Voici ce qu' en dit Alfred Louis de Prémare:
'approche historique d'une figure religieuse : Muhammad
La table ronde est intitulée " Trois prophètes : Moïse, Jésus, Mahomet ". Ce titre est réducteur en ce sens qu'il se fixe sur une unique qualification, celle de " prophète", et tend à faire penser que la qualification de " prophète " signifie chaque fois à peu près la même chose.
Cette simplification réductrice convient peut-être à la perspective islamique : dans celle-ci, en effet, la variété historique de tous ceux qui sont qualifiés uniformément de prophètes est coulée dans un moule archétypique et anhistorique (= en dehors de l'histoire), et elle est finalement fondue dans le monoprophétisme affirmé de Muhammad, où elle disparaît.
Mais cette simplification ne correspond pas à la perspective juive, où l'histoire d'Israël est centrale, et où les prophètes successifs, et même les sages et les justes, gardent leur épaisseur historique ou littéraire. Et cela ne correspond pas davantage à la perspective chrétienne, où se maintient une grande part de l'héritage juif, et où la qualification de prophète attribuée à Jésus a finalement cédé le pas à d'autres qualifications d'origine biblique, diverses selon ce qui est apparu de lui aux auteurs des évangiles.
Il faudrait en tout cas plus d'un quart d'heure pour parler de cette question, qui est d'ordre scripturaire et théologique, et dont je connais l'importance. Mais ici, je préfère rester sur le terrain qui est propre à l'enseignement du fait religieux à l'école laïque, et parler de la difficulté qui est celle de l'historien dans son approche de la figure de Muhammad.
Et surtout là:
La difficulté est celle du traitement des sources disponibles. En 1963, Maxime Rodinson, dans un article où il dressait un " Bilan des études muhammediennes " [Revue historique, CCXXIX], estimait que le Coran est " parmi les sources de la biographie de Mohammed, la seule qui soit à peu près entièrement sûre " (p. 192). Or, le Coran, tel qu'il se présente aujourd'hui, est le produit d'une compilation de textes plus ou moins fragmentaires, dont la constitution connut une histoire troublée, et dont l'écriture sous une forme consonantique à peu près semblable à celle que nous connaissons date, pour les textes essentiels, de la fin du 7e ou du début du 8e s. (qq. 70 ans après la mort de Muhammad, 632). Encore faut-il tenir compte de la graphie défective des plus anciens fragments manuscrits que nous en connaissons, et qui a pu donner lieu à de nombreuses lectures variantes.
De plus, le Coran ne se présente absolument pas comme un document historico-narratif. Il ne comporte aucune narration sur Muhammad ou sur les événements du début de l'islam, à l'exception de quelques bribes allusives. Le nom de Muhammad n'y apparaît que quatre fois : deux fois pour affirmer qu'il est l'envoyé de Dieu, une fois pour dire que le Coran est " descendu " sur lui, et une fois pour dire, dans un contexte particulier concernant l'allusion à un mariage contesté, qu'il est " le sceau des prophètes " (= qui achève / clôt l'ensemble de la prophétie). Rien n'est dit sur aucun des grands " compagnons " historiques figurant dans toute biographie de Muhammad comme ayant été, à ses côtés, des sortes de co-fondateurs. Le nom de La Mecque n'apparaît qu'une fois (48, 24) à propos d'un événement sur lequel, à s'en tenir strictement au texte, on peut se demander de quoi il s'agit. Le nom de Quraysh, la tribu mekkoise, apparaît une fois seulement, dans un petit texte archaïque et tronqué, difficile à situer dans un contexte précis, où il n'est même pas indiqué que c'est la tribu de Muhammad et des principaux compagnons fondateurs. Nous avons deux allusions respectivement à deux expéditions militaires chaque fois pour dire que Dieu avait assisté les partisans du messager coranique. Le nom de la ville de l'hégire, Yathrib, figure une seule fois (33, 13-14), dans une indication purement allusive. Le nom de " Médine " - al-madîna -, littéralement " la ville ", apparaît éventuellement trois fois, si toutefois il s'agit de " la Ville " du prophète, c'est-à-dire Yathrib ; mais c'est difficile à déterminer car aucune indication n'est donnée clairement sur le contexte historique auquel il est fait allusion. En fait d'" histoire ", nous n'avons dans le Coran que des allusions. La littérature des commentaires essaiera de composer, pour chacune de ces allusions, un cadre historico-narratif. Mais ce que nous connaissons de ces tentatives, souvent variables, date, au mieux, du milieu du 8e s, plus de cent ans après la mort de Muhammad.
http://dafip.ac-aix-marseille.fr/actes_ ... 004_05.htm