Il y a un prêtre hors du commun qui lui a l'audace de dire son désaccord sur la manière dont s'exprime la raison du Sacrifice de Jésus.
Il s'agit du prêtre Bernard de Sesboüé à qui il faut saluer l'honnêteté intellectuelle, spirituelle même s'il reste campé sur l'idée que Jésus paie un châtiment mais il se défend pour dire la manière dont l'église elle trace l'incongruité sur le châtiment.
Je relève dans son laïus :
"La substitution comporte cependant un élément de vérité. Le Christ a accompli, à travers une mort qui ne lui était pas due, une rédemption dont nous étions incapables. En ce sens, il a agi à notre place. Mais ce n'était pas pour accomplir une peine. Il vient se placer à l'endroit où nous sommes, afin de réaliser au nom du lien de solidarité qu'il a établi avec nous, ce que notre situation de pécheurs nous empêchait de faire. Le ''à notre place'' est commandé par le ''en notre faveur'' et ne doit jamais faire oublier le ''à cause de nous''. Le Christ ne nous supplante pas, il nous représente et nous rend à nous-mêmes; sa liberté ne se substitue pas à la nôtre, mais nous la donne à nouveau."
Il a tort mais au moins ce prêtre parle, il ose dire les choses alors que l'ensemble des prêtres est silencieux lui, même si la phrase qui précède qui est de son cru est incohérente elle. Prendre la parole c'est déjà faire preuve de recherche spirituelle.
Il dit :
"À la fin du Moyen-Âge, au XVIe siècle et au cours des temps modernes la doctrine de la satisfaction s'est progressivement dégradée, pour faire une place de plus en plus grande à l'idée de justice commutative et même vindicative. La satisfaction a été comprise comme une compensation aussi exacte que possible du péché commis, par un châtiment expiatoire. Ce schème, souvent sous-jacent au fonctionnement de la justice humaine, a été spontannément projeté dans les relations de l'homme avec Dieu. La compensation pénale comporte donc l'idée que Dieu doit être «vengé dans ses droits» sur l'homme et même qu'il se venge en infligeant une peine qui soit à la mesure de l'offense reçue. Alors que l'idée biblique d'expiation exprimait avant tout l'intercession en acte du Christ priant de tout son être pour ses frères, certaines théologies ont voulu fonder dans l'Écriture l'idée d'une vengeance divine.
Le théologie du salut s'aventure alors sur le terrain du juridique, la rédemption s'accomplit selon l'idée d'une ''pacte sacrificiel'' où la prestation souffrante de Jésus est exigée de manière immédiate par le Père, afin de compenser la gravité infinie du péché de l'homme. La critique contemporaine de R.Girard tombe juste à l'égard de ces théologies : l'homme y accuse Dieu d'être vindicatif et violent, parce qu'il lui attribue ce que son inconscient pécheur estime nécéssaire.
Un phénomène curieux de ''déconversion'' historique des catégories de la rédemption se produit ainsi. Oubliant que la mort de Jésus en croix est le fait des hommes pécheurs, qui n'ont pu accueillir la sainteté du juste et l'ont exterminé avec violence, les théologiens attribuent à Dieu le Père cette même violence, ce qui est une manière de s'en débarrasser sur lui, quite à faire des bourreaux de Jésus le bras séculier de la justice divine,
L'éloquence de la chaire du XVIIe siècle en donne des exemples redoutables. Ainsi Bossuet :
Le grand coup du sacrifice de Jésus Christ, qui abat cette victime publique aux pieds de la justice divine, devait être frappé sur la croix et venir d'une plus grande puissance que celle des créatures. En effet, il n'appatient qu'à Dieu de venger les injures; et tant que sa main ne s'en mêle pas, les péchés ne sont punis que faiblement [...] Il fallait donc, mes frères, qu'il vint lui-même contre son fils avec toutes ses foudres; et puisqu'il avait mis en lui nos péchés, il devait y mettre aussi sa juste vengeance. Il l'a fait, chrétiens, n'en doutons pas !
Cet enseignement deviendra courant au XIXe siècle. Il véhicule l'idée, absente chez les Pères comme chez les théologiens de la grande scolastique, que la justice doit précéder la miséricorde. La satisfaction est donc un préalable au pardon. Autrement dit, l'essentiel de la rédemption ne se joue pas entre l'initiative de pardon de Dieu et la nécéssaire conversion de l'homme; il se joue entre Dieu et Dieu, entre le Fils qui offre sa prestation satisfactoire et le Père qui à cause d'elle change d'attitude et passe de la colère à la bienveillance.
Une présentation naïve de ces idées se trouve dans un petit manuel du début de ce siècle pour lequel les choses sont très simples : la rédemption désigne le rachat d'un esclave moyennant rançon. La rançon doit être versée au maître de l'esclave, en l'occurence Dieu et non pas le démon. Le démon n'intervient ici que comme le bourreau qui inflige la punition. Ce prix consiste dans une satisfaction égale à l'offense, et donc celle d'un Dieu-Homme. Dieu sera alors apaisé et rendu propice à l'égard de l'humanité. L'auteur présente tout simplement cette argumentation comme le contenu propre du dogme de la rédemption. Cette théologie de la substitution mérite donc plus que des réserves : elle doit être considérée comme une excroissance morbide de la théologie et non comme un élément du dogme. La commission théologique internationale a prononcé à son sujet un jugement net : «Il ne s'agit pas de penser que Dieu a puni ou condamné le Christ à notre place. C'est là une théologie erronément mise de l'avant par plusieurs auteurs, notamment dans la théologie réformée» La commission aurait pu parler d'un enseignement assez général longtemps répandu dans la théologie catholique, tout autant que dans la protestante.
[...]
La substitution a été souvent projetée dans les textes scriptuaires au nom d'une précompréhension culturelle présente à l'esprit des exégètes et des théologiens. Or les récits de la Passion ne lui font aucune place. Quant aux deux versets qui de Luther à nos jours seront presque constamment interprétés au sens d'une justice vindicative, ils s'inscrivent dans la perspective admirable d'un échange salutaire. Ga 3,13 joue sur le mot de malédiction. Paul raisonne à la manière des juifs : Jésus est maudit au regard de la Loi, puisqu'il a été suspendu au gibet. Il n'est pas maudit au regard de Paul ni de Dieu. Son amour l'a poussé jusque là, jusqu'à se faire solidaire de la malédiction qui pesait sur nous, afin de nous communiquer la bénédiction d'Abraham (3,14) De même, 2 Cor 5,21 ne dit pas que Jésus est rendu pécheur à titre personnel : il est celui qui n'a pas connu le péché. L'échange qui se produit en lui est celui de notre péché et de sa justice. Ce que nous communiquons au Christ c'est le poids de tous les effets du péché dont il nous renvoi sur la croix la vivante image. Il est fait ''péché'', au sens ou la métonymie exprime l'acte pour l'effet. Mais il porte ainsi le péché du monde pour l'enlever et nous communiquer sa justice.
La substitution comporte cependant un élément de vérité. Le Christ a accompli, à travers une mort qui ne lui était pas due, une rédemption dont nous étions incapables. En ce sens, il a agi à notre place. Mais ce n'était pas pour accomplir une peine. Il vient se placer à l'endroit où nous sommes, afin de réaliser au nom du lien de solidarité qu'il a établi avec nous, ce que notre situation de pécheurs nous empêchait de faire. Le ''à notre place'' est commandé par le ''en notre faveur'' et ne doit jamais faire oublier le ''à cause de nous''. Le Christ ne nous supplante pas, il nous représente et nous rend à nous-mêmes; sa liberté ne se substitue pas à la nôtre, mais nous la donne à nouveau.
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De même, Yves de Montcheuil refusait de manière décidée la conception courante de la satisfaction pénale, c'est à dire de la dette expiatoire payée à la justice de Dieu et condition préalable au pardon. [...] La solidarité du Christ avec les hommes est une solidarité voulue et assumée librement, comme celle du bon Samaritain se faisant le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands.» [ pour Griffon : oui, comme le père Maximilien Kolbe ]"
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Bernard de Sesboüé, dir., Histoire des dogmes, Desclée, 1994, tome I : Le Dieu du salut, 544 p., cit. pp. 497-503