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Transition 2005-2006 entre le mouton de l'Aïd et le sapin de Noël
Un mariage mixte au Maroc, comme dans tout pays musulman, n'est pas une mince affaire. Si le marocain a parfaitement le droit d'épouser une chrétienne ou une juive sans qu'elle ne renonce à sa religion, le "roumi", lui, doit obligatoirement embrasser l'Islam pour s'unir à une marocaine.
Et en fournir la preuve.
Dans tous les cas, la société marocaine, à l'instar de pas mal d'autres sociétés d'ailleurs, est réticente par réflexe aux mariages mixtes, et l'étranger ou l'étrangère doivent faire face à un rejet, la tradition étant le prétexte tout désigné pour chasser l'intrus d'une religion, d'une culture, d'une langue... Et c'est là où commence le parcours du combattant... Souvent sous haute tension. Le rejet de la mixité du couple relève souvent d'une pincée d'orgueil soutenue par un coulis d'amour propre. La société est aux aguets avec ses regards débordant de préjugés qui soulèvent les divergences inhérentes au couple mixte, à cause d'une peur-panique de la différence, garde-fou d'un conformiste. Contexte socioculturel, famille, proches, amis... autant de repères hostiles dont la vindicte voue le mariage mixte à l'échec. Pourtant, une rencontre amoureuse ressemble à n'importe quelle autre rencontre amoureuse.
Force est de constater que cette rencontre a souvent lieu en terre étrangère.
Surtout pour l'homme marocain — rarement pour la marocaine — éloigné du cordon ombilical.
Cela semble lui autoriser bien des échappées. Mais qu'elle ait lieu à la sortie d'une bouche de métro à Paris, sur les bancs d'une Fac à Moscou, ou au Souk Dakhel de Tanger, cette rencontre unit certaines divergences.
Rien ne semble impossible et les différences culturelles deviennent sources d'émerveillement réciproque. Le couple finit par se permettre de n'avoir peur de rien. Ni du présent, ni de l'avenir. Et encore moins des frontières...
Jusqu'à ce que la société s'en mêle.
La famille surtout. La structure se met à trembler devant le choix d'un conjoint étranger. Ce choix, reflet d'une volonté inconsciente de ne pas reproduire le schéma familial, provoque lamentations et autres chantages affectifs. Vécu par les parents comme un dos tourné à tout ce qui a constitué les valeurs de la famille. La violence se libère davantage si les liens de la famille sont exclusivement resserrés, comme dans ces familles où l'esprit de tribu soude les membres contre vents et tempêtes. Les choses se présentent autrement quand il s’agit d’un mariage de raison. La famille se fait ainsi une raison en pensant au visa, à la carte de séjour et au job auxquels peuvent prétendre leur fils ou leur fille en épousant une étrangère ou un étranger. Il ne reste qu’à souhaiter que cette union ne soit pas vouée à l’échec.
Du côté de la moudawana La cérémonie du mariage peut présenter quelques obstacles. La conversion à l'Islam obligatoire pour l'homme est vécue différemment par chacun de ces messieurs. Au mieux, ils sont croyants et l'idée d'un Dieu universel l'emporte sur le fait qu'ils puissent oublier leur religion respective.
D'autres pragmatiques acceptent de prononcer sans comprendre "une formule magique" qui, tel un visa, ne serait qu'un moyen pour accéder à leur bonheur.
Reste cependant un pas de taille à franchir : celui de la circoncision.
La femme étrangère, quant à elle, se doit de s'informer juridiquement sur les subtilités de la Moudawana afin de bétonner son contrat de mariage. Sa conversion à l'Islam quoique non obligatoire, est vivement conseillée si elle tient à sa part. Reste pour elle à bien réaliser qu'elle s'engage spirituellement et juridiquement à respecter tous les droits et devoirs d'une épouse musulmane.
Quant aux mariages civils, les consulats mettent à l'épreuve bien des patiences tant les formalités administratives sont lourdes. Ceci dit, la splendeur du mariage marocain efface tous ces souvenirs laborieux. La beauté traditionnelle des jours de fêtes émerveille plus d'un et plus d'une. Et avec le temps, la famille s'adapte. On se réjouit même du bonheur du couple. L'intégration Au jour le jour, le couple vit généralement dans l'acceptation de la culture du pays et ajoute une touche de couleur au patrimoine culturel de l'autre.
Ramadan, Pâques, Aïd Al Adha et sapin de Noël rythment l'année.
Piment vert et ketchup se côtoient avec bonheur.
Couscous et steak-frites alternent paisiblement.
Etrangère, la femme s'excusera de maladresses touchantes qu'elle ne reproduira plus. Plus de décolleté devant son beau-père, ni de mine dégoûtée devant le morceau de viande — le meilleur — que lui tend sa belle-mère, entre les doigts, avec un grand sourire. Prête à tout pour vivre son mariage comme un de plus, elle peut parfois s'amputer culturellement sans s'en rendre compte. Parfois, éclats de voix et regards sombres accompagnent les aléas du quotidien. Mais aucune dispute n'est profondément liée à la mixité. Reste que l'on peut, de part et d'autre, en avoir assez de se rendre toujours en vacances dans la belle-famille. De manger le couscous tous les vendredis à midi.
Mine de rien, ces couples un peu plus mixtes que les autres offrent un mode d'emploi de vie commune.
Une vie où la différence de l'autre est acceptée, dépassée... intégrée.
L'enfant héritier de la mixité Les silences obstinés des proches concernant l'union du couple se libèrent soudainement autour du berceau. Et le nourrisson qui vient de naître ne se mesure pas au pouvoir d'arrondir les angles. Chacun désirant sa part de risettes, mieux vaut ranger l'agressivité et relever les zygomatiques. Même de façon hypocrite. Car d'autres négociations arrivent.
Choix du prénom, circoncision, la langue maternelle de l'enfant, choix du style de scolarité... L'enfant recueille l'héritage de la mixité.
C'est lui qui affrontera le regard des autres. Un regard qui risque de le cloisonner dans sa différence. Une formidable capacité d'adaption rassemble les enfants issus d'une double culture. Les horizons s'ouvrent dès les premiers pas. Le seul danger serait celui de l'amputation culturelle d'une partie ou d'autre de leur famille. Ils ont besoin de l'entrelacement de leurs racines pour construire leur personnalité.
Ces enfants, issus d'un monde nouveau où les valeurs, les regards, les étiquettes ont déjà bien valsé, auront à construire un nouvel ordre convivial où l'individu doit exister pour ce qu'il existe et non pour ce qu'il paraît.
M. Abouabdillah
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