L'express de minuit
Posté : 16 févr.06, 11:29
Bienvenue dans les prisons françaises au pays des droits de l'homme..
Gabriel Mouesca : "La prison fabrique des gens asociaux, habités par la haine"
LE MONDE | 16.02.06 | 13h27 • Mis à jour le 16.02.06 | 14h04
Vous êtes président de l'Observatoire international des prisons (OIP). Ancien responsable de l'organisation autonomiste basque dissoute Iparretarrak, vous avez passé dix-sept ans en prison, dont trois en cellule d'isolement. Comment réagissez-vous au rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil-Robles, rendu public mercredi 15 février et qui affirme avoir assisté à des "scènes très dures et très choquantes" dans les prisons françaises ?
Je remarque d'abord le ton de ce rapport qui est extrêmement dur, mais juste. Les constats faits par M. Gil-Robles sont conformes à la réalité des prisons françaises. La grande majorité des détenus, incarcérés dans les maisons d'arrêt notamment, vivent une profonde désocialisation au quotidien. Le fonctionnement même de l'institution carcérale conduit les personnes à être infantilisées, déresponsabilisées. On les amène sur un versant de l'humanité totalement incompatible avec l'idée de réinsertion dans la société, inscrite pourtant dans les missions de la prison. Au quotidien, la prison casse tout ressort humain : on ne vous demande pas de penser, on ne vous demande pas d'agir, vous n'avez aucune marge d'initiative individuelle. Or, avec le temps, les mois, les années qui passent, certaines facultés humaines, sous-utilisées, sont tout bonnement anéanties.
Par ailleurs, la prison est un lieu extrêmement violent, dans lequel les personnes ne connaissent que le rapport de forces, le mensonge, les pressions physiques et psychologiques. Elle fabrique des gens asociaux, habités par la haine, et ce n'est certainement pas sur ce terreau-là qu'on peut construire les citoyens que la loi appelle de ses voeux dans l'objectif de réinsertion.
M. Gil-Robles dénonce la durée maximale du placement au quartier disciplinaire, de quarante-cinq jours, et la procédure d'isolement, laissée à la discrétion des directeurs de prison. Qu'en pensez-vous, vous qui avez connu l'un et l'autre ?
Le rapport de Gil-Robles pointe la question du quartier disciplinaire et de l'isolement dans leur réelle dureté. Le mitard est un des lieux les plus suicidogènes en prison, où la vie est totalement insupportable. Plonger les personnes, pendant quarante-cinq jours, dans une situation où le contact humain est quasi nul, sauf pour la distribution du repas trois fois par jour, et pour une promenade solitaire où vous n'avez pas le droit de parler, c'est le summum du manque d'humanité de tout le système.
Même chose pour le placement à l'isolement, qui relève du droit divin du directeur sur des centaines de personnes, et ce à l'heure du troisième millénaire. Il faut que cette procédure soit extrêmement encadrée, pour qu'on ne voie plus les abus commis aujourd'hui de placement au quartier d'isolement de détenus pendant des années. On rend ces personnes totalement incapables d'avoir une attitude non seulement citoyenne mais même fraternelle à l'égard de leurs contemporains.
M. Gil-Robles insiste sur la "surpopulation carcérale chronique" en France. Comment remédier à cette situation?
La responsabilité de cette situation revient aux élus de ce pays. Aujourd'hui, on voit comment l'ambiance générale ultrasécuritaire produit ses effets. L'idée d'anéantir toute forme de troubles, quel que soit leur niveau, aboutit à ce que les magistrats aient le réflexe facile et dangereux du recours à la prison. C'est l'impact d'un discours extrêmement clair, qui fait que tout ce qui n'est pas conforme à la loi est susceptible de finir en prison.
En 2000, deux commissions d'enquête parlementaires dénonçaient les conditions "indignes" de la détention en France. Comment expliquer, six ans après, que rien n'ait changé ?
En 2000, la France avait regardé, dans les yeux, la situation des prisons de son pays et avait affirmé que la situation ne pouvait plus durer. Un projet de loi pénitentiaire avait été élaboré, qui n'a pas abouti, car la gauche l'a abandonné, en 2001-2002, pour des raisons électoralistes. Ensuite, la droite a renié totalement ces orientations, ce qui a conduit à une politique extrêmement répressive avec la systématisation de l'outil carcéral.
Rien, pourtant, ne sera possible sans véritable courage politique. L'utilisation de la torture a été abolie il y a quelques siècles, comme la peine de mort, en 1981. Aujourd'hui, il faut en finir avec la prison placée au centre du dispositif répressif de la société. Il faut mettre en place des peines qui font sens, qui fassent appel à l'intelligence des condamnés, qui relèvent les personnes et non les abaissent. Les peines privatives de liberté ont fait la preuve de leur échec : il faut que le personnel politique en prenne acte et qu'au nom de l'intérêt de la société, au nom de la sécurité, on en finisse avec l'incarcération massive.
Propos recueillis par Cécile Prieur
*********************
M. Clément : un rapport "injuste"
Le ministre de la justice, Pascal Clément, a jugé, mercredi 15 février, que le rapport du Conseil de l'Europe ne reflétait pas "la réalité des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire" des gouvernements appartenant à l'actuelle majorité. Même si le rapport contient des éléments "incontestables", le ministre le qualifie d'"injuste" et de "difficile", rappelant qu'un programme de "plus de 13 300 places de prison et 3 000 places de réhabilitation de prison" a été lancé par le gouvernement en 2002.
Par ailleurs, dans une lettre adressée à Alvaro Gil-Robles, auteur du rapport, le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, annonce la fermeture du centre de rétention pour hommes du palais de justice de Paris, en juin, et celui de Marseille-Arenc, en mai.
Article paru dans l'édition du 17.02.06
Source : Le Monde
Gabriel Mouesca : "La prison fabrique des gens asociaux, habités par la haine"
LE MONDE | 16.02.06 | 13h27 • Mis à jour le 16.02.06 | 14h04
Vous êtes président de l'Observatoire international des prisons (OIP). Ancien responsable de l'organisation autonomiste basque dissoute Iparretarrak, vous avez passé dix-sept ans en prison, dont trois en cellule d'isolement. Comment réagissez-vous au rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil-Robles, rendu public mercredi 15 février et qui affirme avoir assisté à des "scènes très dures et très choquantes" dans les prisons françaises ?
Je remarque d'abord le ton de ce rapport qui est extrêmement dur, mais juste. Les constats faits par M. Gil-Robles sont conformes à la réalité des prisons françaises. La grande majorité des détenus, incarcérés dans les maisons d'arrêt notamment, vivent une profonde désocialisation au quotidien. Le fonctionnement même de l'institution carcérale conduit les personnes à être infantilisées, déresponsabilisées. On les amène sur un versant de l'humanité totalement incompatible avec l'idée de réinsertion dans la société, inscrite pourtant dans les missions de la prison. Au quotidien, la prison casse tout ressort humain : on ne vous demande pas de penser, on ne vous demande pas d'agir, vous n'avez aucune marge d'initiative individuelle. Or, avec le temps, les mois, les années qui passent, certaines facultés humaines, sous-utilisées, sont tout bonnement anéanties.
Par ailleurs, la prison est un lieu extrêmement violent, dans lequel les personnes ne connaissent que le rapport de forces, le mensonge, les pressions physiques et psychologiques. Elle fabrique des gens asociaux, habités par la haine, et ce n'est certainement pas sur ce terreau-là qu'on peut construire les citoyens que la loi appelle de ses voeux dans l'objectif de réinsertion.
M. Gil-Robles dénonce la durée maximale du placement au quartier disciplinaire, de quarante-cinq jours, et la procédure d'isolement, laissée à la discrétion des directeurs de prison. Qu'en pensez-vous, vous qui avez connu l'un et l'autre ?
Le rapport de Gil-Robles pointe la question du quartier disciplinaire et de l'isolement dans leur réelle dureté. Le mitard est un des lieux les plus suicidogènes en prison, où la vie est totalement insupportable. Plonger les personnes, pendant quarante-cinq jours, dans une situation où le contact humain est quasi nul, sauf pour la distribution du repas trois fois par jour, et pour une promenade solitaire où vous n'avez pas le droit de parler, c'est le summum du manque d'humanité de tout le système.
Même chose pour le placement à l'isolement, qui relève du droit divin du directeur sur des centaines de personnes, et ce à l'heure du troisième millénaire. Il faut que cette procédure soit extrêmement encadrée, pour qu'on ne voie plus les abus commis aujourd'hui de placement au quartier d'isolement de détenus pendant des années. On rend ces personnes totalement incapables d'avoir une attitude non seulement citoyenne mais même fraternelle à l'égard de leurs contemporains.
M. Gil-Robles insiste sur la "surpopulation carcérale chronique" en France. Comment remédier à cette situation?
La responsabilité de cette situation revient aux élus de ce pays. Aujourd'hui, on voit comment l'ambiance générale ultrasécuritaire produit ses effets. L'idée d'anéantir toute forme de troubles, quel que soit leur niveau, aboutit à ce que les magistrats aient le réflexe facile et dangereux du recours à la prison. C'est l'impact d'un discours extrêmement clair, qui fait que tout ce qui n'est pas conforme à la loi est susceptible de finir en prison.
En 2000, deux commissions d'enquête parlementaires dénonçaient les conditions "indignes" de la détention en France. Comment expliquer, six ans après, que rien n'ait changé ?
En 2000, la France avait regardé, dans les yeux, la situation des prisons de son pays et avait affirmé que la situation ne pouvait plus durer. Un projet de loi pénitentiaire avait été élaboré, qui n'a pas abouti, car la gauche l'a abandonné, en 2001-2002, pour des raisons électoralistes. Ensuite, la droite a renié totalement ces orientations, ce qui a conduit à une politique extrêmement répressive avec la systématisation de l'outil carcéral.
Rien, pourtant, ne sera possible sans véritable courage politique. L'utilisation de la torture a été abolie il y a quelques siècles, comme la peine de mort, en 1981. Aujourd'hui, il faut en finir avec la prison placée au centre du dispositif répressif de la société. Il faut mettre en place des peines qui font sens, qui fassent appel à l'intelligence des condamnés, qui relèvent les personnes et non les abaissent. Les peines privatives de liberté ont fait la preuve de leur échec : il faut que le personnel politique en prenne acte et qu'au nom de l'intérêt de la société, au nom de la sécurité, on en finisse avec l'incarcération massive.
Propos recueillis par Cécile Prieur
*********************
M. Clément : un rapport "injuste"
Le ministre de la justice, Pascal Clément, a jugé, mercredi 15 février, que le rapport du Conseil de l'Europe ne reflétait pas "la réalité des efforts sans précédent pour moderniser le parc pénitentiaire" des gouvernements appartenant à l'actuelle majorité. Même si le rapport contient des éléments "incontestables", le ministre le qualifie d'"injuste" et de "difficile", rappelant qu'un programme de "plus de 13 300 places de prison et 3 000 places de réhabilitation de prison" a été lancé par le gouvernement en 2002.
Par ailleurs, dans une lettre adressée à Alvaro Gil-Robles, auteur du rapport, le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, annonce la fermeture du centre de rétention pour hommes du palais de justice de Paris, en juin, et celui de Marseille-Arenc, en mai.
Article paru dans l'édition du 17.02.06
Source : Le Monde