J'm'interroge a écrit : ↑12 juil.24, 05:34
Certes, le fait religieux et les croyances associées en un Dieu existent. Mais, l'existence du fait religieux et de ces croyances sont une chose et l'existence d'un Dieu qui y correspond une toute autre chose. Ce sont deux choses bien distinctes qui n'ont possiblement rien à voir entre elles.
Bonjour,
je ne suis pas d'accord sur ce point.
(Tout d'abord en aparté une clarification : au sujet des religions, j'ai évoqué les sciences cognitives, c'est-à-dire des sciences qui traitent de la compréhension de l'esprit humain individuel, et non pas la sociologie, qui est encore un autre sujet, et qui concerne la compréhension du fait religieux en tant que fait social).
Les sciences cognitives ont bien toute leur place dans ce débat sur l'existence du divin car toute perception du divin passe in fine par un traitement cognitif dans l'esprit humain.
Une conception du divin qui serait totalement déconnectée de toute capacité de perception ou d'entendement par l'esprit humain ne présenterait aucun intérêt, car il s'agirait d'une hypothèse gratuite.
A un moment, pour que l'hypothèse soit autre chose qu'une discussion sur le sexe des anges, il faut qu'on parle d'interaction entre le divin et l'esprit humain.
Les sciences cognitives, pour la partie des études qui concerne les religions, s'intéressent vraiment à la nature du divin, mais plutôt en vue de comprendre une certaine facette de la cognition humaine.
Les sciences cognitives, au sujet de dieu, nous apprennent des choses.
Déjà, plutôt que du "divin", on emploie plutôt en sciences cognitives l'expression "êtres supernaturels", ou "êtres contre-intuitifs".
Dès les premières années de notre existence, nous développons une intuition et des hypothèses sur les différents domaines de la nature, par exemple les animaux, les plantes, les personnes, les objets, etc.
On considère d'ailleurs en sciences cognitives ces cinq catégories principales : personne, animal, plante, objets naturels, et artefacts.
À ces différents domaines sont liées toute une série d'attentes, de conséquences et d’inférences. Par exemple : les pierres ne bougent pas toutes seules, les plantes poussent mais ne se déplacent pas, etc.
On appelle ça des ontologies intuitives.
Notons que parmi les inférences que notre cognition constitue très tôt, il y en a une qui consiste à expliquer la nature des choses par une fonction et une finalité (on appelle ça la téléologie).
Les êtres supernaturels, ou contre-intuitifs (par exemple un dieu, un esprit, etc.) violent une ou plusieurs des ces ontologies intuitives. Par exemple, un dieu éternel, ou bien un esprit qui passe à travers les murs, ou encore une statue qui écoute les prières, etc.
Les êtres contre-intuitifs sont toutefois aussi pourvus de facultés qui conservent certaines ontologies intuitives. Par exemple, les dieux disposent de facultés de cognition standard comme l'être humain.
Ou bien encore, certains êtres contre-intuitifs ne disposent pas de cognition standard, mais disposent d'une apparence physique comme celle des être humains (les zombies par exemple).
Notons que les dieux sont essentiellement reliés à la catégorie cognitive des personnes : il est très difficile de parler des dieux autrement qu'en termes de personnes et de caractères de personnes.
C'est un élément important que les êtres supernaturels, et en particulier les dieux, se caractérisent par une combinaison équilibrée d'ontologies intuitives et de propriétés contre-intuitives. C'est ce qui les rend "croyables" et intelligibles.
Une combinaison trop déséquilibrée en faveur de propriétés contre-intuitives serait rejetée comme trop créative ou du non-sens.
D'autre part, les sciences cognitives sont aussi connectées à la théorie de l'évolution. Le cerveau humain est le résultat de la sélection naturelle et d'une évolution depuis plusieurs millions d'années.
Il se trouve que nos ancêtres hominidés étaient souvent des proies de la part de prédateurs, et ce n'est qu'assez récemment dans l'histoire de l'humanité que les hominidés sont devenus chasseurs.
Notre esprit est ainsi équipé d'un module cognitif dont la fonction est détecter le plus tôt possible les intentions d'un agent. Par exemple, si on entend en forêt le bruit d'une branche qui casse, ce module cognitif va l'attribuer en priorité à l'approche d'un prédateur (agent intentionnel) plutôt qu'au vent qui souffle.
Ce module cognitif (appelé HADD en anglais pour Hypersensitive Agency Detection Device) nous amène à voir des agents derrière les objets de notre perception.
Un autre module cognitif important qui intervient est la théorie de l'esprit. Le nom prête à confusion, car il ne s'agit pas d'une théorie au sens, par exemple, de la théorie de la relativité.
La théorie de l'esprit (ToMM en anglais pour Theory of Mind Mechanism) est une faculté de notre esprit à attribuer des états mentaux, des sensibilités et des interprétations des intentions des agents.
Or de la même façon que le HADD nous incite à penser la présence d'agents sur de simples suspicions, le ToMM nous impute une théorie de l'esprit à des agents sans nécessairement les voir.
Un autre élément à prendre en considération est que l'être humain est une espèce hautement sociale et que dans les interactions sociales, il y a des informations plus stratégiques que d'autres, souvent relatives à la morale, comme qui est au courant et qui ne l'est pas, qui coopère avec qui, qui me connaît ? Etc.
L'être humain n'a qu'un accès limité aux informations stratégiques.
Les dieux sont des êtres contre-intuitifs modelés sur la catégorie des personnes, ce sont des agents pourvus d'un esprit analogue à l'esprit humain, et ils ont accès toute l'information stratégique liée à nos interactions sociales. En fait, les autres êtres contre-intuitifs manquent cette faculté fondamentale d'accès à l'information stratégique liée à nos interactions sociales, et c'est ce qui fait que les dieux, qui y ont accès, sont beaucoup plus intéressants.
Les croyances religieuses intuitives (à distinguer des croyances religieuses réflexives, qui sont le résultat d'une réflexion intellectuelles) sont essentiellement un effet de bord, un effet secondaire de HADD et ToMM qui consiste à voir les choses de la nature sous la forme d'une finalité et de l'intention d'un agent ainsi que de l'intérêt qu'éprouve l'esprit humain pour des êtres contre-intuitifs qui disposent d'un accès aux informations stratégiques de l'interaction sociale.
Ceux qui lisent l'anglais et ont du temps peuvent lire ce bouquin en ligne très complet sur la question :
https://scholarworks.wmich.edu/cgi/view ... sertations