir ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que le Gange est profond, Seigneur, il est immense, on ne peut pas le chauffer avec une torche embrasée jusqu’à le faire bouillir, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune.
Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« On peut trouver, moines, une poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas, qui ne craque pas, et un homme peut apporter un archet ou une baguette en déclarant : “De cette poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, entièrement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas, qui ne craque pas, je vais tirer des sons (?), je vais tirer des « sons » (?) au moyen de mon archet ou de ma baguette.” Qu’en pensez-vous, moines ? Cet homme peut-il, au moyen de son archet ou de sa baguette, tirer des sons ou des sons de cette poche en peau de chat assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, qui ne crisse pas et qui ne craque pas ?
— Certainement pas, Seigneur. Pourquoi ? Parce que, Seigneur, cette poche en peau de chat est assouplie, bien assouplie, parfaitement assouplie, flexible, soyeuse, elle ne crisse pas et ne craque pas. Il n’est pas facile d’en tirer des ou des au moyen d’un archet ou d’une baguette, et cet homme ne récoltera que fatigue et contrariétés.
— De même, moines, quand ils vous parlent, les autres peuvent le faire de cinq façons… mais de quelque façon qu’ils le fassent… vous devez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devez vous exercer.
« Et même si de cruels brigands lui tranchaient les membres l’un après l’autre avec une scie à deux poignées, celui qui laisserait l’aversion l’envahir ne mettrait pas mon enseignement en pratique. Là aussi, moines, vous devriez vous exercer ainsi : “Nous ne laisserons pas notre état d’être s’altérer, nous ne proférerons aucune mauvaise parole, nous resterons amicaux, bienveillants et sans aversion aucune. Nous diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance sur cette personne, et en prenant le monde entier pour objet, nous y diffuserons un état d’esprit plein de bienveillance, ample, magnifié, incommensurable, amical et plaisant.” Voilà, moines, comment vous devriez vous exercer.
Si vous gardez constamment à l’esprit cette image de la scie, moines, voyez-vous une façon de parler, grossière ou subtile, que vous ne puissiez supporter ?
— Certes non, Seigneur.
— Par conséquent, moines, gardez constamment à l’esprit cette image de la scie, ce vous sera bénéfice et bonheur pour longtemps.
Ainsi parla le Seigneur.
Les moines furent satisfaits des paroles du Seigneur et ils s’en réjouirent.